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— Ils étaient combien de messieurs dans le bateau, Pollon ?

— Deux.

— Et qu’est-ce qu’ils t’ont fait ?

Le gamin frissonne et cesse de mâcher son éclair. Le voilà qui se met à trembler, ma parole ! Il largue ses gâteaux et se jette contre moi en sanglotant.

Je lui caresse la tête, les joues.

— Allons, allons, mon bébé, c’est fini, tu ne crains plus rien ! Dis à tonton Antoine ce qu’ont fait ces vilains messieurs.

Il bredouille :

— Y avait derrière la fenêtre des gros poissons méchants, plus gros que papa, plus gros que maman, avec des grandes dents. Les messieurs m’ont dit qu’ils allaient me donner à manger aux poissons si je disais pas…

— Si tu ne disais pas quoi, mon gros lapin des champs ?

— Si je disais pas ce que papa et tonton Antoine ont trouvé dans la forêt.

— Et tu leur as répondu quoi donc, Pollon d’amour ?

— Que vous avez trouvé une dame morte.

Merde ! Le môme avait donc retapissé le cadavre de la pauvre Karola ! Et il n’avait marqué aucune réaction. Déjà aguerri, l’artiste : comme papa, te répété-je !

— Ils ont dit quoi ?

— Que c’était pas ça qui les intéressait.

— Qu’est-ce qui les intéressait ? Ils te l’ont expliqué ?

— Ils ont fait un dessin.

— Et il représentait quoi, ce dessin, ma poule ?

— Un machin.

— Je vois. Il était comment, ce machin-là ?

— Ils ont dit : en ciment, avec une manette à chaque bout.

— Et…

Et puis non, et puis merde. Je n’ai plus de questions à poser au témoin, Votre Honneur.

L’homme est un roseau pensant. Moi de surcroît, je suis un roseau penché. Je vais rejoindre le groupe. Berthe s’est changée et sent l’eau de Cologne.

— Irma, fais-je en cueillant l’adorable professeuse par la taille, puis-je vous demander un service ?

— Tout ce que vous voudrez, mon bel Antoine.

Son regard est en train de craquer ma braguette. Charogne, je lui en glisserais bien une de first quality dans le joufflu, histoire de faire chuter sa tension et sa culotte.

— Cela vous contrarierait beaucoup de retourner en Belgique en emmenant les Bérurier ?

— Non, bien sûr, mais pourquoi ?

— Je reste dans le secteur encore quelque temps : raisons professionnelles, ma douce.

— Vous savez, grand fou, rien ne nous presse, on peut vous attendre ?

— Je préfère pas.

Elle lorgne sur Kitège qui se tient discrètement à l’écart.

— Ne serait-ce pas cette ravissante fille, vos « raisons professionnelles », beau don Juan ?

— Secret… également professionnel, ma tourterelle.

Et comme Félix regarde ailleurs, je lui roule une galoche montante qui lui gouzille la luette.

FLEUR BLEUE, FLEUR POURPRE

Sais-tu ce que c’est que « l’ivresse blanche » ? C’est quand tu es ivre sans avoir rien bu. Ivre parce que la vie te devient soudain infiniment bienveillante et docile, lumineuse comme un soir d’Andalousie.

Il y a une heure, je croupissais au fond de l’horreur, du chagrin, de l’échec. Et soudain : miracolo ! Poisson d’avril ! Le sort nous faisait seulement une sale blague.

Deux fabuleuses certitudes dominent : Apollon-Jules est vivant et les braves Russes n’ont toujours pas récupéré leur vérolerie de minerai puisqu’ils ont fait pression sur le moutard pour essayer de savoir si nous nous avions mis la main dessus.

Donc, à cet instant, je traverse la période « au temps pour moi ». Le compteur est de nouveau à zéro.

A zéro ?

Voire !

Il rit dans sa barbe récente, Antoine. Et puis, tiens, il est trop heureux, faut qu’il chante. Comme toujours dans les instants de liesse intérieure, c’est la vieille chanson de papa qui me jaillit : Les Millions d’Arlequin. Je brame à tue-tête au volant du campinge-car, en suivant la Lada vert pomme de Kitège. D’où la tenait-il lui-même, cette rengaine, mon cher vieux disparu ?

Au refrain, je me fais saigner la torgnole :

Mais, ce n’était qu’un rêve d’amour. Oh ! le divin mensonge d’un jour Trop court.

Bientôt, je réalise que chanter est insuffisant. C’est la baise qui s’impose si je veux aller jusqu’au bout de mon bonheur.

On roule dans de la forêt bien verte. Un faon (de chichourle) cabriole en nous apercevant et fonce retrouver sa mother.

Je file quelques petits coups de klaxon impétueux pour alerter Kitège, les ponctue d’appels de phares et mets mon cligno à droite parce que là s’amorce un brin de clairière.

Ce que voyant, elle en fait autant. Je me range près d’une source que dix romancières en pleine méno qualifieraient de « murmurante », alors qu’elle ferme sa gueule, la source en question, elle coule et puis c’est tout et ça va bien comme ça ; pas toujours rajouter la chantilly sur les gâteaux, merde, ça finit par foutre la gerbe !

Ma chère jolie guide vient se ranger auprès de mon véhicule à poils longs.

Nous sortons simultanément de nos guindes.

— Vous avez des ennuis ? se soucie la Finnoise.

— Au contraire, fais-je : j’ai un surcroît de bonheur, un excès de joie, une overdose de contentement. Je viens de prendre une décision, my darling : vos années sabbatiques vont commencer à faire relâche, aujourd’hui vous avez droit à une mise en liberté conditionnelle.

Elle ouvre ses grands yeux pleins de lumière et de tout ce que tu voudras.

— Que voulez-vous dire ?

— Venez dans mon astucieux véhicule, Kitège, je vais vous expliquer. J’aime la nature, j’en suis même complètement fou, mais il y a deux choses que je me refuse à y faire : l’amour et des pique-niques, car elle est incompatible avec ces deux plaisirs de la chair.

Et j’ajoute en français, puisqu’elle ne parle pas cette glorieuse langue :

— J’abomine les sandwiches aux fourmis et je ne supporte pas de voir mes testicules transformés en pelotes à épingles, ce qui arrive immanquablement quand on astique une sœur sous des conifères.

Tu paries qu’elle a pigé le topo, la chérie. Elle le voit bien dans mon regard salace que ça va être la plantureuse ramonée impromptue. Les grands-mères de son espèce raffolent être grimpées au débotté, commak, tout de go. Elle était là à cahoter dans sa bagnole russe (tiens, je croyais que le père Uhro détestait les Popoffs, et pourtant il roule Lada, le moustachu ! Tu sais pourquoi ? Parce que cette tire est pas chère. Le porte-lasagne, mec ! Le porte-lasagne ! Après le fion, c’est ça qui régit le monde. Combien j’entends de lanturlus dauber sur les Japonouilles et qui vivent dans une débauche de Nikkon, de Suzuki, de Honda, de Sony, de Seiko (à quartz).

L’intérieur du mobile home, faut reconnaître, il fouette un pneu la tanière béruréenne ; y a des remugles, des relents, des miasmes, bien que j’aie ouvert toutes les fenêtres, tous les hublots. Un combiné très infect de chiottes mal entretenues, d’indigestions hasardeuses, de vents sédentaires, de menstrues incontrôlées. Une basse croupissance de fauves, une accumulation de linges raidis par la crasse, une imprégnation irréversible de sueur de bagnards, d’éjaculations en trombe.