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— Et toutes les créatures qui sont ici ? demanda Cirocco. Ont-ils besoin de toutes pour digérer leur nourriture ?

— Non : uniquement des petites bêtes jaunes. Elles ne peuvent se nourrir que de ce que la saucisse leur prépare. Tu n’en trouveras qu’à l’intérieur de leur estomac. Quant aux autres bestioles, elles sont comme nous : des stoppeurs et des passagers.

— Je ne pige pas. Pourquoi la saucisse se comporte-t-elle ainsi ?

— Question de symbiose, combinée avec l’intelligence de faire son propre choix et d’agir à sa guise. Sa race collabore avec les autres races autochtones, les Titanides en particulier. Il leur rend des services, qu’ils lui retournent en…

— Les Titanides ? »

Il esquissa un sourire et ouvrit les mains. « C’est le terme que je substitue à l’un de ses sifflements. Je n’ai qu’une vague idée de leur apparence car je manie plutôt mal les descriptions complexes. Je crois savoir que ce sont des créatures à six pattes, toutes femelles. Je les ai baptisées Titanides puisque c’est le nom donné dans la mythologie grecque aux Titans de sexe féminin. J’ai également baptisé d’autres choses.

— Par exemple ?

— Les régions, les fleuves, les chaînes de montagnes. J’ai nommé les différentes zones d’après les Titans.

— Quelles… oh, ouais, je me rappelle maintenant. » Calvin avait fait de la mythologie son passe-temps. « Rappelle-moi qui étaient les Titans.

— Les enfants d’Uranus et Gaïa. Gaïa est sortie du Chaos. Elle donna naissance à Uranus, en fit son égal et ensemble ils conçurent les Titans : six hommes et six femmes. J’ai baptisé de leur nom les jours et les nuits puisqu’il y a ici six zones diurnes et six zones nocturnes.

— Si tu as attribué des noms de femme aux zones nocturnes, je m’en vais les rebaptiser. »

Il sourit. « Rien de tel. Ce fut plutôt au hasard. Regarde derrière, l’océan gelé. Océan était un nom tout trouvé. Le pays que nous survolons actuellement, c’est Hypérion et la zone nocturne devant, avec ses montagnes et sa mer irrégulière s’appelle Rhéa. Lorsque tu regardes Rhéa depuis Hypérion, le nord est sur ta gauche et le sud sur ta droite. Ensuite, en suivant le cercle – je ne les ai pas vus, bien sûr, mais je sais qu’ils sont là – tu trouves Crios, que tu peux apercevoir, puis derrière la courbe : Phébus, Téthys, Théa, Métis, Dioné, Japet, Cronos et Mnémosyne. Tu peux entrevoir Mnémosyne sur l’autre rive d’Océan, derrière nous. On dirait un désert. »

Cirocco tenta de se les mettre dans la tête.

« Je n’arriverai jamais à me rappeler tout ça.

— Les seuls qui importent actuellement sont Océan, Hypérion et Rhéa. En fait ce ne sont pas tous des noms de Titans. Le nom de Thémis était déjà attribué et j’ai pensé que cela risquait de provoquer des confusions. Alors… eh bien… » Il détourna les yeux, avec un sourire timide. « Bon. Je n’arrivais pas à me souvenir du nom de deux Titans. Alors j’ai emprunté Métis, qui est la sagesse, et Dioné. »

Cirocco n’y voyait guère d’inconvénient : la toponymie était pratique et dénotait une certaine systématique. « Laisse-moi deviner pour les cours d’eau. Toujours la mythologie ?

— Ouais. J’ai relevé les neuf plus grandes rivières d’Hypérion – qui en possède une flopée, comme tu peux le remarquer – et leur ai donné le nom des Muses. Là-bas vers le sud se trouvent Uranie, Calliope, Terpsichore et Euterpe, avec, dans la zone crépusculaire, Polymnie, qui se jette dans Rhéa. Et de l’autre côté, sur la pente nord, et descendant de l’est, tu découvres Melpomène. Plus près de nous, Thalie et Erato qui semblent confluer. Et le torrent que tu as descendu est un affluent de Clio que nous survolons à l’heure actuelle. »

Cirocco regarda vers le bas et découvrit un ruban bleu qui serpentait au milieu d’une épaisse forêt ; elle en remonta le cours jusqu’à la falaise qu’ils avaient laissée derrière eux et sursauta.

