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Babar s’avance et me fauche les besicles.

— Tiens, tel qu’il est là, j’aurais un fusil à lunette, comment j’y placerais une praline dans le temporal, façon Dallas, soupire mon ami.

— Tu verrais rabattre les perdreaux, mon pote.

— Pas si j’aurais un silencieux !

— Et la trajectoire de la balle, tu l’oublies ?

Il hausse ses rondes épaules de rhinocéros.

— Oh, j’sais bien, s’avoue-t-il vaincu. Comment on va le craquer, cézigue, à présent qu’il est au parfum ? A la mort aux rats ou au gourdin de chenapan ?

Puis, brusquement :

— Tiens, j’avise mon petit médor et ça me donne une idée.

Il m’expose son plan.

Celui-ci en vaut un autre. Je déclare « banco ». Qu’est-ce qu’on risque d’essayer ?

On la voit peu à la salle à manger, m’man. Elle se fait monter un petit frichti dans sa chambre, manière de ne pas quitter Antoine. La bricole pique-nique : jambon, frometobe, pomme. Elle se déplace comme un fantôme sur de la moquette. Le sommeil du bébé, pour elle, c’est sacré. De ce côté-là, il est réglo, Toinet. Pour la dorme, il fait la pige à Béru. Ses douze plombes d’affilée, il se cogne, sans escale ! Quèquefois, au matin, il rouscaille un peu, because le tintamarre du monte-charge contigu. Félicie lui cloque vite un bibe d’eau sucrée et notre lascar repart dans ses angeries.

Je suis fort surpris, en regagnant notre appartement, de percevoir un bruit de voix basses. J’entre et mon cœur efface un coup de chaleur. Qui trouvé-je, en conversation ? Ma brave femme de mère et Martin Braham.

Ils parlent puériculture. Braham explique à ma vieille l’importance du fromage dans l’alimentation de bébé.

Je reste coi. Bras ballants. « L’Homme » me sourit. M’man, radieuse, m’explique que cet aimable voisin vient de lui rapporter un chausson d’Antoine qui était tombé dans le couloir. Les yeux de « l’Homme » semblent contenir des bulles de champagne. Tout sourit dans son beau visage, malgré son air songeur. On bavasse un moment encore, après quoi, il m’adresse un signe discret pour m’intimer de sortir avec lui. Je l’accompagne dans le couloir.

— Qu’êtes-vous venu fiche chez ma mère ? m’emporté-je.

Il allume une cigarette puisée dans un étui d’or.

— A vous de le deviner, mon jeune ami.

Et d’appuyer sur le mot « jeune » comme s’il voulait me faire sentir que je ne lui arrive pas à la cheville. Le monde est bien fait, mine de rien. Les vieux sont fiers d’être vieux, et les jeunes d’être jeunes ! Bravo, continuez, mes drôles, moi je vous attends là !

— Reconnaître les lieux ? suggéré-je.

Il hoche la tête.

— Pourquoi reconnaîtrais-je un appartement qui est la réplique du mien ?

— Alors, placer une machine infernale sous mon lit ?

— Nous ne sommes plus au temps de Ravachol.

Martin me saisit le bras, non pas familièrement, mais au contraire, d’une manière très mondaine, comme fait un monsieur de la bonne société pour vous glisser une confidence à l’oreille.

— Accompagnez-moi jusqu’à ma chambre, souffle-t-il.

— Pour quoi faire ?

— Une bonne action !

On arpente le long couloir où se déroule une moquette monotone et déjà passablement tachée.

Parvenu devant sa porte, Braham sort sa clé et me la tend.

— Soyez gentil, murmure-t-il, allez dire à votre poussah qu’il déguerpisse de chez moi. Vous ne vous figurez tout de même pas que je vais me laisser mettre à mal par un crétin embusqué derrière le rideau de ma douche ! Je crois, cher San-Antonio, que vous me sous-estimez.

C’est ma fête, aujourd’hui. Voilà que je suis enguirlandé non seulement par mon chef, mais aussi par la personne qu’il m’ordonne d’abattre. Décidément, tout ça démarre vachement mal !

Beau joueur (c’est la ressource des perdants), je pénètre chez Braham tandis que ce dernier fait les cent pas dans le couloir.

— Ohé, gros ! hélé-je, dès l’entrée.

Personne ne répond.

— Radine, la Gonfle, c’est râpé !

