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Ce qui avouait-elle était la chose la plus stupide qu’elle eût jamais entendue : des mots, des mots, rien que des mots idiots. Écoute plutôt ton corps et ton cœur.

Son corps n’émettait plus aucune réserve ; quant à son cœur, il ne lui en restait qu’une. Elle se tourna et chevaucha Gaby. Elles s’embrassèrent et Cirocco se mit à la caresser.

« Je ne peux pas te dire que je t’aime en toute sincérité, tout simplement parce que je ne suis pas sûre de savoir encore comment se manifeste un tel sentiment envers une femme. Je donnerais ma vie pour te défendre et ton bonheur m’importe plus que le mien propre ou celui de tout autre être humain. Je n’ai jamais eu d’amis comme toi. Si cela ne te suffit pas, j’arrête là.

— Ne t’arrête pas.

— Une fois, avec un homme que j’aimais, j’ai voulu porter ses enfants. Ce que je ressens pour toi est très proche de ce que j’ai ressenti alors, mais ce n’est pas encore ça. Je te désire… oh, je te désire tant que je ne puis l’exprimer. Mais je ne puis pas t’assurer que je t’aime. »

Gaby sourit.

« La vie est pleine de déceptions. » Elle prit dans ses bras Cirocco et l’attira vers elle.

Le vent hurla pendant cinq jours. Le sixième, le dégel commença et se poursuivit jusqu’au septième.

Sortir durant la fonte des neiges était dangereux : Des pans de glace dégringolaient de la paroi en faisant un fracas épouvantable. Lorsque cela cessa, elles émergèrent en clignant des yeux dans un univers frais, luisant d’humidité, et qui murmurait.

Elles se frayèrent un chemin jusqu’au sommet de l’arbre le plus proche et entendirent s’amplifier le murmure. Lorsque les ramures commencèrent à ployer sous leur poids, elles pénétrèrent sous une douce averse : de grosses gouttes qui ruisselaient de feuille en feuille au ralenti.

L’atmosphère au centre de la colonne était dégagée mais tout autour, et jusqu’à perte de vue, les murs étaient enveloppés d’arcs-en-ciel à mesure que la glace fondue dégringolait au travers du feuillage pour faire grossir le nouveau lac qui s’était formé sur le plancher du rayon.

« Et maintenant ? demanda Gaby.

— Demi-tour. Et direction : le haut. On a perdu plein de temps. »

Gaby opina. « Je m’en fiche, et tu le sais bien, tant que je vais là où tu vas. Mais encore une fois ; peux-tu me dire… pourquoi ? »

Cirocco s’apprêtait à lui rétorquer que c’était une question stupide lorsqu’elle prit conscience qu’elle ne l’était pas. Durant leur longue incarcération, elle avait dû admettre devant Gaby qu’elle ne croyait plus trouver quiconque aux commandes dans le moyeu. Elle ignorait elle-même à quel moment elle avait cessé d’y croire.

« J’ai fait une promesse à Maître-Chanteur, lui dit-elle. Et maintenant je n’ai plus de secret pour toi. Plus aucun. »

Gaby fronça les sourcils. « Quelle promesse ?

— Celle de voir si je peux faire quelque chose pour arrêter la guerre entre les Titanides et les anges. Je n’en avais parlé à personne. Je ne sais pas très bien pourquoi.

— Je vois. Crois-tu que tu puisses vraiment y faire quelque chose ?

— Non. » Gaby ne dit rien et continua de la regarder dans les yeux. « Mais il faut que j’essaie. Pourquoi me regardes-tu comme ça ? »

Gaby haussa les épaules. « Sans raison particulière. Je serai toutefois curieuse de connaître tes raisons pour persister à grimper après que nous aurons rencontré les anges. Car nous continuerons, n’est-ce pas ?

— Je suppose que oui. D’une certaine façon, cela me semble la bonne chose à faire. »

Chapitre 22.

