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— Demandez-lui si nous pouvons nous joindre à elle, chanta Si-Bémol avec chaleur. Nous ignorons les paroles mais nous pouvons improviser un accompagnement. »

Cirocco vocalisa qu’elle devait discuter encore un peu avec son amie mais qu’elle leur traduirait ensuite. Il opina mais continua de suivre avec attention leur conversation.

« Gaby, s’il te plaît, ne me crie pas dessus.

— Excuse-moi. » Elle baissa la tête dans son giron et se contraignit au calme. « J’aime que les choses soient logiques. Un pénis humain sur une créature extra-terrestre ne l’est pas. As-tu remarqué leurs mains ? Elles ont des empreintes digitales. Je les ai vues. Le F.B.I. les mettrait dans son fichier sans se poser de questions.

— Je l’ai vu.

— Si tu pouvais me dire comment leur parler… »

Cirocco ouvrit les mains. « Je ne sais pas. C’est comme si j’avais toujours su ce langage. J’ai plus de mal à chanter qu’à écouter mais uniquement parce que mon larynx n’a pas la conformation adéquate. Au début, j’ai été effrayée, mais plus maintenant. J’ai confiance en eux.

— Tout comme Calvin fait confiance aux saucisses.

— Il est évident que quelque chose s’est amusé avec nous pendant que nous étions endormis. Quelqu’un m’a donné le langage – j’ignore comment ou pourquoi – et ce quelqu’un m’a également procuré autre chose : le sentiment que ce don ne cache aucune intention mauvaise. Et plus je parle avec les Titanides, plus je les aime.

— Calvin disait pratiquement la même chose à propos de ses foutues saucisses, remarqua sombrement Gaby. Et tu étais sur le point de l’arrêter.

— Je crois le comprendre un peu mieux maintenant. »

La guérisseuse était une Titanide femelle dont le nom était également dans la tonalité de Si-Bémol. Elle pénétra dans la tente et passa un certain temps à examiner la jambe de Bill sous l’œil attentif de Cirocco. Les lèvres de la blessure étaient jaunes et noir bleuté. Un liquide suintait lorsque la guérisseuse pressait autour.

Elle n’ignorait pas l’inquiétude de Cirocco. Tournant son torse humain, elle fourragea dans la sacoche de cuir harnachée à son arrière-train chevalin, pour en sortir un flacon empli d’un liquide brun.

« C’est un puissant désinfectant, chanta-t-elle, puis elle attendit.

— Quel est son état, docteur ?

— Fort grave. Faute de traitement, il sera auprès de Gaïa dans quelques dizaines de révolutions. » Cirocco traduisit ainsi au début mais en vérité un seul terme exprimait cette période de temps. Transcrit avec un préfixe métrique, l’équivalent pouvait être décarev. Gaïa tournait sur elle-même en près d’une heure.

La signification d’« être auprès de Gaïa » était, elle, évidente bien qu’elle n’eût pas utilisé le nom Gaïa. Son terme recouvrait à la fois le monde, la déesse qui était le monde et le concept du retour à la terre. Il n’y avait aucune connotation d’immortalité.

« Peut-être préféreriez-vous attendre l’arrivée d’un guérisseur de votre propre espèce, chanta la Titanide.

— Bill risque de ne jamais le voir.

— Si fait. Mes remèdes devraient enrayer l’infestation par les petits parasites. J’ignore s’ils vont inhiber le fonctionnement de son métabolisme. Ainsi je ne puis vous promettre que le traitement ne va pas causer de dommage à la pompe qui refoule ses fluides vitaux, puisque j’ignore où ladite pompe se trouve localisée chez votre espèce.

— Juste ici », et Cirocco se frappa la poitrine.

Les oreilles de la Titanide sursautèrent. Elle colla son pavillon contre le torse de Cirocco.

