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— Tu vas la manger ? »

Il y eut une pause. « C’est la question que j’allais te soumettre.

— Il va bien nous falloir essayer tôt ou tard. Peut-être qu’une seule ne suffira pas à te tuer.

— Juste me rendre malade », et elle rit. « Celle-ci cède sous la dent. Il y a une gelée épaisse à l’intérieur. On dirait du miel avec un arrière-goût de menthe. Cela fond dans la bouche. Ça y est. La peau est moins sucrée mais je vais la manger quand même. C’est peut-être le seul élément nutritif. »

Et encore, se dit Cirocco. Il n’y avait aucune raison pour que ce fruit pût les nourrir. Elle était contente que Gaby ait décrit avec un tel luxe de détails ses sensations en mangeant la baie, mais elle en savait la raison : les équipes de déminage employaient la même technique. L’un restait à l’écart tandis que l’autre décrivait ses moindres gestes à la radio. Si la bombe explosait le survivant était averti pour la fois suivante.

Lorsqu’elles eurent jugé qu’il s’était écoulé un délai raisonnable sans effet négatif, Gaby se mit à manger d’autres baies. Peu après, Cirocco en découvrit également. Elles lui parurent presque aussi bonnes que ses premières gorgées d’eau.

« Gaby, je ne tiens presque plus sur mes pieds. Je me demande depuis combien de temps nous sommes debout. » Il y eut un long silence et elle dut renouveler son appel. « Hm ? Oh ! salut ! Qu’est-ce que je fais ici ? » Elle semblait légèrement ivre.

Cirocco fronça les sourcils. Où ça, ici ? Gaby, que se passe-t-il ?

— Je me suis assise une minute pour me reposer les jambes. J’ai dû m’endormir.

— Tâche de te réveiller suffisamment pour trouver une bonne place pour ça. » De son côté, elle cherchait déjà. Voilà qui allait poser un problème : aucun endroit ne semblait satisfaisant. Et elle savait que la plus mauvaise idée était de se coucher seule en terrain inconnu. La seule chose pire serait de vouloir rester debout plus longtemps.

Elle s’avança un peu sous les arbres et s’émerveilla de la douceur de l’herbe sous ses pieds nus. Tellement plus agréable que les rochers. Elle s’y assiérait bien une minute.

Elle s’éveilla dans l’herbe, se rassit vivement et observa les alentours. Pas un mouvement.

Sur une étendue d’un mètre, tout autour de l’endroit où elle avait dormi, l’herbe avait viré au brun, séchée comme du foin.

Elle se redressa et posa le regard sur un gros rocher. Elle s’en était approchée par l’aval tandis qu’elle cherchait un endroit où dormir. Elle le contourna et découvrit sur son autre face une grande lettre G.

Chapitre 5.

Gaby voulut absolument faire demi-tour. Cirocco ne protesta pas ; cela lui parut raisonnable mais elle n’aurait jamais pu le lui suggérer.

Elle suivit le courant et rencontra souvent les marques laissées par Gaby. À un endroit elle dut quitter la berge sablonneuse et grimper dans l’herbe pour contourner un éboulis. Arrivée au gazon elle y découvrit une série de taches brunes ovales espacées comme des traces de pas. Elle s’agenouilla pour les toucher. Elles étaient sèches et friables, exactement comme l’herbe sur laquelle elle avait dormi.

« J’ai retrouvé une partie de ta piste, dit-elle à Gaby. Tes pieds n’ont pas dû toucher l’herbe plus d’une seconde et pourtant cela a suffi à la tuer.

— J’ai remarqué le même phénomène en me réveillant. Qu’est-ce que tu en penses ?

— Je crois que nous sécrétons une substance qui empoisonne l’herbe. Si c’est le cas, nous ne devons pas avoir une odeur très agréable pour les gros animaux qui pourraient en temps normal s’intéresser à nous.

— Voilà une bonne nouvelle.

— En revanche, cela pourrait signifier que nos métabolismes sont radicalement différents. Ce qui n’est pas si bon, côté nourriture.

