— Décris-le. Ce que tu crois en savoir. »
Gaby consulta la sortie d’imprimante, mais il était évident qu’elle n’en avait pas besoin : les chiffres étaient clairs dans son esprit.
« Thémis fait 1300 km de diamètre. Ce qui en fait la troisième lune de Saturne pour la taille, à peu près celle de Rhéa. Elle doit être absolument noire, hormis ces six points. C’est de loin l’albédo le plus bas de tout le système solaire, si cela vous intéresse. C’est également le moins dense. Il est fort possible qu’elle soit creuse et il y a de grandes chances qu’elle ne soit pas sphérique. Peut-être un disque, ou un tore – comme un beignet. En tout cas, elle semble tourner comme une assiette roulant sur la tranche ; un tour par heure. Le moment est suffisant pour que rien ne puisse tenir à sa surface : la force centrifuge y dépasserait la force de gravité.
— Mais si elle est creuse et qu’on se trouve à l’intérieur… » Cirocco avait les yeux fixés sur Gaby.
« À l’intérieur, si jamais elle était creuse, la gravité équivaudrait à un quart de G. »
Cirocco considéra la question suivante et Gaby ne put soutenir son regard.
« Nous nous en approchons de jour en jour. La visibilité ne pourra que s’améliorer. Mais je ne puis dire quand je serai certaine de tout ceci. »
Cirocco se dirigea vers la porte. « Il va falloir que je transmette ce que tu as.
— Mais aucune théorie, d’accord ? » lui lança Gaby. C’était bien la première fois que Cirocco la voyait si mécontente de ce qu’elle avait trouvé dans un télescope. « Ou du moins, ne me l’attribue pas.
— Aucune théorie, reconnut Cirocco. Les faits seuls devraient largement suffire. »
Chapitre 2.
MESSAGE INFORMATION # 931
(RÉPONSE A TRANSMISSION HOUSTON # 5455, 20-05-25)
21-05-25
VES SEIGNEUR DES ANNEAUX (NASA 447D, L 5/1, A CS BASE SPATIALE HOUSTON-COPERNIC)
JONES, CIROCCO, MISCOM
VERROUILLAGE SÉCURITÉ * ON *
PRÉFIXE CODE DELTA DELTA
DÉBUT :
§ 1 : D’accord avec votre analyse de Thémis le considérant comme un astronef de type arche spatiale. N’oubliez pas que nous avons été les premiers à le suggérer.
§ 2 : Dernières photos suivent. Remarquer la résolution accrue des zones brillantes. Toujours pas trouvé d’équipement d’amarrage au noyau ; recherches continuent.
§ 3 : D’accord avec plan de vol programmé le 22/05.
§ 4 : Demandons mise à jour tracé avec approche nouvelle insertion en orbite, initié au 25/05 et poursuivi jusqu’au début de l’insertion puis extrapolé. Tant pis s’il faut connecter pour cela un nouvel ordinateur. Je ne crois pas que celui de bord puisse manipuler autant de données.
§ 5 : Retournement le 22/05 à 0400 TU après allumage à mi-course. FIN DE TRANSMISSIONS INFORMATION
MESSAGE PERSONNEL (CIRCULATION LIMITÉE AU PERSONNEL DE CONTRÔLE MISSION SEIGNEUR DES ANNEAUX)
DÉBUT :
Au sujet de la Commission de contact qui me casse les oreilles : * bouclez-la ! * J’ignore QUI se cache là-dessous. J’ai reçu des instructions contradictoires qui avaient l’air d’ordres directs. Peut-être que vous n’appréciez pas mes idées ni mes méthodes, peut-être que si. Le fait est que ça va être à moi de jouer. Le délai de transmission seul rendrait ceci obligatoire. Vous m’avez donné le vaisseau et la responsabilité, alors * TIREZ-VOUS DE MES PATES !*
FIN DE TRANSMISSION
Cirocco frappa la touche CODAGE puis celle TRANSMISSION et se radossa contre son siège. Elle se frotta les yeux. Quelques jours plus tôt, il n’y avait presque rien à faire. Maintenant elle était submergée par les vérifications préalables à l’insertion en orbite du Seigneur des Anneaux.