Le silence s’obstine. J’actionne le commutateur. La chambre est vide. Les rideaux masquant la baie vitrée s’arrêtent à vingt centimètres du sol et aucun pied n’apparaît en dessous. Je coule un œil sous le lit : rien ici non plus. Voyons donc la salle de bains…

Mamma mia ! Intelligents comme je vous ai façonnés, vous avez déjà compris que là, par contre, il y a du pas ordinaire !

Que dis-je ! De l’extra !

De l’extraordinaire, même…

D’ailleurs, faut ! Quand t’es parvenu à ce point d’un polar, si t’as pas un coup de théâtre, ton nez dix teurs renvoie le bouquin à l’usine pour malfaçon. Tu peux toujours lui porter plainte aux prud’hommes, tu parles, avec les relations qu’il dispose, tu te retrouves en calbute sur le trottoir, à solder ton manuscrit comme papier chiotte. Et encore, t’es victime du beau vergé 70 grammes dont t’as fait les frais pour épater le comité de lecture. Les gens s’arrêtent, feuillettent, hochent la tête :

— Du faf à train, ça ? Dites, vous êtes pas aimable avec les hémorroïdes de vos contemporains, vous, l’artiste !

— Vous pouvez écrire au verso ! t’objecte timidement.

— Au verso de conneries pareilles ! Sans blague, qu’est-ce vous faites de notre standinge, mon petit bonhomme ?

Alors faire des bateaux et des cocottes à vos lardons ?

Pour qu’ils apprennent des insanités ! Que selon les caprices des pliures, leur bateau s’appellerait peau-de-mes-burnes ou va-te-faire-mettre, avec un auteur aussi mal embouché !

Cerné, je vous dis !

Mât cache bonne eau ! Tu peux pas amortir un manuscrit commak quand il est refusé par l’éditeur.

Conclusion, faut jouer le jeu pour qu’il soye agréé. Pas oublier les péripéties. Tiens, la scène érotique : si tu la rates, tu l’as dans le sac, mon z’ami ! Autrefois, tu te permettais un petit couplet un peu trop chaleureux, fallait voir comment tu te faisais censurer par la maison-père ! « Dites donc, c’est scabreux, ce passage ! Où vous croyez-vous ? On vous a pas demandé de récrire Gamiani ou les Mémoires d’une chanteuse allemande ! Vous prendriez pas de la cantharide à votre machine, des fois ? »

Maintenant, c’est tout le contraire. T’écopes de coups de semonce style : « Comment se fait-il qu’il b… si peu, dans votre dernier, San-A. ? On a reçu des réclamations ! Y n’s’envoyait que quatre filles, caisse ça signifie ce travail ? Il devient lymphatique, ou quoi, le commissaire ? Il s’hypertrophe du kangourou. Va nous falloir un bataclan du tonnerre, dans le prochain, pour compenser. Que ça fume, nom de Dieu ! Et pleurez pas le descriptif ! Le lecteur doit s’y croire, vous m’entendez ? Choper son panard au moins trois fois en cours de lecture. Et de l’ingéniosité, surtout ! La dernière fois, il s’embourbait une gerce sur un paratonnerre, c’est mesquin comme situation ! Du déjà vu ! Tout le monde brosse sur un paratonnerre ! Faut pas le prendre pour un enfant de chœur, le lecteur ! »

J’invente rien, parole. Le métier d’auteur, c’est pire que d’être pilote de boeinge. Ça requiert plus de vigilance. A bord d’un polar, t’as pas le pilotage automatique. Faut que tu te davémaverdaves tout seul, sans fausse manœuvre, sans omission irrémédiable. Si t’as pas ta moyenne aux tests : allez, fume ! A la casse, l’auteur ! Chez Mister Plumeau, d’urgence ! Couique ! Couique ! comme disent les Anglais !

Non, moi, vous pensez, je fais gaffe de me cramponner à mon os. Je risque pas de vous rater le coche, rapport aux scènes clés. C’est noté sur mon planinge. Chapitre tant : coup de théâtre ! Page tante : scène orgiaque ! etc. Surtout qu’a de la surenchère ! Des chosefrères lécheurs qui doublent la ration pornoche, manière de se faire bien regarder du garde-chèques. Z’en remettent que tant pis si après ils sont en rade de descriptions salées. Ne savent plus à quelle glande vouer leurs z’héros. Dans quelle position les embroquer.