— Et ceux-là ? demanda Cirocco en désignant la zone entre deux rayons. Tu as une idée de leur utilité ?
— Aucune. Il y en a six, tendus radialement entre les rayons.
Ils traversent les panneaux réflecteurs ; si ça peut te donner une idée.
— Pas exactement. Mais s’il y en a d’autres, peut-être plus petits, nous devrions les chercher. Ces câbles font environ – combien m’as-tu dit ? Trois kilomètres de diamètre ?
— Plutôt cinq.
— D’accord. Donc un câble de petite taille – disons d’un diamètre comparable à celui de notre vaisseau – pourrait nous rester invisible un bon moment, surtout s’il est aussi noir que le reste de Thémis. Gene va faire une sortie dans le coin avec le SEM et je n’aimerais pas qu’il en heurte un.
— Je mets l’ordinateur dessus », dit Gaby.
Calvin se mit à remballer son équipement.
« C’est dégoûtant : toujours en aussi bonne forme, dit-il. Vous ne me laissez jamais une occasion. Si je ne teste pas cet hôpital à cinq millions de dollars comment vais-je leur faire croire qu’ils en ont eu pour leur argent ?
— Tu veux que je casse le bras de quelqu’un ? suggéra Cirocco.
— Non. Ça, je l’ai déjà fait, à la fac.
— Cassé, ou réparé ? »
Calvin rit. « Non. Mais l’appendice. Voilà quelque chose que j’aimerais bien faire. Il y a de moins en moins d’appendicites de nos jours.
— Tu veux dire que tu n’as jamais ôté d’appendice ? Mais qu’est-ce qu’ils vous enseignent à la fac de médecine aujourd’hui ?
— Que si t’as pigé la théorie les doigts suivent. Nous sommes trop intellectuels pour nous salir les mains. » Il rit à nouveau et Cirocco sentit frémir les minces cloisons de la cabine.
« J’aimerais bien savoir à quel moment il est sérieux, dit Gaby.
— Tu veux du sérieux ? demanda Calvin. Tiens, voici une chose à laquelle tu n’as pas dû songer : la chirurgie esthétique. Vous avez sous la main l’un des meilleurs chirurgiens qui soient… » Il fit une pause pour laisser s’éteindre les quolibets. « L’un des meilleurs chirurgiens, donc. Est-ce que quelqu’un en profite ? Même pas. Refaire le nez, ça coûte maintenant sept, huit mille dollars au bercail. Ici, c’est sur le compte de la Croix-Bleue. »
Cirocco se redressa et le fusilla du regard.
« Tu ne parlerais pas pour moi, je suppose ? »
Calvin leva un pouce et, clignant de l’œil, évalua les proportions du visage de Cirocco. « Naturellement, il existe d’autres types de chirurgie esthétique. Je n’y suis pas mauvais. C’était mon dada. » Il fit descendre son pouce. Cirocco lui décocha un coup de pied et il battit en retraite vers la porte.
Elle souriait lorsqu’elle s’assit. Gaby était toujours là, le cliché coincé sous le bras. Elle était perchée sur le minuscule tabouret pliant près de la couchette.
Cirocco haussa un sourcil.
« Il y avait autre chose ? »
Gaby détourna les yeux. Elle ouvrit la bouche pour dire quelque chose, ne put émettre le moindre son, puis claqua sa cuisse nue du plat de la main.
« Non, je pense que c’était tout. » Elle fit mine de se lever.
Cirocco la considéra pensivement, puis se redressa pour couper le son de la télévision.
« Comme ça, ça va mieux ? »
Gaby haussa les épaules. « Peut-être. De toute façon, je t’aurais demandé de la couper si j’étais arrivée à parler. Je suppose que ce ne sont sans doute pas mes affaires.
— Mais tu t’es senti le besoin de dire quelque chose. » Cirocco attendait.
« Bon, d’accord. C’est ton affaire de commander le vaisseau à ta guise. Je veux que tu saches que je l’ai compris.
— Continue. Je sais admettre les critiques.
— Tu as couché avec Bill. »
Cirocco rit tranquillement. « Je ne me suis même pas couchée avec lui : le lit est trop petit. Mais je saisis ton idée. »
Cirocco avait espéré mettre à l’aise Gaby, mais en apparence sans succès. Gaby se leva et se mit à faire lentement les cent pas – sauf qu’au bout de quatre elle tombait sur la cloison.
