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Mais j’ sus là qu’on cause chiftir, métier, bonnes recettes cependant que vous vous languissez à la lourde de la salle de bains.

Vous savez ce dont j’y découvre ?

Mon Béru assassiné, les gars !

Voilà, c’est dit, c’est lâché ! Je vous accorde un petit répit pour que se calme le remue-ménage de vos cellules grises.

Bérurier, le Gros, le Mastar, la Bedaine ! Mon ami. Mon très cher collaborateur. L’homme-courage ! L’homme-bélier ! Lui qui marche toujours et jamais n’avance ! Le Boulimique ! Monsieur Berthe ! L’enfant de Saint-Locdu-le-Vieux ! L’inspecteur principal Alexandre-Benoît Bérurier gît sur le carreau, dans une mare de sang. Il est en bras de limouille. Deux petits trous ronds percent sa chemise à la place du cœur. Il est blafard ! Ses paupières sont pudiquement baissées sur un destin qui fut hors série, hors chéries. Je me permets une longue et morne plainte pareille à celle d’un chien sans abri qui hurle au coin d’un bois. La misère est animale. Elle s’exprime en langage animal. Elle est cri ! Elle est gémissement ! Elle n’a pas de vocabulaire. Elle n’est que le bruit du corps lorsque l’âme a volé en éclats (aurait pu écrire Victor Hugo, de l’Académie française)[5]. Elle geint, elle vagit (mélangez pas les deux mots, ça choquerait). Elle sort des poumons comme l’air d’un pneu crevé. C’est une fuite, une résurgence, une giclance !

— Béru ! Alexandre-Benoît ! Mon gros ! Ma vieille ! Toi !

Je ne sais pas par quel bout choper mon désespoir. Je comprends qu’il est out, terminé ! Deux balles à cet endroit, c’est comme un rouleau compresseur pour un crapaud ; ça ne pardonne pas !

Effondré, et pourtant enragé, je me rue dans le couloir. Me jette sur Martin Braham, lequel examinait une eau-forte (à 90°) représentant le général Franco organisant la défense contre les troupes envahisseuses de Napoléon Ier.

— Vous l’avez tué ! grondé-je. Misérable ! Vous l’avez tué !

Il se dégage d’une secousse dont la violence me laisse baba.

— A d’autres, commissaire ! Vous ne m’aurez pas avec une ruse aussi grossière !

Je le défrime, hébété tout à coup par la netteté de son ton. Eh quoi, ce ne serait pas lui ? Ma parole, il me chambre ! Le renard le plus rusé de ma carrière…

J’essaie de deviner… Il a découvert le Gros, chez lui. Plus prompt que mon pote, il l’a plombé. Ensuite il est venu me chercher en me demandant de le faire sortir pour que je découvre le corps le premier. Il espère que j’écraserai le coup ! A présent, il joue les étonnés. Dans quel but ! Il ne compte tout de même pas me faire croire à son innocence !

— Il est mort ! fais-je. Mort ! Et c’est vous qui l’avez abattu ! Ah ! misère… Le meilleur type du monde !

Les larmes me jaillissent. « L’Homme » considère mon chagrin et paraît surpris.

Je déballe rageusement mon ami Tu-Tues.

— Si vous faites un geste, je vous liquide comme un chien galeux. Braham ! tonné-je. Et je me fous que ça ne ressemble pas à un accident !

— Mais enfin, je ne l’ai pas tué ! s’emporte-t-il, et vous le savez. Cessez vos simagrées.

On incohère. Mordez la fantaisie de la situation, mes gamins. On est là, à douter l’un de l’autre comme des naves. Ça confusionne sous ma coiffe. Je me dis : S’il croit que je ruse, c’est donc qu’effectivement, il n’a pas assaisonné mon Gros.

Seulement ne fait-il pas semblant de croire que je ruse ? Je rengaine ma pétoire pour retourner à sa chambre. Je cavale au téléphone. Ici, les standardistes ne sont jamais pressées de répondre. C’est des petites boulottes à moustache, avec de grosses jambes poilues et de la séborrhée. Impatienté je martyrise le tabulateur. Vous me croirez si vous voudrez (comme disait mon cher Bérurier) mais je claque des dents. Et puis v’là qu’un tremblement s’empare de tout moi. Je me porte plus sur mes fumerons, les gars. En digue-digue du cul, le San-A. Je lâche l’appareil. Bascule sur la table du téléphone. J’halète. Je me dis que Martin Braham peut profiter de la situation à sa guise. Me compucter aussi. Il aura pas de réactions, le commissaire bien-aimé.

