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— Je crois bien que oui. »

Ce fut en fin de compte plus facile la seconde fois. Elles ne laissèrent pas à la Titanide la moindre occasion d’entendre les anges et, bien qu’elle transpirât et se débattît comme si elle pouvait quand même sentir leur présence, elle ne lutta toutefois pas beaucoup.

Puis les anges disparurent enfin, retournés aux ténèbres éternelles du rayon, loin au-dessus de Rhéa.

Elle pleurait lorsqu’elles défirent ses liens ; c’étaient les sanglots impuissants d’un enfant qui ne comprend pas ce qui lui est arrivé. Puis ils se muèrent en récriminations pleines d’humeur principalement à cause de ses jambes et de ses oreilles douloureuses. Gaby et Cirocco lui frictionnèrent les jambes à l’endroit où les liens les avaient meurtries. Ses sabots fourchus étaient aussi rouges que de la gelée de cerise.

La disparition de Flûte-de-Pan parut la rendre perplexe mais elle ne se désola pas lorsqu’elle eut compris qu’il était parti se battre. Elle les gratifia de baisers mouillés et les pressa contre elle amoureusement, ce qui ne fut pas sans inquiéter Gaby, même après que Cirocco lui eut expliqué que les Titanides séparaient nettement coït frontal et postérieur. Les organes frontaux étaient destinés à produire des œufs semi-fertilisés qui étaient ensuite implantés à la main dans le vagin postérieur fécondé à son tour par le pénis ventral.

Lorsque Cornemuse se leva, elle était trop saoule pour les porter. Elles lui firent faire quelques tours puis la guidèrent vers la ville. Au bout de quelques heures elles purent à nouveau l’enfourcher.

Titanville était en vue lorsqu’elles découvrirent Flûte-de-Pan.

Le sang avait déjà séché sur sa jolie robe bleue. Un javelot dépassait de son flanc, pointé vers le ciel. On l’avait mutilé.

Cornemuse tomba à genoux près de lui et pleura tandis que Cirocco et Gaby restaient en retrait. Cirocco avait un goût amer dans la bouche. Cornemuse lui en voulait-elle ? Aurait-elle préféré mourir avec son compagnon ou bien était-ce une conception désespérément terrienne ? Les Titanides semblaient hermétiques à la gloire du combat ; elles se battaient uniquement parce qu’elles ne pouvaient pas faire autrement. Cirocco les admirait pour le premier point, les plaignait pour le second.

Se réjouit-on de celui qu’on a sauvé ou pleure-t-on celui qu’on a perdu ? Elle ne pouvait faire les deux à la fois, alors elle pleura.

Cornemuse se releva tant bien que mal. Avec lourdeur. Trois ans, songea Cirocco. Cela ne voulait rien dire. Elle avait une partie de l’innocence des humains du même âge mais c’était une Titanide adulte.

Elle saisit la tête tranchée et lui donna un unique baiser puis elle la replaça près du corps. Elle ne chanta pas ; les Titanides n’avaient pas de chant pour un tel moment.

Gaby et Cirocco remontèrent sur son dos et Cornemuse se dirigea vers la ville au petit trot.

« Demain, dit Cirocco. Nous partirons pour le moyeu dès demain. »

Chapitre 18.

Cinq jours plus tard, Cirocco préparait toujours son départ : subsistait le problème de savoir avec qui et quoi partir.

Bill était hors course, même s’il pensait le contraire. Idem pour August. Elle ne parlait plus que rarement, passait son temps à la lisière de la ville et ne répondait aux questions que par monosyllabes. Calvin ne pouvait dire si la meilleure thérapie était pour elle de rester ou bien de partir. Cirocco devait choisir elle-même en fonction de l’intérêt de la mission : celle-ci serait compromise par une éventuelle dépression d’August.

Calvin était éliminé puisqu’il avait promis de rester à Titanville tant que Bill ne serait pas suffisamment rétabli pour se débrouiller seul ; ensuite, il ferait ce qu’il voudrait.

Gene était partant. Cirocco désirait pouvoir le garder à l’œil, à bonne distance des Titanides.

