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— Noble reine, dit-il, si vous daignez m’accepter pour votre époux, sachez que je vous serai loyal, fidèle, plein de respect… et aussi aimant que vous m’y autoriserez ! Je compatis à votre douleur. Ce que l’on exige de vous est plus que difficile… hors nature ! Mais j’essaierai de vous aider, de toutes mes forces, à surmonter cette épreuve en vous demandant infiniment pardon d’en être l’instrument…

À mesure qu’il parlait, le visage d’Isabelle se détendait, cependant que l’étau qui tenait son cœur se desserrait. Elle comprit que cet homme, outre la chance qu’il représentait pour le royaume, en était peut-être une pour elle aussi et que, si elle la laissait passer, si elle refusait Henri, le nouveau candidat proposé pourrait être infiniment pire. Un autre Montferrat ?

Le sourire qu’il espérait suivit la réflexion d’Isabelle et, spontanément, elle lui tendit sa main :

— Qu’il en soit selon la volonté exprimée par tant de nobles barons ainsi que par le peuple ! Quant à moi, seigneur comte, sachez que je vous donne ma main avec plus de joie que je n’osais l’espérer…

Une vibrante acclamation salua ses paroles et Richard embrassa avec peut-être plus d’enthousiasme qu’il ne convenait celle qui allait devenir sa nièce.

Le lendemain, dans la cathédrale de Tyr, Isabelle et Henri étaient unis par les liens du mariage… tout juste huit jours après que Conrad de Montferrat eut été porté en terre. Puis Henri fut couronné roi de Jérusalem.

La nuit de noces fut remise à plus tard. Henri avait trop de délicatesse et un trop grand désir de se faire aimer pour imposer dès le premier soir des droits qui eussent pu sembler insupportables. En outre, quelques jours plus tard, durant les préparatifs du départ pour Saint-Jean-d’Acre où le couple royal allait résider désormais, la jeune femme fit une chute et perdit son fruit. Sans grande peine et avec une sorte de facilité : elle n’était enceinte que d’un peu plus de deux mois. Elle reçut cet accident comme une expression de la volonté divine : Henri pouvait désormais être assuré de rester le premier sur ce trône qu’il n’avait pas cherché mais qui, jour après jour, lui devenait plus cher à mesure que grandissait son amour pour Isabelle.

15

La nuit de Saint-Jean-d’Acre

Le 10 octobre 1192, Richard Cœur de Lion quittait à son tour la Terre Sainte, moins heureux qu’au jour de son arrivée. Certes, le royaume était en partie reconstitué, mais en partie seulement : le littoral syrien de Gaza jusqu’à la Cilicie et un peu de l’arrière-pays. Jérusalem, la ville emblème, n’était pas reconquise. Pourtant ce n’était pas faute d’avoir essayé ! Peu après le (troisième) mariage d’Isabelle, l’ost chrétien faisait une nouvelle tentative, remportait des victoires, mais s’arrêtait à cinq lieues de la Cité sainte. Elle était trop bien défendue par ses ravins, ses montagnes, ses murs puissants et les puits d’alentour que Saladin avait fait boucher. Il eût fallu plus d’hommes, plus de machines de guerre, plus de temps… et moins d’écrasante chaleur ! Même les maîtres du Temple et de l’Hôpital conseillèrent le repli. En outre, Richard souffrant de malaria dut rester de longs jours sous sa tente, rafraîchi par les pêches, les poires et les sorbets que chaque jour lui faisait porter le sultan. Ensuite, la paix avait été signée, confortant la bande de terres reconquises et permettant aux pèlerins le libre accès au Saint-Sépulcre.

Il n’y avait rien d’autre à faire qu’accepter… après de si grands rêves, après de si beaux exploits : car Richard, à plusieurs reprises, laissa paraître le fabuleux combattant qu’il pouvait être. À présent il rentrait. Plus tôt sans doute qu’il ne l’aurait voulu, mais l’Angleterre aux mains du détestable prince Jean avait besoin de lui pour s’opposer aux visées de Philippe Auguste, fort désireux d’offrir à la France, avec la Normandie, sa frontière maritime naturelle. Ce retour n’aurait rien d’agréable. Aussi, tandis que s’éloignaient le port de Saint-Jean-d’Acre pavoisé en son honneur et les pentes bleues du mont Carmel, le Plantagenêt se sentait-il le cœur lourd. Il semblait qu’une malédiction pesât sur sa race. Redoutait-il de connaître la même fin pitoyable que son père, Henri II, mort en maudissant le fils qui l’avait combattu, trahi ? L’avenir lui faisait peur (34)

