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Elle sursaute, se dresse sur un coude.

— Ne vous affolez pas, mon cœur, c’est moi.

— Mais, et mon oncle ? se prend-elle à redouter.

— Soyez sans inquiétude, ma chérie : il vient de partir avec son bateau.

— Vous êtes sûr ?

— Je l’ai vu. Nous devrions mettre son absence à profit pour nous en aller, ainsi nous éviterions une scène pénible.

Mon argument lui paraît valable.

— Hâtons-nous, la pressé-je, je vois que vos bagages sont prêts.

— Je ne me suis pas couchée avant qu’ils ne le soient. Je vous demande dix minutes pour me préparer et écrire un mot gentil à mon oncle.

— Voilà qui est bien.

La barque jaune a disparu. Qui donc m’a prétendu qu’un bateau qui marche sans pilote se met à tourner en rond ?

QUATRIÈME PARTIE

LE RETOUR

ÉPISODE DE PARCOURS

Moi, les Finlandais, y a quelque chose qui m’échappe concernant leur code routier. Il t’oblige à rouler à 80 km/h sur des routes larges, rectilignes et à peine fréquentées, et d’y circuler tes lanternes allumées alors qu’il fait soleil même la nuit.

Cela dit, je veux bien y souscrire partiellement, en laissant briller mes calbombes, mais pour ce qui de la vitesse, tu permets, Totor ? A cent quarante je déferle sur l’asphalte finnoise. C’est d’autant moins risqué que depuis que je me déplace dans ce bioutifoul pays, je n’ai pas encore croisé un seul drauper, qu’il soit à pince, à bidet ou à moto.

Et, franchement, j’ai de bonnes raisons d’appuyer sur la pédale. J’aime pas laisser un mort derrière moi, fût-ce dans une contrée désertique. Je connais la perfidie des probabilités et n’ignore pas qu’il se trouve toujours et partout des témoins. Nulle part tu es à l’abri d’un fâcheux, d’un intempestif. Alors mon intérêt est de boulotter du ruban pour, le plus rapidement possible, franchir la frontière suédoise. Remarque qu’en Scandinavie, leurs frontières sont vachement poreuses. Les douaniers restent invisibles et tu as l’impression de te baguenauder dans un seul et même pays. Je pense que si je me faisais serrer en Suède ou en Norvège, y aurait pas chouchouïe de formalités pour me ramener à mon lieu de départ. Peut-être que je me goure, mais je sens les choses commak. C’est au Danemark que je commencerai à respirer.

Alors je dévale direction sud. Ivalo, Sodankylä, Rovaniemi. On franchit la frontière entre Tornio, Finlande, et Haparanda, Suède. Midi approche et nous avons faim. Je quitte la grand-route pour adopter la voie de contournement pour Luleä, sur le golfe de Botnie.

Au port, je trouve un hôtel-restau à la façade joliment peinte et aux fenêtres à petits carreaux. Je gare ma caravane sur le parking proche et j’emmène claper ma compagne. Jusque-là, elle s’est montrée éteinte, Kitège. A plusieurs reprises j’ai vu couler des larmes sur ses joues (où voudrais-tu qu’elles coulassent ?).

— Vous regrettez de venir avec moi ? ai-je questionné doucement.

Elle a goupillonné ses pleurs en négativant du chef.

— Non, mais oncle Uhro a été gentil avec moi, malgré tout.

Ce « malgré tout » me fait tiquer.

Je lui en demande la raison et elle finit par m’avouer que le vieux tonton la poursuivait de ses « acidités », comme dit Béru. Sitôt qu’elle a été sous son toit, il a tenté de la calcer, mais comme il triquait mou et qu’elle se démenait comme une belle diablesse, il n’a pu parvenir à ses faims.

Comprenant qu’il lui fallait jeter du lest pour l’équilibre de leurs rapports, Kitège lui taillait une petite plume quand la digue du cul bichait le vieux garde. Chaque fois, elle se luxait le poignet parce qu’il dégorgeait pas fantoche, le moustachu. Pour l’exciter, elle devait lui montrer sa chagatte après avoir passé des bas noirs ayant appartenu à sa mère-grand. Elle lui astiquait le pompon à l’huile de foie de morue, pas qu’il carbonise du panais, ce sagouin. La vraie séance homérique ! Heureusement, ses sens engourdis ne réclamaient pas souvent. Ça dépendait de la lune, assure-t-elle.

