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Gaby considéra tout ceci puis dévisagea Cirocco avec attention.

« Tout à fait comme les énormes créatures dont nous soupçonnons l’existence sous la surface de la couronne, dit-elle d’une voix calme.

— Oui, quelque chose comme ça. » Elle observa Gaby, guettant des signes de panique, mais ne la vit même pas haleter. « Est-ce que… euh… ça te trouble ?

— Tu veux parler de ma phobie bien connue ? »

Cirocco passa la main derrière son sac et stimula la paroi pour la faire se rouvrir puis elle déplaça le sac pour que Gaby puisse voir. L’opercule était en train de se refermer doucement.

« J’ai découvert ceci avant de te réveiller. Tu vois, il se referme mais se rouvrira pour peu que tu le titilles. Nous ne sommes pas prises au piège, et nous ne sommes pas dans un estomac ou un truc analogue… »

Gaby lui effleura la main et répondit avec un sourire timide : « J’apprécie ton inquiétude…

— Eh bien, je ne voulais pas t’embarrasser, je pensais simplement…

— Tu as fait ce qu’il convenait de faire. Si j’avais été la première à voir le phénomène, il est probable que je hurlerais encore. Mais je ne suis pas par tempérament claustrophobe. J’ai simplement développé un nouveau genre de phobie qui m’est peut-être bien particulier : la crainte d’être dévorée vivante. Mais explique-moi – et, s’il te plaît, tâche d’être très convaincante – si nous ne sommes pas dans un estomac, où sommes-nous ?

— Je ne vois aucun parallèle avec des créatures de ma connaissance. » Elle en était maintenant à sa dernière couche de vêtements et décida d’en rester là. « Il s’agit d’un refuge », poursuivit-elle en se faisant aussi petite que possible tandis que Gaby commençait à se dévêtir. « Et c’est précisément l’usage que nous en faisons : pour nous protéger des assauts du froid. Je suis prête à parier que les anges hibernent dans des cavernes identiques à celle-ci. Et peut-être d’autres animaux également. Peut-être que cette créature en tire quelque avantage. Peut-être que les excréments lui servent d’engrais.

— En parlant d’excréments…

— Ouais, j’ai le même problème. Il va falloir qu’on utilise un récipient vide ou quelque chose.

— Mon Dieu. Déjà que je pue comme un chameau. Cet endroit va devenir charmant si jamais le temps ne se lève pas bientôt.

— Ça n’a rien de terrible. Je pue encore plus.

— Comme tu es diplomate. » Gaby n’avait plus sur elle que ses sous-vêtements bariolés. « Ma chère, nous allons devoir vivre un moment dans une certaine promiscuité et la pudeur ne sert à rien. Si tu gardes ceci parce que…

— Non, ce n’était pas vraiment pour ça, répondit Cirocco avec un peu trop de hâte.

— … parce que tu as peur de m’allumer, détrompe-toi. D’ailleurs, je n’y songe plus guère. J’espère que tu ne verras aucun inconvénient à ce que j’ôte ceci pour lui donner une chance de sécher. » Elle s’exécuta sans attendre sa permission puis s’allongea auprès d’elle.

« Peut-être était-ce l’une de mes raisons, concéda Cirocco, mais l’autre, la grande raison, me fait quelque peu rougir. Mes règles ont commencé.

— J’y songeais. Mais j’ai cru plus poli de n’en rien dire.

— Comme tu es diplomate, toi aussi. » Elles rirent mais Cirocco sentit son visage s’empourprer. Elle se sentait incroyablement mal à l’aise. Elle était accoutumée aux petites habitudes de la vie aseptisée à bord d’un vaisseau. Se sentir négligée sans pouvoir rien y faire la gênait terriblement. Gaby lui suggéra d’utiliser l’un des pansements de la trousse d’urgence, au moins pour son propre confort. Cirocco se laissa convaincre, bien contente que l’idée vînt de Gaby. Elle n’aurait pu se résoudre à employer les fournitures médicales à un tel usage sans le consentement de son amie.

