« Que m’offrez-vous ?
— Une chance de vivre longtemps, avec le risque pourtant d’une mort rapide. Je vous offre des amis sûrs et des ennemis redoutables, le jour éternel et la nuit sans fin, des chants d’allégresse et des vins entêtants, les épreuves, les victoires, le désespoir et la gloire. Je vous offre la possibilité d’une vie que vous ne trouverez nulle part sur Terre, le genre de vie que vous saviez impossible à trouver dans l’espace tout en l’espérant malgré tout.
« J’ai besoin d’un émissaire sur l’anneau. Il y a bien longtemps que je n’en ai plus car je suis très exigeante. Je puis vous offrir certains pouvoirs. Vous définirez vous-même votre tâche, choisirez vos horaires et vos compagnons, découvrirez le monde. Je pourrai vous procurer de l’aide, tout en intervenant le moins possible.
« Que diriez-vous de devenir une Sorcière ? »
Chapitre 26.
Vu de haut, le camp de base de l’expédition ressemblait à une monstrueuse fleur brune. Une balafre s’était ouverte dans le sol juste à l’est de Titanville et commençait à dégorger les Terriens.
Le flot semblait interminable. Tandis que Cirocco l’observait depuis la nacelle d’Omnibus, un globe de gélatine bleue en forme de pilule jaillit du sol et tomba sur le côté. Le revêtement ne tarda pas à se liquéfier en révélant sous sa gangue une chenillette argentée. Le véhicule se dégagea de la mer bourbeuse pour se diriger vers l’alignement de six machines identiques déjà garées à proximité d’un complexe de dômes gonflables avant de décharger ses cinq passagers.
« Ces mecs sont venus en y mettant le paquet, observa Gaby.
— Regarde donc par là. Et ce n’est que l’équipe d’atterrissage : Wally va tenir son vaisseau à distance pour ne pas se faire cueillir.
— Tu es sûre de vouloir descendre ?
— Il le faut. Tu dois bien le savoir. »
Calvin considéra le spectacle et renifla.
« Si ça ne vous dérange pas, dit-il, je reste en haut. Ça pourrait tourner mal si je descendais.
— Je peux te protéger, Calvin.
— Ça reste à voir. »
Cirocco haussa les épaules. « Peut-être veux-tu rester également, Gaby.
— Je vais où tu vas, répondit-elle simplement. Tu dois bien le savoir. Tu crois que Bill est encore en bas ? Ils l’ont sans doute déjà évacué.
— Je crois qu’il attendra. Et d’ailleurs, il faut que je descende pour voir ça de plus près. »
Et elle lui indiqua l’amas de métal brillant qui surgissait à l’ouest du camp, au milieu de sa propre fleur de terre retournée. Il n’avait aucune forme définie, rien ne pouvait révéler qu’il ait pu être autre chose qu’une simple épave. C’étaient les ossements du Seigneur des Anneaux. « Allez on saute », dit Cirocco.
« … et elle affirme avoir effectivement œuvré dans notre intérêt tout au long de cet incident prétendument agressif. Je ne puis vous présenter aucune preuve concrète de la plupart de ces assertions. Il ne peut y avoir aucune preuve, hormis l’exemple concret de son comportement durant un laps de temps convenable. Mais je ne vois pas en quoi elle pourrait représenter une menace pour l’humanité, présentement ou dans l’avenir. »
Cirocco se radossa et saisit son verre d’eau en regrettant que ce ne fût pas du vin. Elle avait parlé pendant deux heures, interrompue seulement par Gaby pour souligner ou corriger certains points de détail de son rapport.
Ils se trouvaient sous le dôme circulaire qui tenait lieu de poste de commandement à la mission au sol. La pièce était assez grande pour contenir les sept officiers, Cirocco, Gaby et Bill. Dès leur atterrissage, on y avait sans tarder conduit les deux femmes et après les présentations on leur avait demandé leur rapport.