Tout avait été modifié, et tout cela à cause de six minuscules taches lumineuses dans le télescope de Gaby. Dorénavant, il semblait futile de vouloir explorer les autres satellites saturniens. Ils étaient contraints à un rendez-vous imminent avec Thémis.
Elle appela le programme de ce qui restait encore à faire, puis le tableau de service et remarqua qu’il avait à nouveau subi des modifications. Elle devait rejoindre April et Calvin à l’extérieur. Elle se hâta vers le sas.
Sa combinaison était encombrante et serrée. Elle murmurait tandis que la radio chuintait calmement. Comme son occupante, elle avait un parfum agréable, évoquant le plastique d’hôpital et l’oxygène frais.
Le Seigneur des Anneaux affectait la forme d’une structure allongée formée de deux sections principales reliées par un tube creux de trois mètres de diamètre et long de cent. Sa rigidité structurelle était assurée par trois assemblages de poutrelles extérieures, chacun transmettant la poussée d’un moteur à l’habitacle planté au sommet du tube.
À l’autre extrémité se trouvaient les réacteurs ainsi qu’une grappe de réservoirs de combustible détachables, le tout caché derrière la large plaque de l’écran antiradiation qui ceinturait le tube central comme un garde-rats sur l’amarre d’un navire-cargo. De l’autre côté de l’écran, l’endroit était plutôt malsain.
La cellule d’habitation située à l’opposé comprenait le module scientifique, le module de contrôle et le carrousel.
Le module de contrôle formait une protubérance conique saillant à l’extrémité de la grosse cafetière qui abritait le SCIMOD. Il possédait les seuls hublots du vaisseau, plus par tradition que par utilité.
Le module scientifique disparaissait presque entièrement sous le fouillis de l’appareillage : L’antenne à grand gain surmontait le tout, braquée vers la Terre au sommet de son grand mât. Il y avait deux paraboles de radar et cinq télescopes, y compris le newtonien de 120 centimètres de Gaby.
Le carrousel se trouvait juste derrière : un grand volant plat et blanc, en rotation lente autour du reste du vaisseau et relié à son axe par quatre branches.
D’autres éléments s’accrochaient au tronc central, parmi lesquels les cylindres des hydroponiques et le module d’atterrissage : la cabine, le propulseur, les deux étages de descente et l’étage de remontée.
Ce module avait été conçu pour explorer les satellites de Saturne, Japet et Rhéa en particulier. Après Titan – pourvu d’une atmosphère et donc éliminé de la présente mission – Japet s’avérait le corps le plus intéressant des environs. Jusqu’aux années 1980 l’un de ses hémisphères avait été nettement plus brillant, puis le phénomène s’était inversé avec une période de vingt ans pour finir avec une répartition quasiment uniforme de l’albédo. Son graphe de luminosité présentait maintenant deux pics à deux points opposés de son orbite. Le module d’exploration devait en découvrir la cause.
On avait désormais tiré un trait sur cette mission à cause d’un objet bien plus attirant nommé Thémis.
Le Seigneur des Anneaux ressemblait à un autre vaisseau spatial, imaginaire celui-ci : le Discovery, la sonde jupitérienne de ce classique du cinéma, 2001 : L’Odyssée de l’espace. Cela n’avait rien de surprenant. L’un et l’autre avaient été conçus à partir de paramètres similaires, même si l’un ne naviguait que sur le celluloïd. Cirocco était en EVA[2] pour ôter le reste des panneaux de réflexion solaire qui emballaient la cellule habitable du Seigneur des Anneaux. Le problème dans un vaisseau spatial est en général de se débarrasser de l’excédent de chaleur, mais maintenant ils étaient suffisamment loin du soleil pour au contraire en récupérer le plus possible.
2
EVA =