Elles restèrent tranquilles quelque temps. Cirocco percevait avec un certain malaise la proximité de Gaby et ne cessait de se répéter qu’il faudrait bien qu’elle s’y habitue. Elles pouvaient rester coincées là pendant des jours.

Gaby en tout cas ne semblait guère troublée et bientôt Cirocco cessa de remarquer aussi nettement sa présence. Après une heure à tenter en vain de trouver le sommeil, elle commençait à s’ennuyer ferme.

« T’es réveillée ?

— Je ronfle toujours quand je suis éveillée, soupira Gaby en s’asseyant. Bordel, il va falloir que je sois sacrément plus crevée pour arriver à roupiller avec toi si près. Tu es si chaude, et si douce… »

Cirocco ignora cette remarque.

« Connais-tu quelque jeu pour passer le temps ? »

Gaby roula sur le côté et dévisagea Cirocco.

« J’ai dans l’idée quelques distractions…

— Sais-tu jouer aux échecs ?

— Je craignais bien que tu ne me dises ça. Tu prends les blancs ou les noirs ? »

La glace se reformait à l’entrée à mesure qu’elles la dégageaient.

Elles s’étaient d’abord inquiétées pour l’air mais quelques essais leur prouvèrent que le taux d’oxygène demeurait constant même avec l’opercule entièrement refermé. La seule explication était que leur capsule de survie fonctionnait comme une plante en absorbant le gaz carbonique au travers de ses parois.

Elles découvrirent l’existence d’un mamelon sur la paroi du fond. Lorsqu’on le pressait il exsudait cette substance laiteuse qu’elles connaissaient déjà. Elles y goûtèrent mais décidèrent de s’en tenir à leurs réserves jusqu’à ce qu’elles s’épuisent. C’était le lait de Gaïa dont leur avait parlé Maître-Chanteur. Sans aucun doute nourrissait-il les anges.

Lentement les heures s’étaient muées en jours et les parties d’échecs en tournois. Gaby en remporta la plupart. Elles inventèrent de nouveaux jeux avec des chiffres et des lettres et Gaby là aussi en gagna la plupart. Compte tenu de tout ce qu’elles avaient traversé ensemble, des choses qui les rapprochaient et de celles qui les séparaient, des réserves de Cirocco et de la fierté de Gaby, ce ne fut pas avant le troisième jour qu’elles firent l’amour.

Cela se produisit pendant l’une de ces périodes où l’une et l’autre se contentaient de regarder le plafond vaguement luminescent en écoutant hurler le vent à l’extérieur. Elles s’ennuyaient, étaient débordantes d’énergie et elles avaient légèrement la bougeotte. Cirocco ne cessait de dévider dans sa tête les méandres sans fin de ses bonnes raisons : Raisons-pour-lesquelles-je-dois-me-garder-d’avoir-des-relations-intimes-avec-Gaby : Grand A)…

Impossible de se rappeler le Grand A).

Quelques jours plus tôt, cela lui semblait encore sensé. Pourquoi plus maintenant ?

Il y avait leur situation ; voilà qui nuançait certainement son jugement. Elle n’avait jamais de sa vie été aussi intime avec quiconque. Depuis trois jours elles étaient en contact physique permanent. Elle se réveillait dans les bras de Gaby, moite et excitée. Et le pire était que Gaby ne pouvait l’ignorer. Chacune pouvait sentir les changements d’humeur de l’autre.

Mais Gaby avait dit qu’elle ne voudrait d’elle que lorsque Cirocco pourrait lui rendre son amour.

Ne l’avait-elle pas dit ?

Non. En y repensant, elle se rappela que Gaby s’était contentée d’exiger d’elle une envie sincère ; elle n’accepterait jamais de ne voir l’amour physique que sous l’angle d’une thérapie destinée à soulager sa peine.

Parfait. Cirocco en avait envie. Elle ne l’avait jamais éprouvé avec une telle intensité. Elle se retenait uniquement parce qu’elle n’était pas homosexuelle ; elle était bisexuelle avec un net penchant pour le sexe masculin, et sentait qu’elle devrait se garder de toute relation avec une femme amoureuse d’elle tant qu’elle ne serait pas capable d’aller au-delà de leur premier rapport amoureux.