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— Je… vous ? À me demander, à moi ? » L’idée était absolument inattendue. Cirocco était déjà nerveuse à l’idée d’aborder le sujet du Seigneur des Anneaux. Elle savait qu’on les avait floués, elle et son équipage, mais allez expliquer ça à une déesse ! Cirocco aurait bien voulu avoir le millième du culot dont elle avait fait preuve pour hurler des malédictions dans le vide au beau milieu du moyeu. « Que pourrais-je donc faire pour vous ? »

Gaïa sourit.

« Vous allez être surprise. »

Cirocco consulta Gaby dont les yeux s’agrandirent tandis qu’en cachette elle se croisait les doigts.

Puis elle posa ses questions :

« La première… euh, la première concerne les Titanides. » Bon sang, c’était censé être la seconde. Tant pis, autant tâter le terrain.

« Une Titanide du nom de Maître-Chanteur… » Elle chanta son nom avant de poursuivre. « Il m’a demandé de… au cas où je parviendrais à vous rencontrer, de vous demander la raison de la guerre. »

Gaïa fronça les sourcils, plus de confusion que de colère.

« Vous avez certainement dû le déduire par vous-même.

— Eh bien, oui, c’est le cas. L’agressivité envers les anges est inscrite en eux. C’est un instinct et l’inverse est bien sûr valable pour les anges.

— C’est absolument exact.

— Et puisque vous les avez conçus, vous devez certainement avoir une raison… »

Gaïa parut surprise.

« Mais bien évidemment : je voulais une guerre. Je n’en avais jamais entendu parler avant d’avoir eu l’occasion d’observer vos programmes de télévision. Vous semblez tellement y tenir, puisque vous en organisez une presque chaque année, que je me suis dit que je devrais essayer. »

Cirocco fut incapable de dire un mot pendant un bon moment. Elle s’aperçut qu’elle avait la bouche ouverte.

« Vous êtes sérieuse, n’est-ce pas ?

— On ne peut plus.

— Je ne sais vraiment qu’en penser… »

Gaïa soupira. « Je ne voudrais pas vous effrayer. Je vous assure que vous n’avez rien à craindre de moi. »

Gaby se pencha. « Comment pouvons-nous le savoir ? Vous avez… » Elle s’arrêta et regarda Cirocco.

« … détruit votre vaisseau. Tel est j’en suis sûre le deuxième point sur votre calepin. Il y a bien des choses que vous ignorez à ce sujet. Voulez-vous encore un peu de café ?

— Non merci, pas pour l’instant, répondit vivement Cirocco. Gaïa, ou Votre Sainteté, ou quel que soit le nom que je suis censée vous donner…

— Gaïa convient parfaitement.

— … nous n’aimons pas la guerre. Moi, je ne l’aime pas et je crois qu’il en est de même pour toute personne sensée. Vous avez certainement dû voir aussi des films contre la guerre. »

Elle fronça les sourcils en se mordillant les phalanges.

« Bien sûr que oui. Mais ils sont en minorité et, qui plus est, c’étaient des films grand public. Avec encore plus de sang que la plupart des films bellicistes. Vous dites ne pas aimer la guerre, mais alors pourquoi vous fascine-t-elle à ce point ?

— Je ne puis vous donner de réponse là-dessus. Mais ce que je sais, c’est que je hais la guerre et que les Titanides la haïssent également. Elles voudraient la voir cesser. Voilà ce que je suis venue vous demander.

— Plus de guerre ? » Elle jeta sur Cirocco un regard soupçonneux.

« Non.

— Pas même une escarmouche de temps en temps ?

— Pas même cela. »

Gaïa eut un haussement d’épaules qu’elle accompagna d’un gros soupir.

« Très bien, dit-elle. Considérez que c’est chose faite.

— J’espère que cela ne va pas vous causer trop de complications, poursuivit Cirocco. J’ignore comment vous comptez…

— C’est fait ! » La pièce fut illuminée par un éclair qui dessina une couronne autour de la tête de Gaïa. Le coup de tonnerre fit se redresser Gaby et Cirocco. Gaby, son sabre à demi sorti du fourreau, s’était déjà interposée entre Cirocco et Gaïa.

