Выбрать главу

On leur fournit des marteaux pour enfoncer les pitons ; c’étaient les plus légers et les plus robustes que puissent faire les Titanides. Les forgerons leur donnèrent des hachettes et des couteaux, ainsi que les pierres pour les affûter. Enfin, grâce à l’obligeance d’Omnibus, ils disposaient de trois parachutes.

« Les vêtements, dit Cirocco. Quel genre de vêtements devrions-nous emporter ? »

Maître-Chanteur parut désemparé.

« Je n’en ai aucun besoin, comme vous pouvez le constater, lui chanta-t-il. Ceux des nôtres qui, comme vous, ont la peau nue, en portent parfois lors des frimas. Nous pouvons confectionner ce que vous désirez. »

Ils furent donc vêtus de la tête aux pieds de la plus belle soie imprimée. Ce n’était pas vraiment de la soie mais la consistance était identique. Par-dessus, des chemises et des pantalons de feutre – deux paires de chaque – et des pulls et des caleçons de laine. On confectionna des manteaux et des pantalons de fourrure ainsi que des gants fourrés et des mocassins à semelle épaisse. Il fallait qu’ils soient parés à toute éventualité et, bien que les vêtements fussent encombrants, Cirocco ne voulait pas les négliger.

Ils emportaient aussi des hamacs en soie et des sacs de couchage. Les Titanides avaient des allumettes et des lampes à huile. Ils en prirent une chacun, avec une petite réserve de combustible. Elle ne pourrait leur faire tout le voyage mais il en était de même pour l’eau et la nourriture.

« L’eau, s’inquiéta Cirocco. Voilà qui pourrait poser un gros problème.

— Eh bien, comme tu l’as dit, les anges vivent là-haut. » Gaby l’aidait à l’empaquetage au cinquième jour de leurs préparatifs. « Ils doivent bien boire quelque chose.

— Ce qui ne veut pas dire qu’on trouvera facilement des points d’eau.

— Si tu commences à te tourmenter tout le temps, on ferait mieux de ne pas partir. »

Ils prirent des outres d’une autonomie de neuf ou dix jours puis complétèrent les paquetages avec le maximum possible de nourriture séchée. Ils comptaient manger la même chose que les anges, si cela était possible.

Le sixième jour tout était prêt et il lui fallait encore affronter Bill. Elle était réticente à user de son autorité pour conclure la discussion mais savait qu’elle devrait s’y résoudre si nécessaire.

« Vous êtes tous dingues, dit Bill en frappant de la paume sur son lit. Vous n’avez aucune idée de ce qui vous attend là-haut. Est-ce que tu crois sérieusement être capable de grimper une cheminée de quatre cents kilomètres de haut ?

— On va bien voir si c’est possible.

— Vous allez vous tuer. Vous vous écraserez au sol à mille à l’heure.

— J’estime que dans cette atmosphère la vélocité terminale ne doit pas excéder les deux cents. Bill, si tu comptes me décourager, tu perds ton temps. » Elle ne l’avait jamais vu dans cet état et elle n’appréciait pas du tout.

« Nous devrions nous serrer tous les coudes et tu le sais bien. Tu persistes à vouloir en faire trop parce que tu as perdu le Seigneur des Anneaux et que tu veux te conduire en héros. »

S’il n’y avait pas eu un soupçon de vérité dans ses paroles, elles ne l’auraient pas blessée autant. Elle y avait elle-même songé pendant des heures en cherchant le sommeil.

« Et l’air ! Et s’il n’y a pas d’air là-haut ?

— Nous n’allons pas nous suicider. Si la tâche est impossible, nous renoncerons. Tu inventes des prétextes. »

Son regard se fit implorant.

« Je te le demande, Rocky. Attends-moi. Je n’ai jamais rien demandé auparavant mais je te demande cela, maintenant. »

Elle soupira et fit signe à Gene et Gaby de quitter la chambre. Lorsqu’ils furent partis, elle s’assit au bord du lit et lui prit la main. Il l’enleva. Elle se releva vivement, furieuse contre elle-même pour avoir tenté de l’atteindre de cette façon, et contre lui pour l’avoir repoussée.

