— Ah oui ?
— Textuel. Vous comprenez la convoitise des deux aventuriers : Inès, devenue seule héritière, entre leurs mains expertes, allait se laisser détrousser facilement.
Martin et Mira se lancèrent dans l’aventure. C’est alors que celui que nous appelons « l’Homme » commit la plus grosse erreur de sa vie : il se mit à son compte. Ce grand exécutant se voulut chef d’orchestre. Ce salarié du crime devint patron. Lui qui réussit à remplir sans bavures tous ses « contrats », échoua lorsqu’il entreprît de faire « travailler » les autres. C’est un solitaire génial. La ruse en personne. A la tête d’une équipe, malgré son diabolisme et roi, audace démentielle, il perd son atout le plus sûr, qui est lui-même. A cause de la main-d’œuvre étrangère à laquelle il dut faire appel, il a cessé d’être invincible. Il faut rire que quelqu’un déboula au milieu de son antre, qui jeta le trouble et l’obligea de revoir ses plans, de se reconvertir : moi. Tout de suite il sut qui j’étais. Il sut que je savais qui il était. C’est ce qui brouilla les cartes. Il est probable que, sans mon intervention, il aurait agi seul avec sa souris. Se sachant repéré, il dut faire face et, talonné par le temps (car les Nino-Clamar devaient signer avec le gouvernement espagnol pour la mise en exploitation du gisement), il se décida à franchir le pas et à s’organiser autrement.
Je désigne deux petites pochettes d’allumettes posées sur la table à piétement de fer forgé.
— Vous allez voir un truc marrant, juge.
Je rafle l’une des pochettes et je sors dans le piano après avoir relourdé.
— Hello, juge, vous m’entendez ?
— Beûgh… oui, mais…, nasille l’organe de Pasoparatabaco. Où êtes-vous, monsieur le coco…
— Dans le patio. Vous m’entendez, je vous entends, nous communiquons grâce aux pochettes d’allumettes qui sont, en réalité deux émetteurs-récepteurs à virulence interne gamahutée.
Je rentre.
— Stupéfiant, déclare le juge. Ça existe donc ?
— Tout existe, juge. Chacun des amants avait une boîte d’allumettes sur soi, ce qui les plaçait en liaison permanente, comme dit la coiffeuse de ma brave mère. Le soir où nous avons entrepris de neutraliser Martin Braham, l’inspecteur-chef Bérurier et moi, la fille qui se trouvait dans la chambre 604 (car ils feignaient de ne pas se connaître) a tout entendu et s’est dépêchée d’intervenir sous les apparences d’un charmant jeune homme. Mais ça je l’ai déjà écrit à mes lecteurs, aussi ne vous le raconterai-je point pour éviter de faire doublon, ce qui, en littérature, ne pardonne pas. Qu’il vous suffise de savoir qu’il y a eu renversement de situation. Braham nous a neutralisé en nous endormant, et il a kidnappé la petite nièce de mes amis Béru pour s’assurer une monnaie d’échange. Cette monnaie allait lui servir un peu plus tard car c’est parce qu’on menaçait l’inspecteur Bérurier de tuer sa nièce qu’il a signé des aveux concernant notre pseudo-trafic de drogue.
— Le sagouin, qu’est allé jusqu’à m’apporter le nœud à barrette que la mouflette se cloque aux tresses pour me prouver qu’il charriait pas.
— Quel sagouin ? demande Pasoparatabaco.
— Ben, l’inspecteur américain.