Plusieurs secondes inconfortables s’écoulèrent.

« Je n’avais pas l’intention de faire ça, dit enfin Gaïa avec un geste nerveux de la main. C’était… eh bien, c’était juste une façon d’exprimer mon désappointement. »

Elle soupira puis les fit se rasseoir.

« J’aurais dû dire que c’était en train de se faire, expliqua-t-elle une fois le calme revenu. Je rappelle tous les anges et toutes les Titanides. Leur reprogrammation ne prendra qu’un instant.

— Reprogrammation ? demanda Cirocco, l’air soupçonneux.

— Personne ne souffrira, ma chère. Le sol va les avaler. Ils en émergeront peu après, libérés de toute pulsion. Satisfaite ? »

Cirocco se demanda quelle était l’alternative mais elle opina.

« Très bien. Maintenant l’autre problème. Votre vaisseau… Ce n’est pas moi qui l’ai fait. »

Elle leva la main pour s’assurer que Cirocco ne l’interromprait pas, puis poursuivit.

« Je sais bien que je vous ai dit que j’étais le monde entier, que je suis Gaïa. Ce fut entièrement vrai à une époque. Maintenant cela l’est moins. Gardez à l’esprit que je suis âgée de 3 001 266 ans. » Elle fit une pause, haussa un sourcil.

« Trois millions… » Les yeux de Cirocco s’étrécirent. « Telle était selon vous votre espérance de vie.

— Correct. Je suis vieille, et pas uniquement selon vos critères : selon les miens aussi. Vous avez pu le constater sur l’anneau comme dans le moyeu. Mes déserts sont plus secs, mes banquises plus épaisses que jamais et je ne puis rien y faire. Je doute pouvoir vivre encore 100 000 ans. »

Brusquement, Cirocco se mit à rire. Gaby la regarda avec surprise tandis que Gaïa se contenta d’attendre poliment, la tête penchée de côté, qu’elle ait reprise son contrôle.

« Pardonnez-moi, finit par dire Cirocco, encore haletante, mais à vrai dire, j’ai du mal à vraiment compatir. Rien que 100 000 ans ! » Et elle rit de plus belle, rejointe cette fois par Gaïa.

« Vous avez raison, dit cette dernière. Il reste amplement le temps de m’envoyer des fleurs. Je serais bien capable de survivre à toute votre race. » Elle s’éclaircit la gorge. « Mais revenons à nos moutons. Je suis mourante. Je me déglingue par mille bouts – certes je tiens encore debout, ne vous en déplaise, mais ce n’est plus ça.

« Imaginez un dinosaure : un cerveau dans la tête, un autre dans la queue. Une commande décentralisée pour un corps trop massif.

« Je fonctionne de manière analogue. Lorsque j’étais jeune, mon cerveau auxiliaire travaillait de concert avec moi, de la même façon que vos doigts vous obéissent. Depuis le dernier demi-million d’années les choses ont changé : j’ai perdu la plus grande partie du contrôle de mes zones périphériques. Il existe douze intelligences distinctes sur ma couronne et je me fragmente en deux personnalités séparées au sein même de mon centre nerveux, dans le moyeu.

« En un sens, je reproduis cette théogonie grecque dont j’ai fait ma passion : mes enfants tendent à devenir insoumis, entêtés, antagonistes. Je me bats contre eux en permanence. Là-dessous on trouve de bonnes et de mauvaises régions. Hypérion est dans les bonnes. Je m’entends bien avec lui.

« Rhéa est fantasque et n’a pas toute sa tête mais au moins j’arrive à force de cajoleries à lui faire suivre le droit chemin.

« Mais c’est Océan le pire. Nous ne nous parlons même plus. Je n’agis à Océan que par le biais d’erreurs, de tromperies, de ruses.

« Et c’est Océan qui s’est emparé de votre vaisseau. »