« Pas possible, chanta-t-elle. Eh bien, Gaïa est sage si ses révolutions sont impénétrables. »

Cirocco était dans les affres de l’indécision. Les concepts de métabolisme et de germe ne pouvaient pas faire partie des connaissances d’un sorcier. Et la traduction était bien exacte. La guérisseuse avait même conscience des dommages que pouvait causer son traitement à un corps humain.

Mais Calvin était parti et Bill à l’article de la mort.

« Par la prière, à quoi cela sert-il donc ? » chanta la guérisseuse. Elle tenait le pied de Bill. Ses doigts manipulaient doucement les orteils.

« Euh… ils… », elle se ressaisit mais demeura incapable de trouver les mots pour « vestiges atrophiés de l’évolution ». Un terme correspondait à évolution mais il ne s’appliquait pas aux êtres vivants. « Ils aident à maintenir son équilibre mais ne sont pas indispensables. Ce sont des oublis, des erreurs de conception.

— Ah, fredonna la guérisseuse. Gaïa fait des erreurs, c’est bien connu. Tenez, par exemple, le premier avec qui j’eus des rapports arrière, il y a bien des myriarevs. » Cirocco voulait transcrire par « mon mari » mais cela ne collait pas ; on aurait tout aussi bien pu dire « ma femme » mais c’eût été tout aussi inadéquat. Il n’existait aucun équivalent en anglais ; puis elle revint au problème présent.

« Faites ce que vous pouvez pour mon ami. Je m’en remets entièrement à vous. »

La guérisseuse opina et se mit à l’œuvre.

Elle lava d’abord la blessure avec le liquide brun. Puis elle y mit un cataplasme de gelée jaune et posa sur la plaie une grande feuille « pour attirer les petites bêtes qui mangent la chair ». Cirocco reprenait puis reperdait espoir à mesure qu’elle l’observait. Elle tâcha d’oublier la feuille, et cette idée « d’attirer les petites bêtes » : ces notions semblaient par trop primitives. En revanche, lorsque la guérisseuse pansa la blessure, elle employa des bandages sortis d’emballages scellés qu’elle affirma « nettoyés de tout parasite ».

Tout en travaillant elle poursuivait son examen attentif du corps de Bill, le ponctuant parfois d’une petite ritournelle étonnée.

« Eh bien, qui aurait cru que… ?… un muscle, ici ? Attaché de cette manière ? Comme s’il marchait avec le pied cassé… non, je n’arrive pas à le croire. » Gaïa se trouvait alternativement invoquée comme sage, infiniment inventive, inutilement compliquée, et complètement idiote. Elle put noter également que Gaïa savait plaisanter à ses heures, tout comme n’importe quelle divinité – ceci lorsque la Titanide contempla, avec étonnement, les fesses du malade.

Cirocco était trempée de sueur lorsque la guérisseuse eut terminé. Au moins s’était-elle abstenue d’exhiber des crécelles et des poupées vaudou, ou de dessiner des diagrammes magiques sur le sol. Après avoir noué le dernier pansement, elle se mit à chanter une chanson de guérison. Cirocco n’y voyait aucun mal.

La guérisseuse se pencha vers Bill, l’entoura de ses bras et souleva doucement son torse pour le serrer contre elle. Elle posa la tête du malade contre son épaule et pencha la sienne pour lui murmurer à l’oreille. Elle le câlina en lui fredonnant une berceuse sans paroles.

Les tremblements de Bill cessèrent peu à peu. Les couleurs revinrent à son visage dont les traits s’apaisèrent pour la première fois depuis son accident.

Au bout de quelques minutes, Cirocco aurait juré qu’il souriait.

Chapitre 15.

Cirocco comprit qu’elle devait se débarrasser de certains préjugés.

Le premier était le plus évident : Lorsque Si-Bémol était arrivé, avec son apparence si semblable à celle de Do-Dièse hormis ses organes sexuels, elle avait supposé que les Titanides allaient s’avérer difficiles à distinguer.