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— Qu’allez-vous chercher là ? Simplement, tous les dimanches nous recevons nos amis parisiens et je ne suis pas disponible.

Je sors la photo de ma poche.

— Vous rappelez-vous d’avoir été photographiés, M. de Bruyère et vous, lors d’une de vos rencontres en forêt ?

— Si fait, par un petit bonhomme qui ressemblait à l’un des nains de Blanche-Neige. Le plus drôle, c’est qu’il ne nous a pas vus, me semble-t-il.

— Son objectif, lui, vous a vus.

Et je présente le cliché. Elle regarde, s’attendrit.

— Le cher Clotaire ! Dites, je n’étais même pas décoiffée.

— Voulez-vous retourner la photo, je vous prie ?

Elle obéit. Lit la date indiquée au verso de l’image.

— Sûrement une erreur, affirme Sidonie de Mouillechagatte sans s’émouvoir.

— Pourtant, le petit photographe est formel.

— Même un homme formel peut se tromper de date, non ? objecte la cousine de Pinuche d’un ton gentil. L’erreur est de 24 heures, mon bon. Cette photo fut prise le samedi dans l’après-midi, moi aussi je suis formelle.

ENQUÊTE QUÊTE QUÊ QUÊTE

Un temps.

Elle nous intime de nous taire, d’un geste flou mais néanmoins péremptoire (je te montrerai comment exécuter, sans se luxer le poignet, un geste flou et néanmoins péremptoire, c’est juste un coup à prendre, comme pour la branlette inversée).

— Je vais vous montrer quelque chose, dit-elle à voix tellement basse qu’on est obligé de s’étendre sur le sol pour la capter.

Elle se déchausse et s’approche de la petite porte du fond donnant sur les communs.

L’ouvre en un éclair caméléonesque.

Son vieux kroum, M. de Mouillechagatte, est accroupi de l’autre côté et se retrouve face à nous, hautement ridicule dans sa posture du chieur turc.

— Votre asthme vous trahit, Adolphe, dit la dame d’un ton cinglant comme un coup de cravache sur une botte.

Puis, à nous, le désignant théâtralement :

— Que je vous dise, messieurs : les Mouillechagatte descendent de Godefroy de Bouillon et se sont illustrés lors de la 1re Croisade auprès de l’avoué du Saint-Sépulcre ; plus tard, ils participèrent à la guerre de Hollande sous Louis XIV le Grand, et plus tard encore, le cardinal de Fleury fit la part belle à un Mouillechagatte à l’issue de la guerre de la Succession de Pologne.

« En remontant les siècles, on trouve un héroïque Mouillechagatte au siège de Sedan et le colonel Agénor de Mouillechagatte, père de ce grand con, se fit tuer au Chemin des Dames. Tout cela, ces héroïques pages d’histoire, cet arbre généalogique flamboyant, engendreur de fruits d’or, pour arriver à qui ? Et je devrais plutôt dire à quoi ? A un Mouillechagatte qui écoute aux portes ! O Godefroy IV, dit de Bouillon, retourne-toi dans ta tombe ! Ou alors sors-en carrément pour venir contempler ce qui subsiste de ta tant haute lignée ! Regarde l’excrémentiel résultat de ta race, son irrémédiable aboutissement. Pleure, Godefroy, ô roi de Jérusalem, ô duc de Basse-Lorraine, écarte les plis de ton suaire et vois la déchéance de ta semence, toi qui battis les Égyptiens à Ascalon. »

Outragé, ricaneur, Mouillechagatte s’est redressé.

— Ta gueule, salope ! dit-il avec dédain.

— Larbin !

— Souillure !

— Paillasson !

Je m’avance en agitant mon mouchoir, tel un plénipotentiaire entre deux armées ennemies.

— Stooooop ! gueulé-je.

Lors, l’homme aux cheveux en brosse prend son air le plus torve, sa voix la plus suintante pour susurrer :