L’univers se réduisait à une série sans fin d’arbres à escalader. Chacun d’entre eux présentait une variation sur le même problème ; aussi différents que des flocons de neige et pourtant d’une entêtante similitude. Pour passer de l’un à l’autre elles se contentaient de communiquer par des mouvements de main ou des grognements. Elles étaient devenues de parfaites machines à grimper aux arbres, des corps en perpétuel mouvement ascensionnel. Elles montaient par tranches de douze heures. Une fois au camp, elles dormaient comme des souches.

En dessous, le plancher s’ouvrit, libérant une mer liquide au-dessus de Rhéa. Il demeura ainsi quelques semaines puis se referma lorsque le toit s’ouvrit pour laisser le passage à la bise glaciale qui dut une fois encore les contraindre à s’abriter : cinq jours d’obscurité avant de reprendre l’ascension.

Leur troisième hiver était passé depuis six jours lorsqu’elles rencontrèrent leur premier ange. Elles cessèrent de grimper pour le regarder les observer.

Il se trouvait près du sommet d’un arbre, presque invisible parmi les branches. Elles avaient déjà entendu leur hululement, parfois suivi du claquement de leurs ailes géantes. Toutefois, jusqu’alors, la connaissance qu’avait des anges Cirocco se limitait à ce bref instant d’effroi où elle en avait vu un, empalé sur le javelot d’une Titanide.

Il était plus petit que Gaby, la poitrine large, les membres filiformes. Avec des serres en guise de pieds. Ses ailes émergeaient juste au-dessus des hanches si bien qu’en vol il pouvait en se penchant équilibrer son poids de part et d’autre de leur point d’attache. Pliées, elles dépassaient le niveau de sa tête tandis que leur extrémité pendait sous la branche sur laquelle il était perché. Les surfaces alaires de ses jambes, ses bras et sa queue restaient soigneusement repliées.

Après avoir noté toutes ces différences, Cirocco dut admettre que le plus étonnant chez cet être restait son aspect humain : il ressemblait à un enfant mourant de malnutrition mais c’était un enfant humain.

Gaby jeta un regard à Cirocco qui haussa les épaules, puis elle s’approcha d’elle, prête à toute éventualité. Elle fit un pas en avant.

L’ange poussa un cri perçant et recula en se dandinant. Il déplia entièrement ses ailes de neuf mètres d’envergure qu’il fit battre paresseusement pour demeurer en équilibre sur des branches trop faibles pour supporter son poids.

« Nous aimerions juste vous parler. » Elle tendit les mains. Avec un nouveau cri, l’ange disparut. Le vrombissement de ses ailes leur parvint tandis qu’il gagnait de l’altitude.

Gaby considéra Cirocco. Haussant un sourcil, elle fit, de la main, un signe interrogatif.

« C’est ça. Montons. »

« Capitaine ! »

Cirocco s’immobilisa immédiatement. Devant, Gaby s’arrêta, retenue par la corde soudain tendue.

« Quoi ? demanda Gaby.

— Tais-toi. Écoute. »

Elles attendirent et quelques minutes après, l’appel se renouvela. Cette fois, Gaby l’entendit elle aussi.

« Ça ne peut pas être Gene, murmura Gaby.

— Calvin ? » À peine l’avait-elle dit qu’elle reconnut la voix. Bizarrement changée mais reconnaissable.

« April.

— Exact », vint la réponse bien que Cirocco ait parlé à voix basse. « On cause ?

— Bien sûr que je veux causer. Où diable restes-tu ?

— En dessous. Je te vois. Ne redescends pas.

— Et pourquoi donc ? Bordel, April, cela fait des mois qu’on attend de tes nouvelles. August est folle d’inquiétude. » Cirocco fronça les sourcils. Quelque chose n’allait pas et elle voulait savoir quoi.

« C’est moi qui viens, sinon… Si vous vous approchez, je m’envole. »