« J’ai l’impression que tu n’es plus le même, Bill, lui dit-elle d’une voix calme. Je pensais te connaître. Tu m’as réconfortée lorsque j’étais seule et je croyais un jour pouvoir t’aimer. Je ne tombe pas amoureuse facilement. Peut-être est-ce parce que je suis trop méfiante ; je ne sais. Tôt ou tard, tout le monde exige de moi que je me comporte comme le voudrait mon image, et c’est exactement ce que tu fais à présent. »

Il ne répondit pas, ne la regarda même pas.

« Ce que tu fais est si injuste que j’en hurlerais.

— Je voudrais bien.

— Pourquoi ? Pour mieux correspondre à l’image que tu te fais de la femme ? Bordel, j’étais capitaine lorsque tu m’as rencontrée ; je ne pensais pas que ça avait une telle importance pour toi.

— Je ne comprends pas de quoi tu parles.

— Je parle du fait que si nous en restons là, tout sera fini entre nous. Parce que je n’attendrai pas que tu viennes à ma rescousse pour me protéger.

— Je ne sais pas de quoi tu… »

Alors elle se mit à hurler et cela lui fit du bien. Elle parvint même, à la fin, à en rire amèrement. Bill avait sursauté. Gaby passa la tête par la porte puis, devant l’absence de réaction de Cirocco, s’éclipsa.

« D’accord, d’accord, concéda-t-elle. J’en fais trop. Parce que j’ai perdu mon vaisseau et que je compense en voulant me couvrir de gloire. Je suis frustrée parce que je me suis montrée incapable de ressouder cet équipage, et de le faire tourner rond – y compris que le seul homme en qui je pensais avoir confiance respecte mes décisions, la boucle et fasse ce qu’on lui dit de faire. Je suis une bestiole bizarre, je le sais. Peut-être suis-je trop sensible à certaines choses qu’un homme verrait différemment. On devient sensible lorsque ces choses se reproduisent sans cesse à mesure qu’on gravit les échelons et qu’il faut se montrer deux fois meilleure que les autres pour obtenir la place.

« Tu n’es pas d’accord avec ma décision d’effectuer l’ascension. Tu as présenté tes objections. Tu disais que tu m’aimais. Je ne crois plus que ce soit le cas aujourd’hui et je suis profondément désolée que les choses aient pris cette tournure. Mais je t’ordonne d’attendre ici mon retour et de ne plus soulever la question. »

Sa mimique était éloquente.

« C’est parce que je t’aime que je ne veux pas que tu partes.

— Mon Dieu, Bill, je ne veux pas de ce genre d’amour : je t’aime, alors ne bouge pas pendant que je te ligote. Ce qui me fait mal c’est de te voir, toi, agir ainsi. Si tu es incapable de m’avoir en tant que femme indépendante, libre de mes propres décisions, tu ne m’auras pas du tout.

— Quel genre d’amour est-ce là ? »

Elle se sentait l’envie de pleurer, mais elle s’en moquait.

« Je voudrais bien le savoir. Peut-être qu’une telle chose n’existe pas. Peut-être que chacun doit se sentir pris en charge par l’autre, auquel cas je ferais mieux de me mettre en quête d’un homme qui se reposera sur moi parce que je ne supporterai jamais l’inverse. Ne peut-on pas simplement s’entraider ? Je veux dire, lorsque tu es affaibli je te donne un coup de main, et lorsque c’est moi, tu me soutiens à ton tour.

— Tu me donnes l’impression de ne jamais avoir de faiblesse. Tu viens de dire que tu pouvais te débrouiller toute seule.

— Tout être humain le devrait. Mais si tu ne me crois pas faible, tu ne me connais pas. Je suis comme un petit bébé en ce moment, en train de me demander si tu vas me laisser partir sans un baiser, sans même me souhaiter bonne chance. »

Bon sang, voilà qu’elle pleurait. Elle essuya cette larme promptement ; elle n’avait aucune envie qu’il l’accuse d’user de ce genre d’arme. Comment fais-je pour me fourrer dans de telles impasses ? se demandait-elle. Forte ou faible, elle serait toujours sur la défensive en de telles circonstances.