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Dans la série Grands Romans,
des auteurs de talent :
Frédéric Valmain, Serge Jacquemard, etc.
En vente partout, et ailleurs.

Que t’ajouter au plan du détail ?

Le calibre de l’arme ? Un 9 mm bougniphasé. On n’a pas détroussé le comte ; d’ailleurs, quand il montait il n’emportait pas d’argent. On a retrouvé sur lui sa montre Piaget, sa chevalière portant l’écusson de la famille et sa gourmette Cartier.

Je reviens au portrait, le compare à la seconde photographie de Clovis. Pas d’erreur, c’est le même homme. Sur la photo du journal il est plus jeune de quelques années. Ça le montre comme ça, en costume de ville, cravate, Légion d’honneur. Tandis que sur le cliché pris par Mayençon, il est en tenue de centaure : limouille à jabot, veste à petits carreaux et col de velours noir, culotte de cheval. Il a une bombe ainsi qu’une cravache sous le bras.

Qui est le comte Clotaire de Bruyère ?

Un encadré en italique nous l’apprend : vieille famille solognote, alliée aux plus grands blazes de France et de Navarre. Le château de Bruyère-Empot est du XIVe, refait au XVIIe, bricolé un chouïa au XIXe. Le comte était âgé de 62 bougies. Divorcé d’avec une actrice épousée dans un moment d’euphorie. Pas d’enfant. Il vivait seul avec ses gens. Il était passionné de langues orientales et traduisait des manuscrits mandchous, kroums, locdus, etc. On ne lui connaissait pas d’ennemis.

C’est laconique, la vie d’un mec, vue de l’extérieur. Tu l’enjambes facile. Lui passes outre sans t’en rendre compte.

Je prends la seconde coupure qui doit dater du lendemain, bien qu’aucune date ne figure. On annonce que la police, sous les ordres du commissaire Guignard, est sur une piste. N’a pas fait long feu, la police. Tout de suite, vraoum ! La chaude piste ! Taïaut, tayaut[2]. On est en Sologne, oublille pas. Le suspect n’est autre que le neveu du comte, Gaspard d’Alacont, un traîne-lattes de luxe, dragueur, drogué, tête de lard, cent dix accidents de voiture, seize arrestations pour coups et blessures dans des boîtes. Le vilain coco très abominable, répudié par sa famille, chèques sans provise à répétition, conseil de tutelle, la lyre…

Ce dimanche 4 avril, Gaspard s’est pointé au château de son tonton. Il n’avait pas rendu visite à son parent depuis plusieurs années. Etait aux abois. Voulait lui implorer de la fraîche pour éviter un scandale de plus.

Bon, il est arrivé en début d’aprème au château de Bruyère-Empot. L’oncle bourrinait en forêt. Le neveu a décroché un fusil de chasse et a annoncé qu’il allait tirer quelques corbeaux dans les environs. Le vrai salingue parce que je te demande un peu, hein ? Des corbeaux qu’il y a rien de plus gentil.

Il est revenu vers quatre heures. M. de Bruyère n’étant pas de retour, il a déclaré qu’il ne pouvait attendre davantage et il est reparti pour Paris. On l’a interrogé. Examiné. Traces de poudre sur les doigts. Explications : parbleu, j’ai flingué des corbacs. Il a été mis à la disposition du juge d’instruction.

Troisième coupure de presse, postérieure aux précédentes de plusieurs jours. Le neveu a été arrêté. On a retrouvé des empreintes de ses pompes non loin de l’endroit où gisait le cadavre du comte. On croit comprendre qu’il a imploré son parent. Celui-ci a été inflexible, voire très dur. L’autre a alors dégainé un pistolet et a buté son pauvre tonton pour lui apprendre à vivre. Effrayé, il est rentré au château d’abord, à Paname ensuite. Malgré ses dénégations, le juge l’a embastillé.

C’est tout. Là s’arrête le documentaire de Mayençon Clovis.