Cirocco se sentait déplacée. Bill et l’équipage de l’Unité étaient vêtus d’uniformes rouge et or immaculés, sans un pli. Ils respiraient la propreté.
Et leur aspect était franchement trop militaire au goût de Cirocco. L’expédition du Seigneur des Anneaux avait évité cela au point même d’éliminer les titres militaires, hormis celui de capitaine. À l’époque du lancement, la NASA faisait son possible pour effacer toute trace de ses origines militaires. On avait cherché à placer la mission sous la houlette des Nations unies même si la notion qu’elle fût autre chose qu’une expédition purement américaine ressortissait de la pure fiction. Cela représentait toutefois un grand pas.
L’Unité, par son nom même, témoignait que les nations de la Terre collaboraient plus étroitement. Son équipage multinational prouvait que la tentative du Seigneur des Anneaux avait réuni les nations autour d’un but commun.
Mais les uniformes révélaient à Cirocco quel était ce but.
« Vous préconisez donc la poursuite d’une politique pacifique », dit le capitaine Svensen. Il parlait par le biais d’un récepteur de télévision placé sur le bureau pliant au centre de la pièce. En dehors des chaises, c’était l’unique élément de mobilier.
« Le plus que vous puissiez y perdre, c’est votre équipe d’exploration. Regardez les choses en face, Wally : Gaïa sait pertinemment que ce serait un acte de guerre et que le vaisseau suivant ne serait même pas habité : ce serait une grosse bombe H. »
Le visage sur l’écran fronça les sourcils puis opina.
« Excusez-moi un instant, dit-il. Je voudrais en discuter avec mon état-major. » Il fit mine de se détourner puis se ravisa.
« Et vous, Rocky ? Vous ne nous avez pas dit si vous la croyez. Dit-elle la vérité ? »
Cirocco n’eut aucune hésitation.
« Oui, elle dit vrai. Vous pouvez compter sur elle. »
Le commandant au sol, le lieutenant Strelkov, attendit pour s’assurer que le capitaine n’avait plus rien à dire puis se leva. C’était un jeune homme élégant affligé d’un menton fuyant et – bien que Cirocco eût du mal à le croire – il était soldat dans l’armée soviétique. C’était presque encore un enfant.
« Puis-je vous offrir quelque chose ? » lui demanda-t-il dans un excellent anglais. « Peut-être avez-vous faim après votre voyage de retour.
— Nous avons mangé juste avant de sauter, répondit Cirocco en russe. Mais si vous aviez du café… »
« Tu n’as pas vraiment terminé ton histoire, disait Bill. Il reste encore ton retour après ta conversation avec Dieu.
— On a sauté, dit Cirocco en sirotant son café.
— Vous… »
Elle se tenait avec Bill dans un « coin » de la pièce circulaire, leurs deux chaises rapprochées, tandis que les officiers de l’Unité murmuraient entre eux à voix basse autour du récepteur de télévision. Bill avait l’air en forme. Il marchait avec une béquille et sa jambe le faisait apparemment souffrir lorsqu’il s’appuyait dessus mais son moral était au beau fixe. La toubib de l’Unité l’avait assuré qu’elle pourrait l’opérer sitôt qu’il serait à bord et pensait qu’il n’en conserverait aucune séquelle.
« Pourquoi pas ? lui demanda Cirocco en esquissant un sourire. Nous avions gardé jusqu’en haut nos parachutes par mesure de sécurité, alors pourquoi ne pas s’en servir ? » Il en était encore bouche bée. Elle rit et, se laissant attendrir, lui posa la main sur l’épaule. « D’accord, on a réfléchi un bon moment avant de se décider à sauter. Mais cela n’avait vraiment rien de dangereux. Gaïa avait maintenu les deux valves ouvertes pour nous après avoir appelé Omnibus. Nous avons fait les quatre cents premiers kilomètres en chute libre avant d’atterrir sur le dos d’Omnibus. » Elle tendit sa tasse pour qu’un officier la resserve en café puis se retourna vers Bill.