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Il était impossible de ne pas faire le rapprochement avec une cathédrale. Cirocco avait déjà éprouvé une sensation analogue, en Californie, parmi les séquoias géants. L’endroit était plus verdoyant et moins tranquille mais l’impression d’immobilité, la sensation d’être perdue parmi des êtres aussi vastes qu’indifférents restait la même. Qu’elle aperçoive une toile d’araignée et elle se savait capable de courir sans reprendre haleine jusqu’à la pleine lumière.

Ils remarquèrent peu à peu des ombres suspendues au-dessus d’eux, tels des lambeaux de tapisserie. Immobiles dans l’air calme, c’étaient des formes non substantielles parmi les ombres de ce sous-bois. Une fine poussière voletait autour d’eux, portée par la moindre brise.

Gaby effleura le bras de Cirocco. Elle sursauta puis regarda la direction que sa compagne lui indiquait.

Quelque chose était suspendu à l’un des brins, à cinquante mètres au-dessus du cône de sable. Elle crut que l’objet reposait sur une saillie puis se demanda si c’était une excroissance quelconque.

« Comme une bernacle, remarqua Bill.

— Ou toute une colonie », murmura Gaby avant de tousser nerveusement et de se répéter. Cirocco comprenait son état d’esprit. Ils se sentaient obligés de murmurer.

Cirocco hocha la tête. « Cela me rappelle les habitations troglodytiques sur les falaises de l’Arizona. »

En quelques minutes ils en avaient remarqué plusieurs, la plupart beaucoup plus haut et moins distinctes que la première aperçue par Gaby. Étaient-ce des nids ? des parasites ? Il était impossible de le dire.

Cirocco jeta un dernier coup d’œil alentour et crut discerner quelque chose dans le lointain, à la limite de l’obscurité.

C’était une construction. Peu après l’avoir discernée, elle comprit qu’elle était en ruine. Le sable pulvérulent s’amassait autour.

C’était presque un soulagement de découvrir enfin un édifice à l’échelle humaine. Il avait à peu près la taille de l’un de ces pueblos du Colorado et n’était pas en fait sans y ressembler. Il y avait trois niveaux de chambres hexagonales sans accès apparent. Chacun comprenait des pièces légèrement plus grandes que celles du niveau inférieur. Elle s’approcha, toucha un mur : de la pierre lisse, taillée et assemblée sans mortier, à la manière inca.

En s’approchant elle constata qu’il y avait en réalité cinq niveaux mais les deux du dessous étaient beaucoup plus petits et formés de pierres de dimensions plus réduites. En balayant le sable au pied du mur elle découvrit un sixième puis un septième niveau à chaque fois plus petit que le niveau supérieur.

« Qu’est-ce que tu en penses ? » demanda-t-elle à Bill qui s’était agenouillé près d’elle tandis qu’elle creusait.

« Voilà une curieuse façon de construire. »

Cirocco continua de creuser mais bientôt le sable retombait à mesure qu’elle le dégageait. Le niveau le plus bas était composé de chambres hautes de moins de cinquante centimètres et d’une largeur équivalente, bâties en pierres de la taille de briques.

Ils contournèrent la structure et découvrirent un endroit où elle s’était effondrée. Les dalles massives du sommet avaient écrasé les moellons plus petits qui étaient en dessous. Il subsistait une chambre intacte à l’exception d’un mur. Ils ne virent aucune porte intérieure, aucune voie d’accès depuis l’extérieur.

« Pour quelles raisons avoir construit un édifice sans portes ?

— Peut-être qu’ils y pénétraient par en dessous, suggéra Gaby.

— Sans bulldozer, impossible de le savoir. » Cirocco songeait à l’équipement qu’ils avaient amené pour utiliser avec le module d’exploration. Elle grimaça en repensant aux débris de son vaisseau tournoyant dans l’espace.

« Je me demandais quel rapport ceci peut avoir avec le câble, dit Bill. L’a-t-on construit pour le personnel d’entretien ou bien plus tard, après l’effondrement ? »

Cirocco leva un sourcil. « Nous supposons donc qu’un effondrement s’est produit ? »

Il ouvrit les mains. « Les dégâts structurels n’ont pas été réparés. Regarde ces brins rompus. »

Elle savait bien qu’il avait raison. Le fouillis sombre qui pourrissait sous les câbles respirait l’abandon. C’était un tombeau moisi, les ossements d’une chose jadis puissante.

