— J’ai peur de ne pas tout à fait comprendre. »
Clarinette montra un point situé derrière Gaby. « En voici une qui a encore ses enfants. »
Elle trottina en direction d’un bosquet qui poussait dans une dépression de terrain. Une excroissance en forme de cloche émergeait du sol à proximité de chaque buisson. Elle en saisit une et arracha la plante pour la rapporter au chariot, entière avec tige et racines.
« On chante aux graines », expliqua-t-elle. Elle prit sur son épaule le cor de laiton et joua quelques mesures d’une danse sur un rythme de cinq-quatre. « Penchez l’oreille à présent… » Elle se tut, embarrassée. « Enfin, faites ce dont vous avez coutume pour affiner votre ouïe. »
Au bout d’une demi-minute, elles entendirent les notes du cor, nasillardes comme sur un cylindre d’Edison, mais parfaitement distinctes. Clarinette chanta une harmonie qui fut promptement répétée. Il y eut un silence puis les deux thèmes furent reproduits simultanément.
« Elle entend ma chanson et l’apprécie, vous voyez ? chanta Clarinette en arborant un large sourire.
— C’est comme le disque des auditeurs sur une station de radio, remarqua Gaby. Et si l’animateur n’a pas envie de jouer le morceau ? »
Cirocco transmit la question de Gaby du mieux qu’elle put.
« Il faut de l’entraînement pour jouer de manière plaisante, reconnut Clarinette. Mais elles sont de grande fidélité : la mère est capable de parler plus vite que le galop des quatre pieds. »
Cirocco traduisit mais Clarinette l’interrompit.
« Les graines sont également utilisées pour construire les yeux qui déchiffrent l’obscurité. Grâce à eux nous pouvons surveiller dans le Puits des Vents l’approche des anges.
— Cela ressemble à un radar », dit Cirocco.
Gaby avait un air dubitatif. « Tu es prête à gober tout ce que ces poneys de polo savants te racontent ?
— Explique-moi comment fonctionnent ces graines si ce n’est pas électroniquement. Tu préférerais la télépathie ?
— La magie serait encore plus facile à avaler.
— Appelle cela de la magie si ça te chante. Je crois que ces graines contiennent des cristaux et des circuits. Et si tu peux faire pousser une radio organique, pourquoi pas un radar ?
— La radio peut-être. Et uniquement parce que je l’ai vue de mes propres yeux, et non parce que j’ai envie de me pencher dessus. Mais le radar, jamais.
L’installation radar des Titanides était disposée sous une tente devant l’ambulance. Elle aurait abasourdi Rube Goldberg lui-même[4] C’était un assemblage de coques et de feuilles sortant d’un pot de terreau dans lequel plongeaient d’épaisses treilles de cuivre. Berceuse expliqua que le terreau abritait un ver qui produisait de « l’essence d’énergie ». Il y avait des baies de graines-radio connectées à un enchevêtrement de sarments terminés par des aiguilles qui semblaient plantées avec beaucoup de précision car chaque graine révélait un grand nombre de trous d’épingles suintants autour de l’endroit où le contact définitif avait été établi. On voyait également d’autres dispositifs, eux aussi d’origine végétale, parmi lesquels une feuille qui s’éclairait lorsque la frappait le faisceau lumineux issu d’une autre plante.
« La lecture est enfantine, expliqua Berceuse avec enthousiasme. Ce point de feu froid représente le géant du ciel que vous apercevez là-bas, en direction de Rhéa. » Elle indiquait un point sur l’écran. « Voyez comme il perd de l’ardeur… là ! maintenant il brille avec force, mais s’est déplacé. » Cirocco commença de traduire mais Gaby la coupa. « Je sais comment fonctionne un radar, grommela-t-elle. Tout cet assemblage outrage mon sens de la logique.