— Côté conversation, tu es un vrai boute-en-train. »

« C’est toi, là devant ? »

Cirocco cligna des yeux dans la pâle lumière jaune. La rivière courait tout droit sur une longue distance et juste à l’amorce d’un coude se dressait une silhouette minuscule.

« Ouais. C’est moi si c’est bien toi qui agites les bras. »

Gaby poussa un hurlement – un bruit douloureux dans le minuscule écouteur. Cirocco entendit à nouveau son cri une seconde plus tard, beaucoup plus faible. Elle sourit et sentit que ce sourire s’agrandissait de plus en plus. Elle n’avait pas voulu courir – ça ressemblait trop à un mauvais film – mais elle courait malgré tout, et Gaby également, avec des sauts d’une longueur absurde dans cette gravité faible.

Elles se heurtèrent avec une telle violence qu’elles en eurent un moment le souffle coupé. Cirocco embrassa sa compagne plus petite en la soulevant du sol.

« Bon dieu, tu as l’air en pleine forme ! » dit Gaby. Une de ses paupières était prise de tremblements et elle claquait des dents.

« Eh, reprends-toi, du calme », l’apaisa Cirocco en lui frottant le dos des deux mains. Son sourire était si large qu’il faisait mal à voir.

« Je suis désolée mais je crois que je vais faire une crise de nerfs. Il y a de quoi rire, non ? » Et elle rit effectivement, mais ce rire creux lui blessait l’oreille et il ne tarda pas à se muer en sanglots et en hoquets. Elle serrait Cirocco à lui briser les côtes. Cirocco ne chercha pas à lutter : elle la fit s’allonger sur la rive sablonneuse et l’étreignit tandis que de grosses larmes coulaient sur ses épaules.

Cirocco ne savait plus à quel moment les étreintes consolatrices avaient pris une tout autre tournure : cela s’était produit si progressivement. Gaby était restée longtemps insensible et cela lui avait paru naturel de la tenir serrée et de la frotter tandis qu’elle recouvrait son calme. Puis il avait semblé tout naturel que Gaby la caresse à son tour et qu’elles se serrent l’une contre l’autre. Là où tout ceci prit un tour quelque peu inhabituel, ce fut lorsqu’elle se retrouva en train d’embrasser Gaby qui répondait à son baiser. Elle se dit qu’elle aurait dû arrêter à ce moment-là mais elle n’en avait pas envie parce qu’elle était incapable de dire si les larmes qu’elle goûtait étaient les siennes ou celles de Gaby.

Et d’ailleurs elles ne firent pas vraiment l’amour. Elles se frottèrent l’une contre l’autre et s’embrassèrent à pleine bouche et, lorsque vint l’orgasme, cela lui parut presque déplacé. C’est du moins ce qu’elle ne cessait de se répéter.

Quand ce fut fini, il fallait bien que l’une ou l’autre dise quelque chose et mieux valait semblait-il parler d’un autre sujet.

« Ça va mieux maintenant ? »

Gaby opina. Elle avait encore les yeux brillants mais elle souriait.

« Euh, hm. Quoique ça ne soit sûrement pas définitif. Je me suis réveillée en hurlant. J’ai franchement peur de m’endormir.

— Ce n’est pas non plus ce que je préfère. Tu sais que tu es le bestiau le plus marrant que j’aie jamais vu ?

— C’est parce que tu n’as pas de miroir. »

Gaby demeura intarissable pendant des heures ; elle n’aimait pas que Cirocco s’éloigne d’elle. Elles s’étaient déplacées vers une position moins en vue, pour aller s’asseoir au pied d’un arbre, Cirocco adossée au tronc et Gaby appuyée contre elle.

Elle lui raconta son périple le long de la rivière mais le sujet sur lequel elle voulait sans cesse revenir – ou dont elle ne pouvait se libérer – était son expérience dans les entrailles de la créature. Pour Cirocco cela ressemblait à un rêve prolongé qui n’avait guère de rapport avec sa propre expérience mais peut-être fallait-il l’attribuer au manque de termes adéquats.