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Je m’en excuse auprès de Kitège, si propre, si nette, si claire. Je mets l’ensemble de ces odeurs au compte du pauvre Apollon-Jules, dont je prétends qu’il fut « contrarié » par le voyage. Contrarié ! Pauvre chou. Je l’imagine dans le sous-marin de poche, contemplant des poissons-monstres auxquels on lui promettait de le donner en pâture.

Je chope une bombe déodorante pour réodorer un peu l’habitacle. Avec l’espoir que le pin des Vosges l’emportera sur la sanie des Béru.

Et puis après avoir refermé toutes les fenêtres, je crée la pénombre complice des amoureux novices et je branche la climatisation. Son ronronnement, autant que l’air frais qu’elle diffuse, nous emporte vers les merveilleux abandons. On s’allonge sur le canapé-lit. Je la prends dans mes bras, lui baisote la nuque, lui mordille le lobe, lui léchouille les baffles.

Elle ferme ses paupières, pousse des soupirs.

On est bien ; on a le temps. Personne sur des centaines d’hectares ! Je me sens paré pour recommencer le monde et, cette fois, le réussir.

Il existe différentes catégories en amour. Tu as l’amour bestial, l’amour fou, l’amour grave. C’est à cette dernière qu’on peut rattacher notre étreinte du camping-car. Un amour qui part à la recherche de lui-même et qui se découvre par paliers. Paliers de décompression, oserais-je dire. Mes entreprises sont lentes, réfléchies ; ses acceptations profondes. On s’accouple en gens sérieux, pour qui ce n’est pas de la bagatelle. Merveilleuse exploration de deux êtres qu’un élan incoercible (comme l’eût écrit la comtesse de Ségur si elle avait fait carrément dans le porno au lieu de bricoler dans la culotte Petit Bateau humide) a projetés l’un contre l’autre et qui, au lieu de se déchaîner comme des animaux, veulent faire de cette double connivence un présent à Dieu.

Pourquoi cette soudaine gravité ?

Pourquoi ce refrènement de nos sens ?

Comment parvenons-nous à tempérer une telle incandescence ? A la plier à la discipline de la suave volupté, celle qui chemine lentement ?

Mystère somptueux qui nous soude. Et qui, j’ose le dire sans jambage, nous ennoblit.

Et cependant (d’oreille), elle a droit à tout, ma Kitège. Non, n’attends pas de moi une énumération graveleuse de mes hauts faits. Juste pour te faire comprendre le sérieux et l’intensité de notre fabuleuse étreinte : je lui groume le bigornuche pendant une heure dix-huit minutes pour, ensuite, lui enfourner le grand Nestor durant une plombe quarante, avec un déburnage en cours de parcours, je le reconnais, mais repris de volée et remonté en neige façon Rotary (pas le club, l’instrument ménager) pour un total rééquilibrage de la membrane perverse.

Ce genre de perfo, mon gamin, y a qu’un maestro du radada pour la réussir. J’en sais quatre-vingt-dix-neuf pour cent qui disjoncteraient après le lâcher de ballons. L’enchaînement est périlleux, il nécessite une concentration rigoureuse et une volonté de bronze. Si tu songes au cours de la Bourse à ce moment-là, tu te plantes. Ou plutôt, te déplantes. Le secret c’est de ne pas baisser la cadence mais de continuer dans ta foulée d’athlète comme si de rien n’était. Alors l’instant triomphal arrive où Coquette retrouve ses marques et se met à l’unisson de ta volonté. Pour lors, tu peux décélérer, faire dans la mignardise, risquer des figures libres : c’est tout bon. T’as ton attelage bien en main, tu drives ton char (tu trouves pas qu’une biroute et ses accessoires ressemblent à un char romain ?) jusqu’à l’arrivée. En apothéose. Ta partenaire t’ovationne. T’as gagné. Tu peux faire ton tour d’honneur en saluant la foule et en écumant le potage à la paresseuse.

Moi, Kitège, à franchement parler, c’est plus qu’un magnifique coup de cul : un intense coup de cœur. Marrant que, dans ce polar de mes choses, j’aie eu à rencontrer deux Mères en manque : Irma et elle. La première a du carat et un temps de retard monumental à récupérer ; pour Kitège, c’est seulement un ramadan prolongé à compenser.

