Elle verrouilla une élingue de sécurité autour d’un tuyau qui partait du noyau du carrousel vers le sas et se tourna vers l’un des panneaux restants : argenté, un mètre carré, formé de deux feuilles de film mince en sandwich. Elle posa le tournevis à un angle et l’outil cliqueta dans l’orifice. Le contrepoids se mit à tourner. Une fois libérée, la vis fut aspirée pour ne pas se perdre dans l’espace.
Encore trois manipulations et le panneau se détacha de la couche de mousse antimétéorites. Cirocco le saisit pour le tourner face au soleil et faire sa propre inspection des crevaisons. Trois points de lumière minuscules révélaient que la feuille avait été traversée par des grains de poussière météorique.
Le panneau était raidi par des câbles sur les bords. Elle en plia deux par le milieu. Au cinquième pli, il était suffisamment petit pour se loger dans l’épaisse poche de sa combinaison. Elle boucla le rabat et se dirigea vers le panneau suivant.
Leur temps était compté. Chaque fois que possible ils combinaient deux corvées : ainsi, à la fin de cette journée, Cirocco se retrouva allongée sur sa couchette tandis que Calvin l’examinait, comme toutes les semaines, en même temps que Gaby lui présentait les derniers clichés de Thémis. La cabine était bondée.
« Ce n’est pas une photo, expliquait Gaby. Mais une image théorique agrandie par l’ordinateur. Et elle est en infrarouge, qui semble être le meilleur spectre. »
Cirocco se haussa sur un coude, avec précaution pour ne pas déloger l’une des électrodes de Calvin. Elle mâchouilla l’extrémité du thermomètre jusqu’à ce qu’il fronce les sourcils à son adresse.
Le document révélait une large roue de chariot cerclée par de larges zones triangulaires d’un rouge vif. Il y avait six autres zones rouges à l’intérieur de la roue, mais elles étaient plus petites et carrées.
« Les grands triangles à l’extérieur sont les endroits les plus chauds, expliqua Gaby. Je suppose qu’ils font partie du système de régulation thermique. Soit ils absorbent la chaleur solaire, soit ils dissipent l’excédent de chaleur.
— Houston a déjà son opinion », souligna Cirocco. Elle jeta un œil à la caméra proche du plafond. Le contrôle au sol les suivait. S’ils avaient une idée, Cirocco le saurait d’ici quelques heures, qu’elle dorme ou non.
L’analogie avec une roue était presque parfaite, hormis les panneaux de climatisation indiqués par Gaby. Il y avait au centre un moyeu, qui était percé comme pour recevoir un essieu si Thémis avait effectivement été une roue de chariot. Six rayons épais en partaient. Ils s’élargissaient graduellement avant de rejoindre la circonférence de la roue. Entre chaque paire de rayons se trouvait l’un des carrés brillants.
« Voilà ce qui est nouveau, dit Gaby. Ces carrés sont inclinés. Ce sont eux que j’ai vus au début : les six points lumineux. Ils sont plats, sinon ils réfléchiraient bien plus de lumière. Tels quels, ils ne sont visibles de la Terre que sous un angle bien précis, ce qui est rare.
— Quel angle exactement ? » zézaya Cirocco. Calvin lui ôta le thermomètre de la bouche.
« D’accord. La lumière arrive parallèlement à l’axe, selon cet angle-ci. » Son doigt tendu se pointa vers le cliché. « Les miroirs sont disposés de manière à dévier la lumière de quatre-vingt-dix degrés, vers la jante de la roue. » Du bout du doigt, elle fit un mouvement tournant, désignant une zone entre deux rayons.
« Cet endroit est plus chaud que le reste de la roue, mais pas au point d’absorber toute la chaleur reçue. Comme il ne la réfléchit pas non plus, il doit la transmettre : il doit être transparent ou translucide, et laisse la lumière pénétrer ce qui doit se trouver en dessous. Cela te suggère-t-il quelque chose ? »
Cirocco leva les yeux de son examen attentif.
« Que veux-tu dire ?
