Выбрать главу

— Ce sont des anges, répéta-t-il.

— Vous ne voulez pas vivre sur le même territoire ?

— Les anges seraient incapables de nourrir leurs enfants au sein de Gaïa s’ils quittaient les grandes tours. Et nous ne Pourrions pas vivre accrochés aux murs.

— Donc vous ne vous battez pas pour un territoire ou pour de la nourriture. La raison pourrait-elle être religieuse ? Adorent-ils un autre Dieu ? »

Il rit. « Adorer ? Comme vous composez étrangement vos chansons. Il n’existe qu’une seule déesse. Même pour les anges. Gaïa est connue de toutes les races en son sein.

— Alors, je ne comprends vraiment pas. Pourriez-vous m’expliquer ? Pourquoi vous battez-vous ? »

Maître-Chanteur, le chef militaire, réfléchit un bon moment. Lorsqu’il chanta enfin, c’était dans un mode mineur et triste.

« De toutes les choses de la vie, voilà bien la seule sur laquelle j’aimerais interroger Gaïa. Qu’il nous faille mourir et retourner à la terre – je n’y vois aucune objection, n’en conçois aucune amertume. Que le monde soit un cercle et que les vents soufflent lorsque Gaïa respire – voilà des choses que je puis comprendre. Qu’il y ait des temps où l’on doive souffrir de la faim ; ou que l’Ophion majestueux soit avalé par la poussière, ou que les vents froids de l’ouest nous glacent – je l’accepte comme je doute de pouvoir faire mieux si je devais m’en occuper : Gaïa a la charge de bien des contrées et parfois son regard doit se tourner ailleurs.

« Lorsque claquent les grands piliers du ciel, au point de faire trembler le sol et de faire craindre que le monde ne se rompe et s’éparpille dans le vide, je ne me plains pas.

« Mais lorsque Gaïa respire, lorsque la haine est sur moi, je ne me raisonne plus. Je mène mon peuple à la bataille, sans même m’apercevoir que mon arrière-fille vient de tomber à mes côtés. Je ne m’en suis pas rendu compte. Elle m’était étrangère parce que le ciel était empli d’anges et que le temps était venu de les combattre. Ce n’est qu’après, lorsque la rage nous abandonne, que nous comptons nos pertes. Ce n’est qu’alors que la mère retrouve son enfant mort sur le champ de bataille. Ce fut alors que je découvris la fille de ma chair, blessée par les anges mais piétinée par son propre peuple.

« C’était il y a cinq souffles d’ici. Mon cœur en est encore malade et je crains qu’il ne guérisse jamais. »

Cirocco n’osa pas rompre le silence lorsque Maître-Chanteur se détourna d’elle. Il se leva, marcha vers la porte, face à l’obscurité, tandis que Cirocco s’abîmait dans la contemplation de la chandelle tremblotante sur la table. Il émettait des bruits qui devaient sans aucun doute être des pleurs bien que ne ressemblant en rien aux pleurs d’un être humain. Au bout d’un moment, il revint s’asseoir près d’elle, l’air très las.

« Nous combattons quand la rage s’empare de nous. Nous ne cessons de combattre avant que les anges ne soient tous morts ou retournés chez eux.

— Vous parlez du souffle de Gaïa. J’ignore de quoi il s’agit.

— Vous avez entendu son gémissement. C’est une tornade furieuse qui descend des tours célestes ; un vent glacial lorsqu’il vient de l’ouest et torride lorsqu’il vient de l’est.

— Avez-vous jamais tenté de parler aux anges ? Refusent-ils d’entendre votre chant ? »

Encore une fois, il haussa les épaules. « Qui peut chanter à un ange, et quel ange voudrait l’entendre ?

