Выбрать главу

— Eh bien, à vrai dire, je…

— Je le savais ! clame Mme de Mouillechagatte. Voyez-vous, bon ami, un sens de l’observation comme le mien, ça n’existe qu’en un seul exemplaire. Je vous dis à quoi j’ai su ? Ces deux taches brunes sur la face interne de votre index et de votre médius à la main droite. Alors là, pas de doute. Déjà Gaëtan, le grand-père d’Alcide, les avait.

Pinuche examine ses deux doigts incriminés, jaunis par la nocive nicotine de ses mégots.

— Vous n’ignorez pas, je l’espère, que nous sommes petits-cousins ? lui demande Sidonie.

— Ah, groummm, groummm, vraiment ? enorgueillit Pépère.

— Bédame, réfléchissez, poursuit notre hôtesse. Votre père, le baron Alfred, était le cousin germain de ma regrettée grand-mère, Pulchérie du Carreau du Temple, née Bellemotte de la Fourre ; conclusion : nous sommes issus de germains. Venez me donner l’accolade, cousin !

Pinuche retire son mégot, le loge sur son oreille, à l’épicier, retire son chapeau dévasté par l’âge et les intempéries, ce qui provoque une averse de pellicules sur le tapis virgulé de foutre. Rosissant, flageolant, éperdu, il s’approche de sa singulière parente si miraculeusement retrouvée et la baise au front.

— Mieux que cela, grand nigaud ! proteste l’écrivaine en saisissant la Pinuche par la nuque.

Elle lui roule une magistrale pelle aristocratique qui invertèbre le malheureux, et le relâche aussi brusquement qu’elle l’a emparé. Le père Pinaud tombe simultanément sur son cul et sur le tapis seldjoukide (du XIIIe s.). Je l’aide à se relever. Confus, il marche sur son chapeau qui en a vu d’autres. Voulant redonner forme à la galette bourbeuse obtenue, il le pétrit si malencontreusement qu’il le retourne, si bien que le vaillant couvre-chef est maintenant à l’envers, la bande de cuir à l’extérieur, humble couronne, ainsi que le crépi de pellicules.

Les interrogatoires ne sont pas chose aisée chez Mme de Mouillechagatte.

— Madame, commencé-je, désireux d’aborder le vif.

Mais elle pousse un grand cri et quitte son siège d’une cabriole.

La voici qui ôte son corsage à toute pompe, puis son soutien-gorge.

Une forte odeur de roussi retentit[6].

Sidonie gémit, fébrilise, hoquette, et autres…

Elle possède une poitrine superbe et généreuse, large et ferme, roploplesque, surabondante, bien profilée et qui se jette en avant, à l’assaut de l’amour.

Une rougeur marque son admirable sein droit, lequel n’a d’équivalent que le gauche.

Quelque chose qui y adhérait tombe sur le tapis du XIIIe siècle. Il s’agit du mégot de Pinaud qui a chu dans le décolleté de madame au cours des effusions cousineuses. C’est lui, l’immonde, le gluant, l’incandescent, qui a entrepris de jehannedarquer la châtelaine.

Auteur indirect du dommage, Pinuche se propose de le réparer. Il assure que la salive est une thérapeutique valable en ces cas de brûlure. Si sa cousine le permet. Et sans attendre la réponse, le cher Délabré entreprend d’oindre de la sienne le sein endolori, de manière très suce-sainte. Il léchouille, l’illustre descendant des Manivail du Treuil de la Margèle. Sidonie ne trouve pas la méthode archaïque. Elle dit que les vieilles recettes de bonne femme sont souvent les meilleures. Le baron de la Branle fait fonctionner ses muqueuses à tout berzingue. Pour mieux adhérer, il tient sa cousine par la taille et lui pétrit le pétrus avec pétulance (quel pet tu lances !).

Elle aime ses gémissements changent d’intonation. Et Messire Mézigue commence à en avoir plein ses basques de ces griffes à la con, marrantes à conter, certes, mais longuettes à subir. Il sonne le rappel à l’ordre nouveau, le révérend Tantonio. On n’est pas venu ici pour lécher les nichons à madame de merde ! Non plus que pour se faire raconter la vie sexuelle du valet de chambre, re-merde !