Pas besoin d’être le policier émérite qu’I am pour piger la démarche tortueuse de la pensée mayençonnaise. Le photographe a pris son effet de lumière dans la clairière. Il a découvert le couple au développement. Très surpris, car il ne l’avait pas remarqué dans le viseur. Et puis, le lendemain, on annonce le meurtre. Forêt de Goupillette ? Qu’est-ce à dire ? Mais j’y étais à l’heure du meurtre ! Alors, tu sais quoi ? Il agrandit les personnages de sa photo. Constate que l’homme n’est autre que la victime. Son devoir de citoyen lui commande de porter le cliché aux flics et de déposer. Mais il est foutriquet de naissance, Clovis. C’est un petit bonhomme sans importance, une bricole, un sous-tout. Il redoute les emmerdes. On va lui demander ce qu’il y branlait dans la forêt, lui aussi. Et le pourquoi il flashait les promeneurs. Non, pas de giries ! Il tient à sa petite quiétude de pleutre. Alors il groupe son dossier à lui dans une enveloppe cacateuse et laisse passer le temps. Trois années s’écoulent. Aujourd’hui, il fait une crise cardiaque, croit qu’il va mourir. Le commissaire San-Antonio est à son chevet. Dans un sursaut, Clovis veut soulager sa miséreuse conscience avant que de comparaître devant son créateur.

T’as mordu ? Je t’ai résumé le blaud rondo, non ? Pas qu’on disperse dans les aléas, alinéas, gnagnateries de tout poil.

Je décroche le téléphone pour sonner l’Agency. La Claudette ne devait piper personne car elle décroche aussi sec et parle la bouche libre. Je l’ordonne de me filer Mathias.

— Salut, rouquin ! J’ai besoin d’un tuyau express. Le 4 avril 76 le comte de Bruyère a été assassiné en forêt de Goupillette. Quelques jours plus tard, on a arrêté son neveu, un certain Gaspard d’Alacont. Je voudrais savoir, dans les minutes qui viennent, ce qu’il est advenu de cette affaire. Je suis chez moi.

Et je raccroche.

Je pense à la môme Sonia avec qui j’ai le ranque tout à l’heure. J’ai l’impression que l’opération : bonjour, banane ; adieu, p’tit creux, ce sera pour une autre fois.

Toi aussi, hein ? Me connaissant comme je me connais.

Une magnifique souris, cette Sonia. Elle travaille dans une société de production dont le siège social se trouve dans notre immeuble. Je l’ai rambinée hier, lors d’une providentielle panne d’ascenseur. Vingt minutes nous sommes restés bloqués dans la cabine. Ajoute l’obscurité à la promiscuité et calcule ce qu’un garçon doué peut faire de ces vingt minutes-là. Ce qu’elle a seulement de déplaisant, Sonia, c’est son parfum. Elle se le passe à la lance d’incendie et alors tu la sens radiner à deux lieues. Je suis un mec trop épris de vérité pour tolérer les parfums, ces bas tricheurs. Je veux bien qu’au bout d’un moment tu les oublies, surtout si la gonzesse s’emploie pour, n’empêche qu’ils m’éprouvent.

Alors pas de Sonia pour aujourd’hui. C’est décidé. Je lui dépêcherai Mathias pour m’excuser. Elle risque pas de l’incommoder : il pue encore plus fort qu’elle. Peut-être tentera-t-il sa chance, le Rouquemoute ? Avec sa mégère toujours en cloque, il doit être friand d’une petite fête des sens, mon collaborateur.

Justement, le bigophe carillonne et c’est lui. La célérité, ça le connaît. C’est le roi de la technique. Les affaires, il s’en occupe depuis son labo, ses bouquins, les dossiers. Sur le tas, il est bon à nibe, les gens le déconcertent, je crois. C’est un rat roux, Mathias. Il confine dans sa blouse blanche dégueulasse, toujours perdu dans des analyses, des décryptages.

— Allô, patron ?

— Je t’écoute…

— L’affaire est venue aux assises le 2 février 1978. Gaspard d’Alacont a été condamné à quinze ans de réclusion criminelle. Il purge actuellement sa peine à la Santé.

— Il a avoué, au cours de l’instruction ou du procès ?

— Jamais.

— Le verdict n’a pas été un cadeau. Car enfin, il n’existe aucune preuve formelle qu’il ait trucidé son oncle. Il ne pouvait hériter de lui, se trouvant sous conseil de tutelle. Il ne l’a pas volé. Il…

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2

Ça s’écrit des deux façons.