« Cap’taine, le sexe n’est pas une obsession pour moi. Elle haussa les épaules. Je ne déteste pas, mais je n’en suis pas folle non plus. Que je ne baise pas pendant une journée ou un an, je ne fais pas de différence. Mais la plupart des gens ne sont pas comme ça. Surtout les hommes.
— Mais, moi non plus.
— Je sais. C’est pourquoi je me demandais comment tu… quels étaient tes sentiments vis-à-vis de Bill. »
C’était au tour de Cirocco de faire les cent pas. Entreprise encore plus délicate pour elle qui était plus grande que Gaby et n’avait que trois pas à faire.
« Gaby, le problème des rapports humains dans un milieu fermé est un domaine longuement exploré. Ils ont essayé des équipages exclusivement masculins. Même une fois, exclusivement féminin. Ils ont essayé avec des couples mariés et avec des célibataires uniquement. Avec des règles interdisant le sexe, et pas de règle du tout. Aucune de ces solutions n’a donné entièrement satisfaction. Les gens se tapent mutuellement sur les nerfs et il faut qu’ils baisent. C’est pourquoi je ne dicte à personne sa conduite en privé.
— Je ne veux pas dire que tu…
— Attends une minute. Je t’ai expliqué tout ceci pour que tu comprennes que je n’ignore pas les problèmes potentiels. Ce que je veux entendre, ce sont des problèmes précis. »
Elle attendit.
« C’est Gene, dit Gaby. Je l’ai fait avec Gene comme avec Calvin. Comme je dis, ce n’est pas mon obsession. Je sais que Calvin fait ça pour moi. J’en ai l’habitude. Sur Terre, je le refroidirais. Ici, je le baise pour lui faire plaisir. L’un dans l’autre ça ne fait guère de différence pour moi.
« Mais je baise avec Gene parce qu’il a… cette… cette tension. Tu comprends ? » Elle avait serré les poings. Elle les ouvrit et regarda Cirocco pour quêter son approbation.
« J’en ai fait l’expérience, oui. » Cirocco garda un ton égal.
« D’accord, il n’arrive pas à te satisfaire. C’est ce qu’il m’a dit. Ça l’embête. Cette espèce de tension me fait peur, peut-être parce que je ne la comprends pas. Je le vois pour essayer de calmer cette tension. »
Cirocco pinça les lèvres.
« Parlons franchement. Est-ce que tu me demandes de te le retirer des pattes ?
— Non, non, je ne te demande rien. Je te l’ai dit, je cherche juste à te faire prendre conscience du problème, si ce n’est pas déjà fait. À toi de décider ce qu’il faut faire. »
Cirocco opina. « Parfait. Je suis heureuse que tu me l’aies dit. Mais il faudra qu’il se supporte. Il est stable, équilibré, un rien dominateur, mais il sait parfaitement se contrôler, sinon il ne serait pas ici. »
Gaby opina. « Fais au mieux.
— Encore une chose. Ce n’est en aucun cas ton rôle de satisfaire sexuellement tout le monde. Si cela t’est une charge, c’est de ton plein gré.
— J’entends bien.
— Je l’espère. Je n’aimerais pas que tu croies que je comptais sur toi pour jouer ce rôle. Et inversement. » Elle scruta le regard de l’autre femme jusqu’à ce qu’elle détourne les yeux. Alors elle se pencha pour lui tapoter le genou.
« D’ailleurs, ça s’arrangera tout seul. Nous allons tous être trop occupés pour songer à baiser. »
Chapitre 3.
Vu sous l’angle balistique, Thémis était un vrai cauchemar.
Personne n’avait jamais tenté de se mettre en orbite autour d’un tore. Thémis faisait 1 300 kilomètres de diamètre mais seulement 250 d’épaisseur. Le tore était plat sur son flanc extérieur et sa hauteur était de 175 kilomètres. Sa densité était totalement irrégulière vu qu’il était composé d’un plancher épais à l’extérieur, surmonté d’une atmosphère, le tout coiffé d’une mince verrière pour emprisonner l’air à l’intérieur.