Donc, il y allait de son voyage environ une fois par mois ! Kitège mettait un poignet de tennisman pour se garder les muscles au chaud et essuyer la sueur perlant à son front. Elle bichait des lancées jusque dans l’épaule. Enfin, Pépère balançait sa fumée en poussant des onomatopées finnoises. Ça devait valoir le jeton, une saynète pareille. Je me fais mon ciné. Plutôt tristounet !

Les hommes sont vachement dégueulasses, non, sans blague. Mais quoi, c’est pas leur faute s’ils ont un petit canon dans le froc, sans cesse disposé à tirer !

Au restau, c’est nickel, bien ciré, empesé. Deux serveuses dodues à trognes rouges égayées de verrues, la chevelure clairsemée, d’un blond tirant sur le roux, avec d’immenses yeux très clairs et très cons, se mettent en frais pour nous. On commande du saumon mariné, des harengs à la moutarde et des boulettes de viande à la confiture de myrtilles. La bouffe commence à s’amadouer un peu. Le pain est extra, la bouteille de vin allemand se laisser vider. On déjeune copieusement.

Je déplace la salière, la corbeille à pain et le petit pot de fleurs contenant trois œillets tristes pour saisir la menotte de ma conquête. Elle me sourit frêle. Seigneur, qu’elle est belle ! Je le lui dis et j’ajoute qu’après le repas, nous nous chercherons un endroit discret où garer le camping-gare afin de s’offrir une sieste polissonne.

Tout en morfilant, je prépare un projet d’envergure destiné à faire reluire cette miraculeuse enfant. Je veux qu’elle en perde la tête, qu’elle crie son fade aux quatre points cardinaux ou, pour le moins, épiscopaux (épices, qu’au pot, et pisse copeaux, etc.).

Du coup, finito son chagrin d’honnête nièce. Le mironton est virgulé dans l’arrière-salle de sa mémoire. D’ailleurs, les vieux, on se les rappelle jamais très longtemps. Ils sont faits pour disparaître.

Un bon caoua, trop fort à mon goût, je douille la plus vioque des serveuses qui, dans sa tenue noire et blanche très raide, ressemble à une religieuse luthérienne. Je lui cloque un pourliche ronflant. Si important qu’elle doit croire que je lui commande une pipe et que je la règle d’avance.

On se casse en se tenant par la taille.

Mon camarade Dubraque fait déjà de la culture physique dans mon calbute à la perspective de la halte campagnarde promise.

Mais, rapidos, il joue « Le Petit Chose ».

Tu sais quoi ? Mon camping-car n’est plus sur le parking !

Mon premier sentiment est une curieuse sensation de « déjà vécu ». Je crois « reconnaître » cet instant. Mon subsconscient l’a-t-il prévu ? Mon « moi second » l’a-t-il « vu » par avance lorsque j’ai abandonné mon véhicule ?

Je regarde le rectangle de goudron taché d’huile et une foule de pensées confuses m’assaillent. Cocu ! Zobé ! Nique ! Les Russes ont eu le dernier mot. J’ai retiré les marrons du feu et ils n’ont eu qu’à les prendre ! Dans cette âpre lutte pour la barre de béton, j’ai eu la révélation, l’éclair ! C’est ma pomme qui a crié « Euréka » dans sa Ford intérieure, dirait Béru.

Le premier jour, en la voyant dans la barque de feu tonton, j’ai eu la pensée que ce que nous cherchions tous devait « ressembler à ça ». Plus tard, cette image est revenue me harceler. Et puis, incidemment, lorsque nous allions à Véröltua, roulant devant les Bérurier, Kitège et ma pomme, j’ai demandé à la jolie où son tonton avait déniché le stabilisateur de son canot. Elle m’a répondu qu’il l’avait trouvé dans le lac, parmi des ajoncs, près du bord. Et alors ç’a été un trait de tu sais quoi pour moi ? De lumière, oui, mon ange. Je me suis dit que jusqu’alors on carburait sur les dires du pauvre Strogonoff. On avait pris sa confession à Karola Heinaven pour du miel des Alpes, mais le gars avait modifié la vérité (euphémisme pour dire qu’il avait menti).