Mais même en son déclin Gaïa restait magnifique. L’air était pur et l’eau fraîche. Certes, de larges zones étaient devenues des déserts de sable ou de glace et l’on pouvait difficilement croire qu’il en était ainsi délibérément. Pourtant, elle pressentait que l’équilibre écologique se serait encore plus détérioré si quelque part là-haut n’avait pas subsisté un semblant de contrôle.

« Gaïa n’est pas abandonnée », dit Gaby, faisant écho, sans le savoir, aux réflexions de Cirocco. « Cet édifice m’a l’air très vieux. Au bas mot, cela se compte en millénaires.

— C’est certainement l’impression qu’il donne, approuva Bill.

— Je connais bien les problèmes complexes soulevés par la maintenance d’un biosystème, poursuivit-elle. Gaïa est plus vaste qu’O’Neil I, ce qui la rend plus souple. Mais il suffirait de quelques siècles pour qu’en l’absence de contrôle tout tombe en ruine. Et la ruine ici n’est pas totale.

Des robots ? suggéra Bill.

— Moi je veux bien, dit Cirocco. Tant qu’existe une intelligence quelconque derrière tout ceci, je compte la contacter pour obtenir de l’aide. Avoir affaire à des ordinateurs faciliterait même la tâche. »

Bill, qui avait lu énormément de science-fiction, était capable d’élaborer une douzaine de théories sur chaque aspect de Gaïa. Il avait un faible pour la théorie bien commode de la mutation catastrophique : une épidémie surgie du néant décimant les constructeurs pour laisser Gaïa aux mains de dispositifs de sécurité automatiques.

« C’est une épave, je suis prêt à le parier, leur dit-il. Exactement comme l’astronef décrit par Heinlein dans Les Orphelins du ciel. C’est toute une colonie qui est partie avec Gaïa il y a des millénaires mais en cours de route le contrôle lui a échappé. L’ordinateur du vaisseau l’a placée en orbite autour de Saturne, a coupé les moteurs et continue là-haut à recycler l’air en attendant de nouvelles instructions. »

Ils prirent un chemin différent pour repartir, en partie parce qu’il était impossible de savoir par où exactement ils étaient venus. Cirocco ne s’en inquiétait guère puisque tant qu’ils se dirigeaient vers la lumière il n’y avait pas de problème.

Ils débouchèrent au jour en un point situé beaucoup plus au nord que leur accès initial ce qui leur permit de découvrir un détail caché jusqu’alors par le câble lui-même. C’était un brin rompu mais celui-ci gisait sur le sol.

Cirocco songea immédiatement à ce ver géant que leur avait décrit Calvin : le câble paraissait vivant, brillant dans la lumière dorée. Puis il lui rappela ces oléoducs brésiliens qu’elle avait vus lors de son entraînement de survie : de grands tubes argentés qui traversaient la forêt tropicale comme un obstacle négligeable.

Le brin s’était frayé un chemin dans sa chute, emportant les arbres les plus hauts, les écrasant inexorablement au sol. La jungle s’était refermée dessus depuis mais la masse énorme donnait toujours l’impression de pouvoir à tout instant se redresser, se débarrasser des lianes enchevêtrées et réduire les arbres en bois d’allumettes.

Cinq cents mètres plus haut, le tronçon sectionné du brin s’écartait de l’âme du câble en formant une boucle. La section, dentelée, permettait de découvrir un plan de coupe brillant avec des reflets rouges et vert-de-gris de cuivre oxydé. Des traînées grises croissaient sur le moignon, telles des moisissures sur du pain et sur la partie inférieure une cascade jaillissait pour tomber droit sur un amas de végétation nettement séparé du reste de la forêt. C’était une masse d’eau considérable et fort bruyante mais à la voir ainsi tomber de cet énorme câble tordu on eût dit un simple filet d’eau dégouttant d’un tuyau rompu.