« Bon. Nous savons que la roue est creuse. Les rayons également, peut-être. En tout cas, imagine cette roue : elle est comme un pneu de voiture, large, gonflée, avec un fond plat pour donner plus d’espace. La force centrifuge te repousse loin du moyeu.
— Tout ça, j’ai pigé », remarqua Cirocco, légèrement amusée. Gaby pouvait être prise par son sujet lorsqu’elle expliquait quelque chose.
« Bien. Donc, lorsque tu es à l’intérieur de la roue, tu peux être soit sous un rayon, soit sous un réflecteur, d’accord ?
— Ah bon ? Oh, ouais. Alors…
— Alors, en chaque point précis, il fait en permanence jour ou nuit. Les rayons sont fixés rigidement, les réflecteurs sont immobiles, tout comme les verrières. Il faut donc que ce soit ainsi. Le jour ou la nuit éternelle. Pourquoi penses-tu qu’il l’ont construite ainsi ?
— Pour répondre, il faudrait les rencontrer. Leurs besoins sont peut-être différents des nôtres. » Elle reporta son attention au document. Il fallait qu’elle garde à l’esprit les dimensions de l’objet. Treize cents kilomètres de diamètre, quatre mille de circonférence. L’éventualité de rencontrer les créatures qui avaient bâti une telle chose la tourmentait de plus en plus chaque jour.
« Parfait. Je peux attendre. » Gaby n’était pas intéressée par Thémis en tant qu’astronef. Pour elle, c’était un problème fascinant d’observation.
Cirocco regarda de nouveau l’image.
« Le noyau », commença-t-elle, puis elle se mordit les lèvres. La caméra tournait toujours et elle ne voulait pas parler trop hâtivement.
« Eh bien ?
— Eh bien, c’est le seul endroit où accoster cet objet. La seule partie immobile.
— Pas tel qu’il est actuellement. Cet orifice, au milieu, est passablement grand. La plus proche zone solide se déplace déjà avec une sacrée vitesse. Je peux calculer…
— Pas grave. Ce n’est pas important dans l’immédiat. Le problème est qu’on ne pourrait aborder Thémis sans trop de difficultés qu’au centre exact de rotation. Moi, je ne voudrais pas m’y risquer.
— Alors ?
— Alors il doit exister une raison primordiale pour qu’aucun dispositif d’accostage ne soit visible en ce point. Quelque chose de suffisamment important pour qu’on ait sacrifié cet endroit, une raison quelconque de laisser ce grand trou au centre.
— Le moteur », dit Calvin. Cirocco le regarda, entr’aperçut ses yeux bruns avant qu’il ne se replonge dans son travail.
« C’était mon idée. Un gigantesque four à fusion. La machinerie dans le moyeu – des générateurs électromagnétiques chargés de canaliser l’hydrogène stellaire vers le centre où il serait brûlé. »
Gaby haussa les épaules. « Ça se tient. Mais l’accostage ?
— Eh bien, pour partir, pas de problème : on passe par un trou percé dans le fond. On atteint la vitesse de libération gratis, avec du rab pour se balader. Mais il devrait y avoir un bidule quelconque, un machin télescopique pour aller repêcher les navettes au centre lorsque le moteur est coupé. Il faut que le propulseur principal se trouve là. La seule autre possibilité serait des réacteurs le long de la circonférence. Il en faudrait trois au moins. Et même plus. »
Elle se tourna pour faire face à la caméra.
« Envoyez-moi ce que vous pouvez sur les moteurs à fusion d’hydrogène, dit-elle. Voyez si vous pouvez me donner une idée de ce que je dois chercher si Thémis en possède un.
— Il faudrait que tu ôtes ta chemise », dit Calvin.
Cirocco se redressa et coupa la caméra ; elle laissa le son. Calvin lui tapota le dos et écouta les résultats tandis qu’elle continuait d’examiner l’image de Thémis avec Gaby. Elles ne découvrirent rien de neuf jusqu’au moment où Gaby posa le problème des câbles.
« D’après ce que je sais, ils forment un cercle à mi-chemin à peu près du moyeu et de la jante. Ils soutiennent la partie supérieure des panneaux réflecteurs, un peu comme les haubans d’un voilier.