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— Vous êtes si belle, ma sœur ! Le bonheur vous ira bien car c’est, je l’espère, ce que vous trouverez dans cette union. J’espère aussi que vous aimerez ceci.

Sur un signe de lui, Thibaut mit un genou en terre devant Sibylle, élevant entre ses mains le coffret que la jeune fille ouvrit, découvrant une ravissante couronne qui était d’ailleurs l’œuvre de Toros : un large cercle en filigrane d’or représentant un treillage de feuilles et de fleurs en émeraudes et en perles.

— Oh, que c’est joli ! s’écria-t-elle ravie. Sire, mon frère, vous êtes toujours si généreux !

— Vous êtes ma sœur et vous vous mariez : c’est le moment ou jamais de l’être !

Dans sa joie, elle fit un mouvement pour l’embrasser, mais il la retint doucement de sa main gantée :

— Non… Votre plaisir est ma plus belle récompense. Je vous laisse à vos parures !

Il tourna les talons et Thibaut se pencha à son oreille pour murmurer :

— La jeune fille au bouquet de roses ! Elle est là, devant la dernière fenêtre.

Il tressaillit, ne dit rien et continua son chemin, mais son regard à présent était fixé sur Ariane. Elle s’en rendit compte et s’empourpra tandis qu’à son approche elle laissait ses jambes plier tout naturellement ; quand Baudouin fut devant elle, il lui fut impossible de soutenir le feu de son regard et elle baissa la tête :

— Comment êtes-vous ici ? demanda-t-il avec une grande douceur.

— La très haute et très noble dame votre mère m’est venue prendre chez mon père pour être au nombre de ses filles suivantes.

— Vraiment ? Alors pourquoi seule dans ce coin ? Vous devriez être avec les autres ?

Cette fois elle osa plonger ses yeux dans ceux du jeune roi :

— La lumière y est meilleure et je dois me hâter de finir ces ornements de manches, fit-elle en désignant le petit tas de samit azuré qui s’était formé à ses pieds.

— Elle ne le sera plus longtemps car voici le crépuscule ! Je… je suis heureux de vous savoir ici…

Ayant dit, il s’éloigna à grands pas rapides, craignant peut-être qu’elle ne réédite son geste fou de l’autre jour, mais il avait tort. Ses dernières paroles emplissaient la jeune Arménienne d’une joie si forte qu’elle était à deux doigts de perdre conscience et il lui fallut un peu de temps pour réussir à se remettre sur pied, puis à s’asseoir à nouveau sur son tabouret. Les anges chantaient pour elle avec la voix de Baudouin si étrangement profonde chez un aussi jeune homme… Et cette voix avait le don de la bouleverser comme nulle autre ne le pouvait.

Elle eût été plus heureuse encore de savoir que Baudouin partageait son émotion. Thibaut s’en rendit compte lorsque, en regagnant son logis, celui-ci pensa tout haut :

— Elle dans ce palais ! Comme c’est surprenant ! Je croyais bien ne plus jamais la revoir et voilà que je la retrouve chez les dames ! C’est assez incroyable, non ?

Le roi parlait pour lui-même et pour les courants d’air, pourtant Thibaut n’hésita pas à s’introduire dans son monologue.

— Elle vous l’a dit : votre mère l’a fait chercher…

— Non ce n’est pas cela qu’elle a dit. Je l’entends encore : « Votre mère m’est venue prendre ! » Ma mère se serait rendue elle-même au quartier arménien pour l’en ramener ? Quand on la connaît, cela n’a pas de sens.

— Elle semble être une très habile brodeuse pour ce que j’en ai pu voir…

— Mais il y en a déjà beaucoup parmi les dames et demoiselles qui l’entourent. Alors pourquoi celle-là ? Tu devrais essayer de savoir, Thibaut !

L’écuyer fit la grimace. S’aventurer dans les entours de la « reine mère » ne lui souriait guère. D’autant moins que Renaud de Sidon, l’actuel époux de la dame, était parti pour son fief afin d’y rejoindre le comte Raymond de Tripoli et d’y accueillir avec lui le marquis de Montferrat. Le fiancé, en effet, devait toucher terre dans le port de Sidon et Baudouin tenait à ce que belle et noble escorte lui soit donnée à sa sortie du navire pour l’amener avec honneur à Jérusalem. Jocelin de Courtenay l’accompagnait avec moult barons.