Alors il clame que ça suffit comme ça, le commissaire. Class, à la fin, des cousinages débusqués, des effusions grandiloquestes, des remèdes à base de bave de vieux birbe.

On revient aux choses sérieuses.

— En qualité de voisine, vous deviez connaître feu M. de Bruyère ? demandé-je.

Elle barrit.

— Si je connaissais Clotaire ! Cette question ! Je lui faisais une pipe toutes les semaines en forêt ! Il n’aimait plus que cela, à son âge. Et moi, je raffolais de cette odeur de cuir et de cheval qui se dégageait de son pantalon. Une odeur guerrière, comprenez-vous ? De nos jours, les vraies odeurs se perdent. Nous ne sommes plus définis que par les déodorants chimiques. Pouâh ! Si je vous disais : l’agrément de la pipe disparaît dans les flots de l’hygiène corporelle. Vous sucez un ouvrier portugais, espérant qu’il puera le bouc, que nenni : il sent la savonnette ! Les Arabes ? Pareil ! Propres ! Ah, ce vilain mot ! une conséquence de la civilisation ! Qu’on les vaccine, je veux bien, mais qu’on leur apprenne à se laver, c’est la fin d’un folklore. L’anonymat du paf est une calamité dont l’humanité n’a pas encore pris conscience, et qui est en train de détruire un certain aspect passionnel de l’amour. Que deviendra-t-il, l’amour, avec une fellation standardisée ? Il était indispensable que l’homme sentit l’homme et non le Cadum. Je suis une femme sensuelle, moi, monsieur le commissaire. Je n’ai pas honte de mes instincts. J’appelle un chat un chat et une pipe une pipe. La liberté, c’est avant tout cela. Bon, je passe. Ne suis pas M.L.F. pour autant. La liberté ne peut s’accomplir que dans l’individualisme. Se grouper pour être libre est déjà un début de cessation de liberté, je me fais comprendre ? Parfait. Donc, étant d’une grande sensualité, j’adore la fellation. Mais qui voulez-vous que je pompe ? Lécher une eau de toilette ? Merci bien ! Je vous prends un exemple : vous. Ne sursautez pas. Vous êtes beau garçon, mon cher. Si, si. Et je gage que vous devez vous montrer bon partenaire au lit. Mais pensez-vous un instant que j’aie la moindre envie de vous faire une pipe ? Pas question ! Vous sortez de votre bain moussant, commissaire. Vous traînez des relents d’OBAO, ou de je ne sais quoi parfumé au pin des Landes ou au citron vert. Bref, votre bite, commissaire, a ainsi perdu sa qualité première qui est de dégager des effluves animales, ou plutôt animaux, effluve étant masculin. C’est devenu de la bite aseptisée, pardonnez-moi de vous le dire. De la bite sous cellophane. Je préférerais sucer mon aimable cousin ici présent, dont il est clair qu’il ne surmène pas sa salle de bains. En y réfléchissant, ma dernière pipe délectable remonte au mois dernier, vous vous rendez compte ? Le bénéficiaire en a été un chauffeur de taxi italien. Quand j’ai pris place dans son G7, j’ai été immédiatement alerté : ça sentait la ménagerie. Aussitôt je lui ai proposé cet instant de félicité. J’ai eu toutes les peines du monde à le lui faire accepter : un Italien du sud, vous pensez ! Quatre gosses plus un en route ! Ils sont vertueux, ces gens. Il y a plein d’images religieuses avec leur carte du parti. J’ai du l’inviter à laisser tourner le compteur pendant l’opération. C’était la première fois ! Sa première pipe, commissaire. Il ignorait que cela existait, le chéri.

— C’est passionnant, coupé-je, mais je voudrais qu’on revienne à Clotaire de Bruyère, madame. L’avez-vous comblé le jour de son assassinat ?

Elle me défrime, yeux et bouche ronds.

— C’était quoi, le jour de son assassinat ?

— Le dimanche 4 avril 1976.

— Alors non, jamais le dimanche !

— Par sentiments religieux ?

вернуться

6

Je dis qu’elle retentit car elle est vraiment très forte.