Cinq jours après le départ de Richard, le 15 octobre, Saladin quittait Jérusalem pour aller passer l’hiver à Damas. Le 30, il était à Beyrouth où il reçut Bohémond d’Antioche, dit le Borgne. Bien qu’ayant hérité le comté de Tripoli, celui-ci n’avait participé en rien aux combats pour la reconquête. Il venait lui rendre hommage et solliciter sa protection. Elle lui fut accordée avec de nombreux présents et une pension de vingt mille dinars à prélever sur le Trésor. Mais il y avait longtemps que ceux d’Antioche se préoccupaient uniquement de leurs propres intérêts.

Le 4 novembre, le sultan reçut enfin l’accueil de Damas, après quatre ans d’absence. Un accueil délirant à la mesure de sa gloire, la plus éclatante qu’eût connue l’Islam depuis celle du Prophète. Hélas pour Saladin, ses jours étaient désormais comptés. Le samedi 21 février il mourait d’une fièvre typhoïde, ne laissant pour tout héritage que quarante-sept dinars, une pièce d’or tyrienne… et bien sûr un empire qui ne résisterait guère à son absence. L’argent ne représentait rien pour lui et il l’avait toujours dépensé à profusion pour le bien de ses armées, de ses peuples… et même des vaincus dont il paya nombre de rançons et qu’il assista quand il s’agissait de femmes ou de pauvres gens. Auprès de lui, à l’heure dernière, l’imam Ahû J’affer récitait les versets du Coran traitant de la fin de Mahomet : « Les ténèbres succédèrent à l’éclat du jour quand cet astre arrivé à son déclin disparut dans la nuit du 27 safer. Avec lui, les sources de la lumière s’obscurcirent, avec lui moururent les espérances des hommes. La générosité disparut et l’inimitié se répandit… »

Depuis son arrivée à Acre, Isabelle s’était prise d’affection pour cette blanche forteresse, cité de la foi mais aussi du commerce, jetée sur la mer comme une branche de lys et qui avait su, avec une incroyable rapidité, effacer les traces du terrible siège. Elle n’oublierait jamais le beau jour de son arrivée, accompagnée d’Henri. Toutes les rues jusqu’au port étaient tendues de courtines de soie aux couleurs vives ; des tapis de soie jonchés de fleurs et de brindilles de cèdre illuminaient le chemin et, devant les maisons, on avait placé des encensoirs dont les fumées odorantes emplissaient les rues d’une brume légère et bleutée. Toute la ville – elle comptait alors quelque soixante mille habitants – était venue à leur rencontre, dans ses plus beaux atours et portant ses plus belles armes. Des jeunes filles vêtues de blanc marchaient à reculons devant eux en jetant des fleurs à la tête des chevaux que contenaient les écuyers. Des processions de religieux leur présentèrent bannières et reliques qu’ils baisèrent avant d’être conduits à la cathédrale Sainte-Croix où ils entendirent la messe. Les pauvres reçurent d’eux de larges aumônes. Pour la première fois, la jeune femme goûtait le plaisir d’être reine devant la ferveur manifestée par cette cité qui devenait la capitale du royaume.

Ensuite, Henri partit rejoindre son oncle Richard dans sa dernière tentative pour reconquérir Jérusalem mais son absence fut courte. Sa jeune épouse en profita pour s’acclimater et s’habituer à son nouveau palais qui lui rappelait celui de Naplouse. C’était une belle demeure proche du port, construite jadis pour un riche marchand de Venise. Les pièces en étaient vastes, avec de larges ouvertures sur la mer ou sur le jardin intérieur. Tout y était magnifique, paisible et changeait Isabelle de l’austère château de Tyr et plus encore des noires murailles du Krak de Moab, dont le souvenir reculait à présent dans sa mémoire. Elle s’y efforçait d’ailleurs, souhaitant de toutes ses forces effacer les souvenirs cruels afin qu’ils ne la gênassent pas dans ce métier de reine qu’elle voulait exercer au mieux pour le bien d’un peuple que sa grâce et son sourire venaient de séduire.