— Il nous sert peu à l’heure actuelle, leur assura Clarinette. Nous ne sommes pas à la saison des anges. Ils viennent de l’est par le souffle de Gaïa et nous tourmentent jusqu’à ce qu’elle les aspire à nouveau en son sein. »
Cirocco se demanda si elle avait bien entendu : avait-elle chanté : « aspire en son sein » ou bien « nourrit à son sein » ? Elle fut interrompue dans ses réflexions par les grognements de Bill qui venait d’ouvrir les yeux.
« Hello, chantonna Berceuse. Quelle joie de vous voir de retour. »
Bill glapit puis poussa un hurlement lorsqu’il s’appuya sur sa jambe.
Cirocco s’interposa entre Berceuse et lui. Dès qu’il la vit, il émit un soupir de soulagement.
« Quel rêve épouvantable, Rocky. »
Elle lui passa la main sur le front. « Ce n’était pas du tout un rêve, probablement.
— Hein ? Oh ! tu veux parler des centaures ! Non, je me rappelle quand le blanc me berçait en chantant des ballades.
— Eh bien, comment te sens-tu à présent ?
— Faible. Ma jambe me fait moins mal. Est-ce bon signe ou bien est-elle morte ?
— Je pense que tu vas mieux.
— Et… euh, tu comprends. La gangrène ? » Il avait détourné les yeux.
« Je ne crois pas. Elle avait bien meilleur aspect après que la guérisseuse l’eut soignée.
— La guérisseuse ? Le centaure ?
— Nous ne pouvions rien faire d’autre, expliqua Cirocco, à nouveau envahie par le doute. Calvin n’est toujours pas arrivé. Je l’ai regardée faire et elle me semble connaître son boulot. »
Elle crut qu’il s’était rendormi. Après un long moment il rouvrit les yeux et sourit faiblement.
« Ce n’est pas une décision que j’aurais aimé prendre.
— Ce fut terrible, Bill. Elle disait que tu allais passer et je l’ai crue. Ou alors, c’était attendre sans rien faire l’arrivée de Calvin – et je ne sais pas ce qu’il aurait pu faire, lui, sans aucun médicament – alors qu’elle, elle disait pouvoir tuer les germes, ce qui se tenait parce que… »
Il lui toucha le genou. Sa main était froide, mais ferme.
« Tu as fait ce qu’il fallait. Regarde-moi. Je suis prêt à remarcher d’ici une semaine. »
C’était la fin de l’après-midi – toujours, désespérément, la fin de l’après-midi – et quelqu’un lui secouait l’épaule. Elle cligna rapidement des yeux. « Vos amis sont arrivés, chanta Foxtrot.
— C’était le géant du ciel que nous avions vu plus tôt, ajouta Berceuse. Ils étaient à bord.
— Mes amis ?
— Oui, votre guérisseur, et deux autres.
— Deux… » Elle se mit sur pieds. « Ces autres. En avez-vous des nouvelles ? J’en connais une. L’autre est-elle identique ou bien est-ce un mâle, comme mon ami Bill ? »
La guérisseuse fronça les sourcils. « Vos pronoms m’emplissent de confusion. Je n’arrive franchement pas à savoir lequel d’entre vous est mâle et lequel est femelle, d’autant que vous vous cachez derrière des bandes de tissu.
— Bill est mâle, Gaby et moi sommes femelles. Je vous expliquerai plus tard, mais qu’en est-il du passager du géant du ciel ? »
Berceuse haussa les épaules. « Le géant ne l’a pas dit. Il est aussi perdu que moi. »
Omnibus apparut au-dessus de la colonne de Titanides et du chariot qui s’étaient arrêtés pour attendre le largage. Un parachute s’ouvrit, supportant une minuscule silhouette noire. Calvin, sans aucun doute.
Tandis qu’il descendait, une seconde corolle apparut et Cirocco écarquilla les yeux pour deviner qui cela pouvait être. La silhouette était plus volumineuse qu’il n’aurait dû. Puis un troisième parachute s’ouvrit, puis un quatrième.
Il y en avait dans les airs une douzaine avant qu’elle ne repère Gene. Les autres, c’était incroyable, étaient des Titanides.