— Je ne comprends toujours pas que nul n’ait tenté de… négocier avec eux. » Le mot était difficile à formuler. La meilleure approximation qu’elle puisse en trouver signifiait « se rendre » et « tourner casaque » au sens propre du terme. « Si vous parveniez à vous asseoir pour écouter mutuellement vos chants peut-être pourriez-vous obtenir la paix. »

Son front se rida. « Comment pourrait exister ce sentiment-d’harmonie-parmi-les-siens alors que ce sont des anges ? » Le terme qu’il employait était le même que celui choisi par Cirocco parmi d’autres, aussi peu adéquats : la « paix » était chez les Titanides une condition universelle, qui allait pratiquement sans dire. Entre anges et Titanides, c’était un concept hors du champ de leur langage.

« Mon peuple n’a pas d’ennemis d’autres races, expliqua Cirocco, mais nous nous battons entre nous. Nous avons développé des moyens pour résoudre ces conflits.

— Ce n’est pas un problème pour nous. Nous savons Parfaitement régler nos problèmes d’hostilité mutuelle.

— Peut-être alors pourriez-vous nous l’enseigner. Mais pour ma part, je souhaiterais pouvoir vous montrer ce que nous avons appris. Parfois, les deux parties éprouvent une trop grande hostilité pour accepter de s’asseoir et discuter. Dans ce cas, nous appelons un tiers pour qu’il siège entre les ennemis. »

Il haussa un sourcil puis prit un air soupçonneux. « Si cela marche, pourquoi vous faut-il tant d’armes ? »

Elle ne put que sourire. Il n’était pas facile d’en remontrer aux Titanides.

« Parce que ça ne marche pas toujours. Alors nos guerriers essaient de se détruire mutuellement. Mais nos armes sont devenues tellement terrifiantes que plus personne ne les a employées depuis bien longtemps. Nous sommes plus doués pour faire la paix, et je n’en veux pour preuve que le fait que nous n’avons pas encore entièrement détruit notre planète alors que nous en avions la possibilité depuis au moins… disons soixante myriarevs.

— Ce qui est un clin d’œil devant la rotation de Gaïa, chanta-t-il.

— Je ne me vante pas. C’est une chose terrible que de vivre en sachant que non seulement votre… votre arrière-mère et vos amis et vos voisins peuvent être rayés de l’existence mais aussi tous les membres de votre espèce jusqu’au dernier. »

Maître-Chanteur opina gravement, visiblement impressionné.

« À vous de décider. Notre espèce peut vous offrir encore plus de guerre, ou bien la possibilité de la paix.

— Je vois, psalmodia-t-il, préoccupé. C’est une grave décision à prendre. »

Cirocco préféra se taire. Maître-Chanteur savait qu’il était en son pouvoir d’apprendre le secret des armes que Gene se proposait d’offrir.

La chandelle accrochée au mur pétilla et s’éteignit ; seule, celle qui restait entre eux continuait de projeter des ombres dansantes sur ses traits féminins.

« Où pourrais-je trouver celui qui accepterait de se tenir au milieu ? Il me semble qu’il se ferait transpercer par les lances jetées des deux côtés. »

Cirocco tendit les mains. « Je suis prête à offrir mes services en tant que représentante accréditée par les Nations unies. »

Maître-Chanteur l’étudia. « Sans vouloir offenser les Na-Scions-une-hie, nous n’en avons jamais entendu parler. En quoi nos guerres pourraient-elles les intéresser ?

— Les Nations unies s’intéressent toujours aux guerres. Pour être franches, elles ne valent guère mieux que nous tous dans l’ensemble, ce qui les rend loin d’être parfaites. »

Son haussement d’épaules semblait prouver qu’il l’avait supposé depuis le début. « Et pourquoi feriez-vous ceci pour nous ?

— Je dois de toute façon traverser le territoire des anges pour monter voir Gaïa. Et je hais la guerre. »

Pour la première fois, Maître-Chanteur parut impressionné. À l’évidence son opinion sur elle était nettement remontée.

« Vous n’aviez pas dit que vous étiez en pèlerinage. Voici qui éclaire la question d’un jour nouveau. C’est, je le crains, de la folie mais c’est une sainte folie. » Il se pencha par-dessus la table, saisit sa tête entre ses grosses mains, s’inclina et lui baisa le front. C’était le geste le plus sacré qu’elle ait vu accomplir par une Titanide et elle en fut touchée.