Une fois dans le couloir, Irma me dit :
— Mon Dieu ! La fornication est ambiante et je l’ignorais ! Tout le monde copule dans l’enthousiasme et je me desséchais misérablement ! Je voudrais avoir la foi pour remercier le Seigneur de m’avoir enfin placée sur le droit chemin du sexe.
— Venez, décidé-je en la poussant dans ma chambre, je vous ai fait naguère des promesses dont je vais raccourcir l’échéance.
Et bientôt, elle s’entraîna à crier, elle aussi, ces mots de virago servant aux vocalises de Berthe ! Elle les avait admirablement mémorisés. Proférés par elle, ses « fourre-moi toute ! », ses « je la prends dans les miches, ta grosse bite ! » et autres insanités, se drapaient de poésie, avaient des sonorités de basson et aussi de harpe, parfois.
Le lendemain, excepté Apollon-Jules, tout le monde était exténué et nous ne quittâmes Bruxelles que tard dans l’après-midi.
TROISIÈME PARTIE
LA CACHETTE
CAP SUR LE CAP NORD
Ce n’est pas un livre de bord que je tiens là, aussi gazerai-je sur la partie « touristique » de cette randonnée, malgré toute la cocasserie qu’elle revêtit parfois.
Du point de vue itinéraire pur, nous traversâmes le nord de l’Allemagne, contournâmes Hambourg, gagnâmes le Danemark, le remontâmes jusqu’à Frederikshavn où nous prîmes le ferry pour Gôteborg. De là, nous poursuivîmes notre marche triomphale sur Stockholm où nous nous octroyâmes deux jours de repos à cause du malheureux Félix que son sexe recousu faisait cruellement souffrir.
Nous quittâmes alors la Suède et prîmes un nouveau bateau qui nous conduisit à Turku, en Finlande. Nous continuâmes plein nord, par Vaasa, Oulu, Kemi, Rovaniemi (la capitale de la Laponie finnoise comme je crois te l’avoir indiqué précédemment), Sodankylä. Là, mon guignolet se mit à trépigner, car nous nous trouvions à proximité du but de notre voyage ; mais il nous fallait continuer afin de donner le change aux Russes qui, peut-être, observaient les rares étrangers s’aventurant dans cette région perdue.
Ensuite, ce fut Ivalo et nous pénétrâmes dans cette partie septentrionale de la Norvège qui coiffe tour à tour la Suède et la Finlande. Le cap Nord est une île ; un ultime bac nous transporta à Honningsvàg, l’agglomération la plus au nord de l’Europe, aux maisons peintes de couleurs vives, ce qui en égaie un peu la mornitude.
Peu après, c’était enfin, après bien des contours qui nous permirent de surplomber des lacs étagés, des prairies nues peuplées de somptueux rennes blancs, des fjords dentelés attaqués sans trêve par une grosse mer grise et houleuse, c’était, dis-je, l’immense lande pelée, sinistre, de cette fin de monde à l’extrémité de laquelle se dresse, commerce oblige, une espèce d’hôtel-bazar dont les baies s’ouvrent au-dessus de l’océan cataclysmique.
Nous laissâmes nos véhicules sur le gigantesque parking naturel et bravâmes les monstrueuses rafales de vent pour nous approcher du terminus européen. Au bas de la falaise, un navire noir passait, qui semblait minuscule et promis aux abysses.
Voilà pour le tracé de notre voyage aller. Au plan vie commune, si je devais produire une relation consciencieuse des incidents de parcours, ceux-ci furent si nombreux que le reste de ce prodigieux ouvrage n’y suffirait pas. Je me contenterai donc de mentionner les principaux. Le plus important fut la souffrance de Félix. Sa plaie mal placée s’était infectée. Il eut un gros accès de température et nous faillîmes le faire hospitaliser à Rovaniemi, mais il refusa. Tout ce que nous obtînmes de lui, c’est qu’il aille consulter un médecin du cru.
Le jeune praticien finlandais chez qui nous le conduisîmes, fut, comme tous les gens non initiés, abasourdi par le chibre du vieux prof et, tout comme ses autres confrères, tint à le photographier. Son émerveillement était tel qu’il prit plusieurs clichés du monstrueux zob avec sa femme et ses enfants. Je regrette de ne lui avoir point demandé de nous adresser un tirage de sa bobine.
