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Cette dénoyauteuse de braguettes a tôt fait de lui dégainer la rapière. Elle met à jour un paf finlandais mélancolique comme un poème de tuberculeux. Du braque septentrional, blanchounet, rosâtre, flasque, avec de la peau excédentaire et un gland pas du tout frivole.

— Ben mon pépère, c’est pas la gloire, soupire Berthy. Si t’as jamais rien eu de plus présentable à montrer aux dames, je comprends qu’tu soyes devenu un vieux charognard de garde ! Qu’est-ce tu voudrait-il que je fasse de ça ? C’est pas jour d’abats ! Je me croive chez mon tripier. Bon, je vas tenter de te turluter un peu le Nestor, dans le cadre des premiers secours aux noyés, des fois que la respiration artificielle le ranimererait, mais dans ton cas, j’voye que Lourdes pour c’ qu’est d’obtiendre un résultat.

Elle s’agenouille en geignant devant l’irascible et commence à le pomper. Sursaut du bonhomme, effaré complet ! La pipe, cézigo, no connaître ! Elle est pas encore arrivée jusqu’au cercle polaire ! Il a jamais entendu causer, même dans les légendes nordiques.

Histoire de mieux capter la mémorable séance, je fais coulisser un peu plus le guichet. Je prends alors un choc sur la noix. C’est mon appareil polaroïd que j’avais accroché à un piton vissé dans la cloison et qui vient de me choir sur la coupole.

L’aubaine ! Merci, Petit Jésus pour cette bosse opportune ! Je vérifie la languette qui dépasse : il me reste trois photos à tirer. J’arme le bidule et j’attends. Dans le camping-car, le garde a fini d’effarer, il trouve la tétette à son goût, le bougre. Découvrir ça à soixante et mèche, c’est vraiment une bénédiction du Seigneur dont les décisions sont toujours insondables. Le voilà qui trouve un regain, imagine ! Sa marionnette fait bravo et pirouette entre les doigts prodigieux de Berthe. Son pacsif de tripes devient plus présentable. La Bérurière grogne de contentement et, le mufle comme celui d’un chien enragé arpentant les campagnes d’autrefois, admire son œuvre résurrective.

Clic ! fait mon polar… oïde !

La courageuse dame, émule de Jeanne Hachette, repart au boulot. Maintenant, Pépère caracole du chibre. Le voilà sur orbite. Parti pour la gagne. Charogne ! Quinze ans de bouteille, tu parles d’une ivresse !

Je mate ma première photo. Le camping-car est très clair à l’intérieur et l’image est parfaite. On voit bien le vieux crabe, mi-confus, mi-pâmé, avec son panais pas franco du collier sortant de la main puissante de Berthaga, et elle, aux babines carnassières, regardant triomphalement la bandaison inespérée du dabe ! Moment d’anthologie ! Triomphe de la nature souveraine.

Elle est surdouée, Berthe Bérurier, dans ces instants ineffables. Elle vit la queue du mâle. Aucun de ses réflexes ne lui est étranger. C’est la Toscanini du braque ! Faut la voir pistonner des mandibules tout en secouant le trognon du Finnois. Carogne ! Faut que ça crache ou que ça casse ! Beau ! Très beau ! On aimerait applaudir l’exploit. Il faudrait la verve d’un Philippe Gildas pour commenter cette performance : La Tête et les Jambes ! Sauf qu’il s’agit d’une tête de nœud. Le garde, il s’y croit ! C’est l’apothéose de sa vie de con !

Et Mémère qui ne doute plus de rien et s’envole ! Qui tombe son bermuda et offre sa voie royale au glandu. A-t-il jamais tiré en levrette, cet arpenteur de lac ? Improbable. Sa gaucherie le prouve.

Mais quand il s’est positionné : « Clic ! » refait mon polaroïd. Juste à l’instant propice, biscotte le triomphe est de courte durée, Pépère ne dispose pas de la vigueur ni de l’autonomie suffisantes. Elle a eu les yeux plus grands que la chatte, Berthy. Voilà qu’il mollit du roudoudou, Albert ! Il pige qu’il a trop présumé et que la mayonnaise prendra pas. Les jeux du cirque, ça n’a jamais été de sa région et ce n’est plus de son âge. Y a qu’au-dessous du cinquantième parallèle qu’un sexagénaire peut régaler une dame dans cette position.