Je fais des efforts pour surmonter mon étourdissement. Allons, quoi, merde, je suis un homme, d’après les demoiselles que j’ai rendues dames. J’aperçois « l’Homme » dans l’encadrement de la porte, revolver au poing. Un casse-noix muni d’un chouette silencieux, s’il vous plaît ! Va-t-il me distribuer du rabe de purée ? Non : il pénètre dans la salle de bains. A cet instant précis, je comprends qu’il est innocent du meurtre de Béru. Car il est entré pour vérifier que je ne mentais pas !

Mais alors QUI ?

Quelle horrible salade sanguinolente ! Quelqu’un, dépêché d’ailleurs, est-il venu ici, chargé de la même mission que moi ? A-t-il pris Béru pour « l’Homme » ? Un bruit sourd retentit. Suivi d’un tintamarre de verre brisé. Je me dresse. Qu’arrive-t-il encore ?

Eh ben, je vais vous le bonnir, mes canailles.

Il arrive, Béru !

Tout simplement.

De la salle de bains… Une matraque noire à la main.

Il est couvert de sang. Il va refermer la porte donnant sur le couloir. Il renifle, me cligne de l’œil.

— Renard, mes fesses ! déclare-t-il. J’ai employé ce qui fallait de temps et de mise en scène, mais je me l’ai payé.

PITRE CINQ

Martin Braham a pris la place du Gros, sur le carrelage de la salle de bains. Un peu de rose souille sa chevelure de neige, dans la région de la nuque. Il est « out » pour un bout de temps.

— J’y ai mis la dose colosse, assure le Vaillant. J’savais qu’un zig comme lui, si tu le cueilles pas d’emblée, t’es cisaillé pour ce qu’est des repêchages. Impossible de jouer les barrages av’c un partenaire de cette nature. D’autant qu’y se méfiait, à preuve !

Il ramasse le pistolet à silencieux de « l’Homme ».

— Non, mais t’as vu ce matériel qu’il bénéficiait ? De l’outil haute précision. A Genève, Vacherin et Constanton feraient pas mieux s’ils fabriqueraient des sulfateuses au lieu de tocantes. Avec ça, tu pralines m’sieur le maire en plein conseil municipal sans que lui-même s’en aperçusse. Grâce et souplesse ! C’est pas un pétard, c’t’une ballerine. La mort par transistor, quasiment ! Tu penses à la détente et le coup part sans faire plus de bruit qu’un pet de myosotis. Tu sais que c’t’objet vaut une fortune au salon de l’Equipement de burlingue ?

Il l’empoche.

— Faudra inspecter ses bagages, j’ai idée qu’il fourmille du gadget, Césarin. Dans son job, l’accessoire, c’est tout ! Comme chez nous, la patate. Car, comme le disait mon neveu, le boxeur : « Vaut mieux avoir une bonne droite pour soi que le bon droit ! »

Tout en parlant, il détortille un fil de Nylon, dont en homme précautionneux, il a pris soin de se munir, et entrave énergiquement les chevilles et les poignets de sa victime.

— Pourquoi tout ce cinéma ? lui demandé-je, il était convenu que tu te planquerais simplement chez lui pour l’estourbir…

— Yes, môssieur, seulement ce vieux malin, quand y reste pas devant son Dubonnet, il emmène son Dubonnet avec lui. Viens mater…

Et de m’entraîner dans la chambre.

Avec une grâce pachydermique et une aisance qu’on ne trouverait dans aucune fosse (fut-elle d’orchestre), Sa Majesté escalade une chaise peinte qui paraissait robuste avant qu’il ne s’y juchât, et passe la main dans l’une des tulipes de soie de la suspension. Lui, vous le connaissez — ce qui ne cède pas, il le brise. V’là mon gros lard qui tire d’un coup sec. Le lustre s’illustre en dansant une gigue espago. Les lumières, en se balançant, impriment à la pièce un illusoire mouvement de rotation qui n’est pas sans rappeler les conséquences d’une forte gueule de bois.

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5

On ne le précise jamais, car l’Académie n’est glorieuse que pour ceux qui ne le sont pas.