— Cette garcerie vous ment, commissaire. Le dimanche 4 avril 1976 nous n’avons reçu personne pour la bonne raison qu’il y avait eu, les jours précédents, un début d’incendie au château et que les pièces de réception étaient en réfection. Les travaux ont duré deux bons mois. J’ajoute que le dimanche 4 avril, cette gueuse infâme, cette pipeuse-née, cette moins-qu’elle-même, est sortie une grande partie de l’après-midi avec sa Méhari pour, a-t-elle prétendu, une promenade en forêt. Amoureuse des halliers, dit-elle ? Mon œil ! L’enculade, commissaire ! La pipe-tout-venante ! Mon avis est qu’elle drague les gardes-chasse (le « s » à chasse est facultatif). Madame suce la plèbe, vous l’avez entendue comme moi ; mieux que moi, puisque j’étais derrière la porte. Un chauffeur de taxi italien ! Que dis-je : italien du sud ! Vous avez regardé sur une carte où cela se trouvait, le sud de l’Italie, commissaire ? Depuis la Sicile vous faites un grand pas et vous voici en Tunisie, chez les musulmans. Ne vous a-t-elle pas confié qu’elle avait tâté de l’Arabe, cette pourriture ? La femme d’un descendant de Godefroy de Bouillon, mort empoisonné par un infidèle, le cher martyr. Une Mouillechagatte pomper un sémite ! Je la répudie ! Le divorce n’est pas reconnu chez les Mouillechagatte, mais l’annulation par Rome, si ! Je téléphone immédiatement. D’autant que ce Jean-Paul Il n’a pas l’air d’un déconneur, lui. Polak peut-être, mais église-église, hein ! Le petit doigt sur la chaîne de l’encensoir. Vous n’auriez pas son numéro prive sur vous, commissaire ? Ça ne fait rien, je vais le demander aux renseignements, et aux Renseignements généraux si les autres sont défaillants. Ainsi madame pourra retourner au bordel natal. Il y a des moments, commissaire, vous savez ce que je redoute d’elle ? La vérole ! La vraie, la grande. Après chaque étreinte, je me demande si cela va être pour cette fois. Je passe ma vie à examiner ma queue, commissaire. Je la scrute : comme une maman de l’île de Sein scrute l’horizon par gros temps. Je m’attends à y voir lever des boutons, voire des bubons, des plaques, bref, de ces inflammations ou gonflements infâmes qui déshonorent la verge d’un homme. Je sais ce qu’est le suspense, commissaire. Le suspense, c’est chaque fois que je pisse ! Vous pouvez l’arrêter, elle a sûrement tué Clotaire. Le fait qu’elle vous ait menti en dit long sur sa culpabilité ! Salope et meurtrière, elle ne m’aura rien épargné. Je vais dire à mes gens de lui préparer une petite valise pour la prison où, m’a-t-on dit, les nuits sont fraîches !

Et il s’en va.

* * *

— Réponse ? fais-je à Sidonie de Mouillechagatte.

Elle est hautement rageuse, l’écrivaine. Marche de long large en se pétrissant les doigts. On devine des éructations intérieures, des malédictions qui s’accumulent.

S’arrêtant soudain devant moi, elle me dit :

— Ce type, je n’aurais jamais dû l’épouser, commissaire. Si je vous disais qu’il a un testicule qui lui tombe aux genoux. De plus, c’est un incapable. Je fais tout ici, je gère les biens, j’écris des articles, je vis pour deux.

Elle baisse le ton et, de ce fait, pour se laisser écouter, se rapproche de moi. Sa poitrine miraculeusement échappée aux pyromanies du cousin me frôle d’abondance comme deux cornes du même nom.

— Qui vous dit, commissaire, que ce n’est pas lui qui a trucidé l’ami Clotaire ? Jaloux comme il est, ce pédant ! Bon, il assure que je suis allée en forêt le 4 avril ; ne m’en souvenais plus, mais possible après tout ; ne vis pas avec un calendrier dans la tête, ai bien assez de celui où je consigne mes époques, ne réfuterai pas le fait davantage, me suis trompée, cela arrive à tout le monde et surtout aux innocents. Mais lui, l’affreux type, aigri, bilieux, sadique, qui vous dit qu’il ne m’a pas suivie ? Et puis ensuite, bouillonnant de basse rancune, n’a pas révolvérisé Bruyère ? Nuance, commissaire : je n’accuse pas, je suggère. Lui m’accuse au petit bonheur, moi, je me contente de vous objecter : mais, après tout, hein ? N’est-ce pas la poule qui chante qui a pondu l’œuf ? Essayez donc de savoir ce qu’il a fait dans l’après-midi du 4 avril, très cher. Inspirez-vous d’Agatha Christie, Agatha, la souveraine, la géniale, la druidesse du roman policier. Renseignez-vous auprès des domestiques, des voisins, des gardes-chasses, cette engeance pullule en Sologne. Il n’existe pas plus fouineurs qu’eux. Combien de fois avons-nous été surpris sur le fait, Clotaire et moi, alors que je lui taillais une pipe forestière, contre le fût d’un chêne, tandis que les grenouilles des étangs chantaient en grégorien autour de nous et que les frondaisons frissonnaient dans le vent venu de la Loire ; joli, n’est-ce pas, commissaire ? Oui, j’ai quelque style, dommage que ces gens du Goncourt ne s’en aperçoivent pas, mais ils ne s’occupent en fait que de leurs propres livres ; le drame des académiciens, c’est qu’ils demeurent des écrivains. Et cependant, hein ? Ainsi comblés, ils pourraient renoncer ! Couronner ou faire chier les autres, c’est assez pour accomplir pleinement sa vie professionnelle ; mais non : leur esprit de conquête n’est pas calmé pour autant. Quand ils sont de l’Académie, ils guignent le Nobel ou intriguent pour être ministres. Une promotion sociale reste toujours une simple marche, il faut continuer l’escalier. Et c’est quoi, la plate-forme terminale ? Le Panthéon ? Une plaque de rue ? Qu’en pensez-vous ?