La photo où la jeune épouse rit large comme une publicité de Coca-Cola en tenant sa joue appuyée contre la tête du nœud de Félix doit constituer un document intéressant ; de même que le cliché qui montre ses deux petites filles jumelles tenant à quatre mains maladroites ce champignon géant serait le bienvenu dans le Livre Guinness des Records.
Sa photomania assouvie, le docteur Houktuvâjyvâa, examina la blessure, fit la grimace qui s’imposait et entreprit de la soigner. Il usa à la fois de méthodes modernes, mais appliqua pour finir un onguent lapon, à base de glandes séminales d’élan ; à compter de son intervention, le blessé se mit à aller mieux de jour en jour.
Outre « le cas Félix », il est bon de préciser, pour la petite histoire, que la Bérurière oublia son lardon dans les toilettes d’une auberge d’Ivalo et qu’elle s’en aperçut après que nous eûmes passé la frontière norvégienne. Ce fut la chère Irma qui retourna récupérer le mouflet avec sa Jeep et qui régla les trente-deux Mars et les quarante-quatre Bounty qu’Apollon-Jules avait consommés pendant ces quelques heures de liberté inespérée.
Dernier fait notoire qu’il serait idiot de passer sous silence : le professeur honoris caudal de la faculté de Boston fit beaucoup l’amour pendant ce périple. A l’insu de Félix, naturellement. Ce dernier étant groggy, rien n’était plus aisé à Irma que de se faire sauter quand l’envie l’en prenait (et il l’en prenait tout le temps !). Pour ma part, je dus la baiser une vingtaine de fois et il en alla de même pour Béru qui, en outre, prévoyant l’avenir de Félix et voulant le lui rendre confortable, sodomisa Miss Ladousse après deux jours intensifs de manigances anales, grâce d’ailleurs au précieux concours de Berthe, championne absolue de la feuille de rose, catégories dames et messieurs confondues.
Citons encore deux crevaisons et le changement d’une durit, et tu détiens la liste complète de nos avatars.
On savoure des grogs derrière les vitres dépolies par le crachin.
— On s’croirerait en Bretagne, remarque Béru.
Il souffle sur son brûlant breuvage et demande :
— Bon, on est au cap Nord, et ça nous avance à quoi ?
— D’avoir appris à jouer de la harpe avant de mourir, répond ce lettré de Félix.
Il dit cela pour Irma et moi, sachant bien que ni les Béruriers ni mes lecteurs ne comprendront.
Maintenant, je dois t’avouer une chose : j’ai organisé ce raid sans mettre Béru au parfum. Le gros sac à merde en aurait parlé à sa rombiasse et, au moment où nous mettons sous presse, la Terre entière le saurait.
— On va rentrer par le chemin des écoliers, fais-je plaisamment. La Finlande est si belle que j’ai envie de m’y attarder. Nous nous choisirons un coin peinard non loin d’un lac, dans la forêt. Nous y pêcherons la truite saumonée et cueillerons l’airelle sauvage.
Mais la Bérurière proteste :
— La Finlande, je vous la fais cadeau, Antoine ! Bouffer des ragoûts de renne aux pommes de terre presque crues, mercille bien, j’en ai soupé.
Je frotte mon genou contre le sien, la regarde avec volupté et susurre :
— Il n’y a pas que la bouffe dans la vie, ma chérie !
Jusque-là, j’ai réussi à y couper avec elle et elle paraissait en avoir pris son parti. Mais mon coup de saveur lui ranime les fantasmes.
— Je vous dis pas, Antoine, mais c’est mieux quand est-ce on a la bouffe corrèque et l’aut’ chose que vous faites allusion.
— Et puis, renchérit Béru, d’après selon ce dont j’ai pu m’rend’ compte, y font l’él’vage des moustiques dans c’putain de bled ! Non, moi j’rentre en mettant toute la sauce. D’ailleurs Apollon-Jules a clapé la dernière boîte de foie gras à son quatre heures d’hier soir. C’tait un peu justet, la cantoche d’ secours, Antoine, sans vouloir te vexer.