Thibaut n’était pas assez fat pour s’imaginer que, parce que son époux était au loin, Agnès l’entreprendrait, d’autant que le bel évêque de Césarée n’était jamais bien loin d’elle – l’état de grâce devait être son ordinaire car apparemment Héraclius la confessait de jour comme de nuit ! –, mais il la savait femme d’impulsion prompte à saisir le moment et il ne tenait pas à courir le moindre risque. La sagesse serait de s’adresser d’abord à Marietta : la nourrice du roi avait accès quand elle le voulait aux appartements d’Agnès. Cependant il fallait répondre à Baudouin :

— Je ferai votre volonté, sire, mais permettez-moi une question.

— Comme si tu avais besoin de ma permission !

— Cette jeune fille… Ariane pour lui donner son nom, semble vous intéresser.

Un grand sourire éclaira le visage songeur du roi.

— Elle s’appelle Ariane ? Quel joli nom et comme il lui va bien. Mais si tu savais cela, pourquoi ne me l’as-tu pas dit ?

— Parce que, cher seigneur, vous ne me le demandiez pas. Je croyais… que vous aviez oublié.

— Comment aurais-je pu l’oublier ? Ses lèvres avaient le goût de la pomme et la fraîcheur de la menthe… mais que désires-tu savoir ? Tu voulais me poser une question.

— Une question ? Pardonnez-moi, sire… Mais je crois que je l’ai oubliée…

— Cela te reviendra plus tard.

Le visage brun du jeune homme revêtait la plus candide innocence. En fait, Baudouin sans le savoir lui avait répondu et Thibaut venait de comprendre qu’il pensait beaucoup à « la jeune fille au bouquet de roses ». Sans doute au point d’en être tombé amoureux. Restait à savoir si c’était pour lui bonne ou mauvaise chose mais, se souvenant du regard rayonnant d’Ariane quelques instants plus tôt, Thibaut se décida pour la première éventualité : même un garçon de peu d’expérience comme lui voyait d’évidence qu’elle l’aimait de toute son âme…

L’arrivée de Guillaume de Montferrat, surnommé Longue-Epée, fut le signal de grandes réjouissances. Des réjouissances sans arrière-pensées d’ailleurs, tant il était évident que ce mariage serait béni par l’amour et que les fiancés s’étaient aimés au premier regard. Sibylle eut même pour son frère un élan de gratitude joyeuse, toute reconnaissante de lui avoir choisi si bel époux. Guillaume en effet était un garçon d’environ vingt-sept ans, de haute taille et bien proportionné. Son visage aurait pu servir de modèle au masque d’un empereur romain et ses yeux noirs contrastaient heureusement avec ses cheveux blonds. On le savait preux chevalier, habile à manier ce long glaive qui lui pendait au flanc. Sage et réfléchi, peu bavard mais bien disant, il semblait posséder toutes les qualités requises pour faire un excellent roi. Sibylle, elle, le trouva superbe et, comme il fut conquis d’emblée par la beauté de la jeune fille, il y avait là toutes raisons pour que leurs noces fussent une véritable fête.

Le jour du mariage, Jérusalem sentait les viandes rôties, les épices, les fleurs que l’on avait répandues par centaines sur le passage du cortège, le vin qui coulait des fontaines, la cire chaude et l’encens. La ville était pavoisée des ruisseaux jusqu’au sommet de la tour de David où dans le vent léger claquaient les deux bannières unies du roi et du marquis de Montferrat. Dans les rues on chantait, on dansait, on festoyait et dans la grande salle des Preux, au palais, toute parée de tapis et d’oriflammes, toute bruissante de soies précieuses, toute scintillante de lumières, les jeunes époux avaient pris place dans le double siège placé sous le grand écu de Jérusalem, vers lequel convergeaient les regards de la noble assemblée où se retrouvaient les grands noms du royaume. Sibylle, vêtue selon la coutume de satin rouge clair tissé et brodé d’or, son grand voile de même couleur retenu sur ses cheveux blonds par la couronne que lui avait offerte son frère, semblait curieusement intimidée, mais sous leurs paupières baissées ses yeux ne quittaient guère son époux, aussi ému qu’elle. Ils touchaient à peine à ce qu’on leur servait, mais sans cesse leurs mains se frôlaient et des vagues de chaleur montaient à leurs visages. Ils frémissaient visiblement de l’impatience de se retrouver seuls dans le grand lit parfumé de myrte et de pétales de roses qu’on leur préparait. Guillaume buvait beaucoup. Sans doute pour vaincre son émotion.