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— Dans ce cas, comment l’as-tu appris ? »

À l’évidence, la question le troublait.

« Je le savais en m’éveillant.

— Répète voir ?

— Je savais, c’est tout. La première fois que je l’ai vu, je savais déjà tout sur lui. Lorsqu’il a parlé, j’ai compris. Pas plus compliqué que ça. »

C’était certainement plus compliqué que ça, Cirocco en était persuadée. Mais il semblait en apparence peu enclin à approfondir la question.

Il fallut près d’une heure à Omnibus pour se positionner et aborder la falaise en la touchant presque du nez. Pendant toute la durée de l’opération, Gaby et Cirocco s’étaient prudemment mises à distance. Elles se sentirent rassurées en découvrant sa bouche. C’était une fente d’un mètre de large, ridiculement petite pour une créature de cette taille, située vingt mètres en dessous de l’œil antérieur. Sous la bouche se trouvait un autre orifice : un sphincter qui faisait office à la fois de soupape et de sifflet.

Un objet long et rigide jaillit de la bouche et se tendit jusqu’au sol.

« Allons – Calvin leur fit signe – montons à bord. »

Aucune des deux femmes ne parvenait à se décider. Elles le regardèrent ahuries. Il parut exaspéré puis sourit à nouveau.

« Je suppose que vous avez du mal à le croire, mais c’est vrai. J’en connais un bout sur ces créatures. J’ai même déjà fait une balade avec. Il est parfaitement coopératif ; d’ailleurs il va dans la même direction que nous. Et il n’y a aucun danger : il ne mange que des plantes, et encore en faible quantité. S’il mangeait trop, il coulerait. » Il posa le pied sur la longue passerelle et se dirigea vers l’entrée.

« Sur quoi es-tu en train de marcher ? hasarda Gaby.

— Je suppose qu’on pourrait considérer ceci comme sa langue. »

Gaby pouffa mais son rire sonnait creux et s’étrangla dans une quinte de toux. « Tout ça, ce n’est pas un peu trop… voyons, Seigneur, Calvin ! Tu es là, tranquille, sur la langue de ce foutu machin et tu me demandes d’entrer dans sa bouche, dans sa bouche, bon Dieu. Je suppose que… appelons ça son gosier – qu’au fond de son gosier se trouve quelque chose qui n’est pas exactement un estomac mais remplit exactement le même rôle. Et lorsque les sucs commenceront à nous inonder je suppose que tu auras une explication claire et nette pour ça aussi ?

— Eh Gaby, je t’ai promis qu’il n’y avait aucun danger…

— Non merci ! cria Gaby. Je suis peut-être la dernière des idiotes mais personne ne me croirait assez bête pour aller me jeter dans la gueule d’un de ces foutus monstres. Seigneur ! Est-ce que tu sais ce que tu me demandes ? J’ai déjà été bouffée vivante une fois dans ce voyage. Et je ne vais pas encore me laisser faire. »

Elle criait maintenant, elle trépignait, son visage était empourpré. Cirocco était en tout point d’accord avec Gaby, au niveau émotionnel. Elle n’en mit pas moins le pied sur la langue. Elle était chaude mais sèche. Elle se tourna et tendit la main.

« Allons, matelot. Je le crois. »

Gaby s’arrêta de trembler. Elle avait l’air abasourdi.

« Tu ne me laisserais pas ici ?

— Bien sûr que non. Tu vas venir avec nous. Il faut qu’on descende rejoindre Bill et August. Allons, où est le courage que je te connais ?

— C’est pas juste, gémit Gaby. Je ne suis pas une trouillarde. Mais tu ne peux pas me demander ça.

— Je te le demande quand même. La seule façon de surmonter ta peur est de la regarder en face. Allons viens. »

Gaby hésita un long moment puis redressa les épaules et marcha comme si elle montait à l’échafaud.

« Je le fais pour toi, dit-elle. Parce que je t’aime, je dois rester avec toi, où que tu ailles, même si cela signifie notre mort à toutes deux. »

Calvin regarda Gaby d’un drôle d’air mais s’abstint de toute remarque. Ils pénétrèrent dans la bouche et se retrouvèrent dans un tube étroit et translucide, marchant sur un sol mince au-dessus du vide. La marche était longue.