Il boutique un peu le cul de Berthe, à tout hasard, escomptant un retour au carburo. Qu’on ne sait jamais ; le corps est si fantasque ! Mais, ouichtre ! C’est Pavie ! Waterloo ! Bientôt son bistougnet escarguinche et de cerf-volant redevient fil à plomb ! Son beau mandrin de fête, même aux objets perdus, il ne le retrouvera pas : il n’a trique qu’un seul été.

Berthe considère cette débandade d’un œil fataliste mêlé d’écœurement.

— Mon pauv’ bonhomme, soupire-t-elle, si ton zob se tenait seulement aussi raide que ta moustache, tu pavoiserais ; mais là, j’croive bien qu’il est reparti sans laisser d’adresse.

Mécontent, le vieux fumelard se rajuste. Elle lui plaisait pourtant bien, cette grosse vachasse ! Si au moins elle avait continué de lui pourlécher le zigomard, il serait peut-être arrivé à une issue heureuse. Mais la grosse affreuse s’y croyait déjà et, sans transition, voulait se faire grimper levrette ! Tu parles, il a déjanté dans la première crevasse venue, l’alpiniste des monts de Vénus !

Moi, je me pointe, les photos toutes fraîches à la main.

— Il est temps de partir ! me déclare le vieil austère.

Un acharné, hein ? Il aurait éternué dans le joufflu de Berthy, peut-être qu’il se serait montré clément. Mais là : service service ! Son échec le confirme dans son intraitabilité ! Etre vachard, c’est le lot de consolation du berné. L’échec engendre la fumelardise.

— Vous dites que vous m’emmenez devant la justice ? je demande au gapian.

— Ja !

— Et si je dis que je n’ai pas pêché, que vous mentez ?

Il suffoque.

— Je suis assermenté !

— Et si je montre au juge ces photos d’un assermenté ?

Je brandis les images devant sa moustache-rincebouteilles.

Putain ! Ce changement à vue !

Il se marmoréise, le dabe ! Du Rodin de la bonne année !

Je renfouille les clichés.

— Bien, je suis à votre disposition.

Mais pour lors, le chant du départ lui vient mal. Il ne bronche pas. Se sait floué complet ! Il préférerait se praliner le chignon à la perspective qu’on puisse voir une dame lui pomper le dard, puis se l’engouffrer dans sa malle-poste ! Pour lui, ça représente le déshonneur, le bannissement. Des larmes lui viennent. Il tend la main, implorant :

— Donnez-moi « ça ».

— On verra plus tard !

— Vous allez dîner avec nous ? propose Berthe. J’ai du poisson tout frais ! Traduisez-lui, Antoine.

Elle montre ma pêche au garde. Il pousse un grand cri de détresse. Me vocifère que le gros poissecaille qui ressemble à une truite arc-en-ciel est en réalité un braäkmaar géant, espèce disparue partout ailleurs sur la planète. Il n’en reste qu’une dizaine dans le lac Nikitajärvi. Et voilà que nous allons le claper comme s’il s’agissait d’une vulgaire carpe !

— Je l’ignorais, mon pauvre vieux, dis-je à Pépé. Faites-vous une raison et laissez agir Mme Bérurier : elle cuisine aussi bien qu’elle suce.

Tu vois, la vie est pleine d’imprévus. Telles relations entre des êtres qui débutent très mal tournent parfois à l’amitié la plus farouche. Faut dire que la présence de Béru et le picrate qui coule d’abondance mettent du liant dans les relations.

Le garde est déjà raide-bourré en passant à table. Je consacre l’ultime photo de mon chargeur à le flasher en train de découper le braäkmaar. Un comble pour celui qui est chargé de veiller sur les illustres locataires du lac ! Mais il a décidé de prendre son parti de l’aventure. En Finlande, excepté le vin de Carélie, dans le sud du pays, tu ne trouves comme alcool que de la vodka et des dérivés. Il est asphyxié par le beaujolais primeur, notre ami Uhro (c’est son prénom ; son blaze complet c’est Uhro Kelkonäar). Bérurier l’initie. Marrant comme deux poivrots peuvent correspondre sans utiliser un dialecte précis. Des mimiques, des gestes, des onomatopées suffisent. Une bourrade remplace une phrase bien ciselée, un clin d’œil équivaut à un bon mot et une imitation de pets modulés avec la bouche tient lieu d’histoire drôle.