— Je ne m’explique pas le rôle de cet homme…
— Moi, je vais vous l’expliquer, juge. Première faute du Braham. Il a voulu nous isoler pendant quelques jours, en nous jouant le mauvais tour que vous savez et il y est parfaitement parvenu. Seulement il a compris qu’il lui faudrait des appuis élevés pour, le moment venu, nous utiliser à sa guise. Vous suivez ? Premier temps : nous mettre au frais radicalement. En hibernation dans les geôles de Tenerife. Second temps, nous en extraire en vue de nous faire porter le chapeau, le fameux soir. Il a appelé Washington où il comptait de solides intelligences parmi les policiers. Sûrement jouit-il de moyens de pression très efficaces car il a obtenu de l’un d’eux qu’il saute dans le premier avion en partance pour les Canaries avec ce qu’il fallait de lettres d’introduction pour vous convaincre d’être coopératif avec le Narcotic Bureau. Dès le lundi matin, l’inspecteur était à pied d’œuvre. Il commença par envaper Béru pour le faire avouer car il fallait que vous fussiez absolument convaincu de notre culpabilité. Le but de l’opération ? Faire de nous des hommes traqués. Nous passions d’abord pour des flics marrons convaincus de trafic de drogue, et le mercredi soir, nous allions devenir des tueurs. Ah, il avait relevé mon défi, le bougre.
— Mais…, attaque gaillardement Pasoparatabaco.
— En effet, juge, il a changé son revolver d’épaule. Dès qu’il eut donné ses instructions à son pote de la police yankee, il sauta dans un coucou et fila à Londres pour y recruter un trio de tueurs (car ce genre de relations ne lui manquait pas). En quarante-huit heures, et moyennant je suppose la forte somme, le plan était ourdi. Les gars s’amenaient, jouaient guignol, recevaient sur place des instructions, du pognon et flinguaient Alonzo et Dorothy en s’arrangeant pour que ce double meurtre ne paraisse pas délibéré. Il y a eu un simulacre d’échauffourée. Balmasquez y Suerundjerk et la veuve Nino-Clamar ont été abattus comme accidentellement, en somme, alors que leur sort était réglé à partir de l’instant où Mira les a désignés au violoniste. Après quoi on nous estourbissait. On nous filait les revolvers. Mira et Inès juraient que Béru et moi avions mitraillé. On nous embastillait à vie, juge.
— Mais… et le policier ?
— Le fin des fins. Martin Braham ne tenait pas à garder un témoin de ses prouesses. Il avait chargé les clowns de le « neutraliser » en priorité. Et je vais vous apprendre autre chose…
— Couazencore ? avide Alexandre-Benoît Bérurier.
— Je vous parie un tas de machin contre un petit truc qu’il y avait une bombe-à-altimètre dans le Mirage 20 chargé d’emmener nos « complices », les clowns-assassins. Le zinc aurait explosé, parvenu à une certaine hauteur. Faudra le faire fouiller, juge, car Braham n’est pas homme à laisser des complices derrière lui !
— Je… Et les deux savants venus pour discuter du gisement ?
— Attendus à l’aéroport par un quelconque beau jeune homme déguisé en je-me-demande-bien-quoi-Mira-nous-l’apprendra. Conduits au San Nicolas, chambre 604. Drogués. Ce qui caractérise l’étrange couple Mira-Martin, c’est ce sens, ce goût, ce don du travesti. Changer d’apparence, le plus souvent possible afin de toujours couper leur piste. Avoir une foule d’identités. Fantomas, quoi ! Y a rien de nouveau sous le soleil…
— Si ! Ça ! fait la voix de Martin Braham.
Il ouvre la bouche !
Bon Dieu ! Sa dent ! Il…
Les vapes. Jouez, hautbois, résonnez, musettes ! Les vapes…
Quand on revient à soi, à nous, je ne vous ferai pas l’injure de penser que vous croyez Martin parmi nous.
Il a filé avec sa gonzesse.
Non sans avoir laissé une lame effilée dans le cœur endolori d’Inès (dans les choux).
Et avoir écrit le mot bravo, au crayon bille, dans le creux de ma main.
CONCLUSION
Vous pouvez pas imaginer comme il a bronzé, Antoine, en quelques jours.
Il est tout doré, un vrai miel, ce gredin !
Marie-Marie enrage dans son maillot deux pièces (dont la partie supérieure est encore superflue). Comme je m’extasie, elle bougonne :
— Videmment, il a pas été kidnappé, lui !
— Ni au trou, comme le dernier des truands, ronchonne Béru.
« Visez ma Berthe comme elle a pâli dans son monticule de contrebasse fausse…