Restait Gaby.

« Tu ne peux pas me laisser », lui dit-elle : ce n’était pas une prière mais un simple constat. « Je te suivrai.

— Je ne vais pas m’y risquer. Tu es une vraie calamité avec cette fixation envers moi que je ne mérite absolument pas. Mais tu m’as sauvé la vie, ce dont je ne t’ai jamais vraiment remerciée et je veux que tu saches que je ne l’oublierai jamais.

— Je ne veux pas de tes remerciements, répondit Gaby. Je veux ton amour.

— Je ne puis te le donner. Je t’aime bien, Gaby. Bon Dieu, nous sommes côte à côte depuis le début de cette aventure. Mais nous allons parcourir les cinquante premiers kilomètres à bord d’Omnibus. Je ne voudrais pas te forcer. »

Gaby pâlit mais parvint bravement à affirmer : « Tu n’auras pas à le faire. »

Cirocco hocha la tête. « Comme je te l’ai dit, à toi de décider. Calvin estime que nous pourrons aller jusqu’au niveau du terminateur. Les saucisses ne montent pas plus haut, à cause des anges.

— Alors ce sera toi et moi et Gene ?

— Ouais. » Cirocco fronça les sourcils. « Je suis contente que tu viennes. »

Ils avaient besoin de beaucoup de choses et Cirocco ne savait comment les obtenir. Les Titanides pratiquaient un système de troc mais les prix s’établissaient en fonction d’une formule complexe où intervenaient le degré de parenté, le statut social et le besoin. Personne ne mourait de faim mais les individus du bas de l’échelle, tels que Cornemuse, avaient tout juste le vivre et le couvert et le minimum nécessaire pour se décorer le corps. Les Titanides considéraient en effet ce dernier point comme presque aussi primordial que la nourriture.

Il existait un système de crédit et Maître-Chanteur usa en partie du sien mais fit surtout jouer son influence en gratifiant Cirocco d’une position sociale arbitrairement élevée : il en avait pratiquement fait son arrière-fille spirituelle et avait poussé la communauté à l’adopter comme telle au vu de la nature de sa mission.

La plupart des artisans titanides avaient admis ce principe et se montraient presque trop empressés d’équiper l’expédition. On confectionna des paquetages aux courroies adaptées à l’anatomie humaine. Puis chacun vint leur offrir ses meilleurs produits.

Cirocco avait décidé que chacun pouvait transporter une masse d’environ cinquante kilos. Une masse certes imposante mais dont le poids ne représentait que vingt kilos et s’allégerait encore à mesure qu’ils grimperaient vers le moyeu.

Gaby estimait en ce point l’accélération radiale à un quarantième de G.

Les cordes étaient leur premier souci. Les Titanides cultivaient une plante qui fournissait une corde fine, souple et robuste. Chaque humain pouvait en porter un rouleau de cent mètres.

Les Titanides étaient de bonnes grimpeuses même si elles limitaient leurs efforts aux arbres. Cirocco discuta des pitons avec les forgerons qui revinrent lui porter le fruit de leurs meilleurs efforts. Malheureusement le travail de l’acier était chose nouvelle pour les Titanides. Gene contempla les pitons en hochant la tête.

« C’est le mieux qu’elles puissent faire, dit Cirocco. Elles ont trempé l’acier, selon mes instructions.

— C’est encore insuffisant. Mais ne t’inquiète pas. Quel que soit le matériau à l’intérieur du rayon, ce n’est sûrement pas de la roche : elle ne pourrait jamais supporter les contraintes qui tendent à faire éclater cette structure. À vrai dire, je ne connais aucun matériau assez résistant pour ça.

— Ce qui signifie simplement que les gens qui ont construit Gaïa connaissaient des choses que nous ignorons. »

Cirocco ne s’inquiétait pas outre mesure. Les anges vivaient dans les rayons. S’ils ne passaient pas toute leur vie dans les airs, il leur fallait bien percher quelque part. Et s’ils se perchaient sur quelque chose, elle pourrait bien s’y accrocher à son tour.