Ayant retrouvé la voie radieuse de la jouissance, elle se presse contre moi et murmure :

— Merci. Maintenant, je sais ce que c’est qu’aimer.

Joli, non ? Une littéraire, quoi !

Elle a la reconnaissance du pubis (comme dit Dechavanne), cette petite mère.

Un baiser long comme le tunnel sous la Manche et nous remontons dans nos bagnoles respectives.

J’aperçois sa nuque par la vitre du hayon, cet or presque argenté moussant sur sa peau bronzée. Tu sais que les poils de sa touffe sont exactement pareils ? Je t’avais pas dit ? Excuse-moi : elle m’a tellement chancetiqué le mental que je manque à tous mes devoirs de vacances de grand romancier européen.

Je roule en laissant vagabonder ma pensée. Je butine, de ma suave nouvelle conquête au sous-marin de poche, du sous-marin à la cachette toujours inviolée, semblerait-il.

Je me sens aiguisé comme un coutelas de boucher. Je fonctionne de la gamberge à cinq mille tours. Je suis sorti du marasme. Une aube se lève.

Nous parcourons une douzaine de kilomètres, après quoi je lui refais le coup du klaxon et de l’appel de phares.

Merde, faut pas qu’elle croie que je veux remettre le couvert ; pas si rapidos, j’ai déjà donné (abondamment).

Je saute de mon bus pour courir à sa portière.

— Kitège ! j’halète ; Kitège !…

Elle me virgule un sourire qui ressemble à celui d’une chatte.

— Eh bien ?

Je passe ma main dans sa tire pour saisir son cou duveteux.

— N’attendez pas la retraite de tonton Uhro, partez avec moi : je vais vous ramener en France et vous installerai dans mon joli studio des Champs-Elysées. J’irai vous faire l’amour tous les jours !

Et sais-tu ce qu’elle me sort, très calmement ?

— Pendant combien de temps ? Une semaine, un mois ?

J’en coite.

Elle reprend :

— Vous aimez trop les femmes et les femmes vous aiment trop pour que vous puissiez vous consacrer longtemps à la même. Partir avec vous, c’est accepter de souffrir à brève échance. Aucun humain n’a envie de souffrir. Restons-en là, Antoine. « Un beau souvenir fleurit, une grosse déception pourrit. » C’est un proverbe de notre grand poète national Savonntonkuü qui est mort l’an dernier.

— Nous en avons un, en France, qui dit « Ce qui est vécu n’est plus à vivre », et un autre que je vous récite de mémoire : « Ni temps passé, ni les amours reviennent. »

— Ce dernier est d’Apollinaire, fait-elle, et le premier ?

— Jacob Delafon. Votre rêve, en somme, est celui de toutes les femmes : épouser un fonctionnaire pour faire des enfants et bâtir une villa « Sam’Suffit » avec lui ?

Elle se déportiérise pour me tendre sa bouche. Valse des patineurs, mouillette chercheuse.

Elle reprend souffle et, me regardant droit dans les yeux, déclare :

— Vous avez gagné : d’accord, je pars avec vous !

Ça, c’est de la gonzesse !

La voix du général Durdelat est cotonneuse, avec des hachures. Je l’appelle du relais de chasse de Bonäpéti, une construction au toit en cornette de religieuse. C’est à la fois moderne d’architecture, et tristounet. Pas d’âme, ça se délabre avant d’être complètement terminé. Les murs sont en rondins grossiers, et quand tu pénètres dans la vaste salle déserte, tu te heurtes presque à un immense ours naturalisé (finlandais) avec une babine en bois peint en rouge et des yeux d’une férocité de cauchemar d’alcoolique. A droite un bar avec, tout près, une vitrine où des conneries pour touristes sont à vendre : bois de renne, couteaux de chasse, poupées en costume national, batée miniature de chercheur d’or, etc. Une grosse femme hostile tricote des hectomètres de chaussette dans un fauteuil, tandis que son vieux, saboulé Davy Crockett, écoute un poste de radio surgelé, ravaudé avec du sparadrap.