À mi-longueur se trouvait la vaste poche qu’elle avait remarquée de l’extérieur. Elle était formée d’un matériau épais et transparent et ses dimensions étaient de cent mètres sur trente ; le fond en était tapissé d’un lit de bois pulvérisé et de feuilles. Ils avaient de la compagnie : plusieurs sourieurs, un assortiment d’espèces plus petites et des milliers de minuscules bestioles duveteuses plus petites que des musaraignes. À l’instar des autres animaux qu’ils avaient observés sur Thémis, aucun ne leur prêta la moindre attention.

La visibilité était totale et ils purent constater qu’ils étaient déjà à quelque distance de la falaise.

« Si nous ne sommes pas dans l’estomac d’Omnibus, où sommes-nous ? » demanda Cirocco.

Calvin parut perplexe.

« Je n’ai jamais dit que nous n’étions pas dans son estomac. C’est même dans sa nourriture que nous marchons. »

Gaby poussa un gémissement et tenta de repartir par où elle était venue. Cirocco la plaqua au sol. Elle leva les yeux vers Calvin.

« Tout va bien, dit-il. Il ne peut digérer qu’avec l’aide de ces petits animaux. Il se nourrit de leurs déchets. Ses sucs digestifs sont aussi inoffensifs que du thé léger.

— Tu as entendu, Gaby ? lui susurra Cirocco. Tout va pour le mieux. Calme-toi ma chérie.

— J… J’ai entendu. T’affole pas pour moi. J’ai peur.

— Je sais. Allez, lève-toi et regarde dehors. Ça te changera les idées. » Elle l’aida à se redresser et ensemble elles titubèrent jusqu’à la paroi stomacale transparente. Elles avaient l’impression de marcher sur un trampoline. Gaby pressa les mains contre la paroi et termina le voyage le nez collé contre celle-ci en sanglotant les yeux fixés dans le vide. Cirocco l’avait quittée pour aller voir Calvin.

« Il va falloir que tu fasses plus attention à elle, lui dit-elle calmement. Son séjour dans l’obscurité l’a plus affectée que nous. » Elle lui jeta un regard scrutateur. « Sauf qu’à vrai dire, je ne sais rien à ton sujet.

— Moi, ça va. Mais je n’ai pas envie de parler de ce que j’ai vécu avant ma renaissance. C’est du passé.

— C’est drôle. Gaby m’a dit à peu près la même chose. Je ne vois pas les choses ainsi. »

Calvin haussa les épaules ; visiblement, la question de leurs opinions mutuelles ne l’intéressait nullement.

« Parfait. J’aimerais juste que tu me dises ce que tu sais. Tant pis si tu ne veux pas me révéler comment tu l’as appris. »

Calvin réfléchit à la proposition puis accepta.

« Je ne puis pas t’enseigner leur langage rapidement. C’est essentiellement affaire de hauteur et de durée des notes et je suis tout juste capable de manier un jargon fondé sur les notes les plus graves qui me sont perceptibles.

« Leur taille varie d’une dizaine de mètres à une longueur légèrement supérieure à celle d’Omnibus. Ils se déplacent souvent par bancs ; celui-ci possède une petite escorte – tu ne les as pas vus : ils étaient sur l’autre flanc. Mais en voici quelques-uns. »

Il indiqua l’extérieur : une flotte de six créatures se bousculait. On eût dit de gros poissons. Cirocco pouvait entendre leurs sifflements perçants.

« Ils sont amicaux et tout à fait intelligents. Ils n’ont pas d’ennemi naturel. Ils fabriquent de l’hydrogène à partir de leur nourriture et le conservent sous une légère pression. Ils transportent de l’eau en guise de lest, qu’ils larguent lorsqu’ils veulent monter. Pour redescendre, ils expulsent de l’hydrogène. Leur peau est résistante mais toute déchirure est en général fatale.

« Leur maniabilité est limitée : leur contrôle n’est guère précis et la plupart du temps leurs mouvements sont lents. Ils se font parfois piéger par un incendie. S’ils ne peuvent s’échapper, ils explosent comme une bombe.