« C’est donc par là que le torrent passait », s’exclama-t-elle.

L’eau jaillissait du flanc de la falaise, près de cinq cents mètres en dessous du sommet, en un ruban d’apparence solide, rigide comme du métal sur une longueur de cinquante mètres avant de se briser. De là, la cascade se fragmentait rapidement pour atteindre le sol sous forme de bruine.

Une douzaine d’autres panaches liquides sourdaient de la falaise ; d’une envergure moins spectaculaire, ils étaient tous accompagnés d’un arc-en-ciel. Sous l’angle où elle se trouvait, ces arcs-en-ciel étaient alignés comme les guichets d’un jeu de cricket. C’était à vous couper le souffle ; presque trop beau pour être vrai.

« J’aimerais bien avoir la concession exclusive des cartes postales du coin », remarqua-t-elle. Calvin rit.

« Toi tu vendras les pellicules et moi les billets d’excursion. Et que fais-tu de celle-ci ? »

Cirocco tourna les yeux vers Gaby, toujours fixée à la fenêtre.

« Les réactions semblent mitigées. Pour moi, ça me va. Comment s’appelle le grand fleuve ? Celui dans lequel se jettent tous les autres ?

— L’Ophion. Le grand serpent du vent du nord. Si tu l’observes avec attention, tu remarqueras qu’il est alimenté par un petit lac situé dans le terminateur entre Mnémosyne et Océan. Ce lac doit avoir une source et je soupçonne que ce doit être l’Ophion lui-même, qui traverse le désert en souterrain quoique l’endroit où il disparaît dans le sol reste invisible. Sinon, il coule sans interruption, se déverse dans les mers pour ressortir de l’autre côté. »

Cirocco suivit son tracé sinueux et constata la justesse de la remarque de Calvin. « Je crois qu’un géographe te rétorquerait que le fleuve qu’alimente une mer n’est pas le même que celui qui s’y jette, lui dit-elle, mais je sais bien que toutes ces règles furent élaborées pour des cours d’eau terrestres. D’accord, nous le considérerons donc comme un fleuve circulaire.

— C’est là que se trouvent August et Bill, indiqua Calvin. À peu près à mi-cours de Clio, là où ce troisième affluent…

— August et Bill ? Nous étions censés les contacter. Avec tous ces événements pour embarquer dans la saucisse…

— Je t’ai emprunté ta radio. Ils sont debout et nous attendent. Tu peux les appeler maintenant si tu veux. »

Cirocco emprunta la radio et le casque de Gaby.

« Bill, est-ce que tu m’entends ? Ici, Cirocco.

— Euh… ouais, ouais ! Je t’entends. Comment ça va ?

— À peu près aussi bien que possible, pour le passager d’un estomac de baleine. Et toi ? Tu t’en es sorti sans pépins ? Pas de blessures ?

— Non, je vais bien. Écoute, je voudrais… je voudrais pouvoir te dire le plaisir que j’ai à entendre ta voix. »

Elle sentit une larme rouler sur sa joue ; elle l’essuya.

« Et moi d’entendre la tienne, Bill. Quand tu es tombé par le hublot… oh ! seigneur ! Tu ne dois pas t’en souvenir, n’est-ce pas ?

— Il y a des tas de choses dont je n’ai aucun souvenir. On verra ça plus tard.

— Je meurs d’envie de te voir. As-tu des cheveux ?

— J’en ai sur tout le corps. Mais tout ça peut attendre. Nous allons avoir des tas de choses à nous dire, toi et moi et Calvin et…

— Gaby », lui souffla-t-elle après ce qui parut un long silence.

« Gaby, répéta-t-il sans grande conviction. Tu vois, j’ai l’esprit plutôt brouillé pour certaines choses. Mais ça ne devrait pas poser de problèmes.

— Es-tu sûre d’aller bien ? » Un frisson soudain l’avait envahie et nerveusement elle se frotta les avant-bras.