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Tobor s’approcha au bord du liquide écumant et bouillonnant et, après avoir observé une énième et exténuante pause, ii plongea dans le courant. Il nageait, en évitant de heurter les troncs emportés.

Lorsque Tobor sauta sur l’abrupte rive opposée, l’instructeur de natation, un homme de petite taille et chétif, jeta un regard à la ronde et, le visage illuminé par un sourire, toisa triomphalement la salle. Depuis le matin, dans l’attente de cet instant, il n’avait pas prononcé un mot, ne prêtant aucune attention à ce qui se disait. Maintenant ii avait le cœur en fête. En effet, c’était lui et personne d’autre qui avait appris à nager à Tobor, qui lui avait inculqué le difficile art de se mouvoir dans un liquide agité et perfide, cherchant à te retourner… A présent l’instructeur de natation savourait son triomphe comme le vainqueur d’une épreuve olympique en recevant une couronne de lauriers. A la vue du sourire heureux de l’instructeur, l’alpiniste ne put contenir un sentiment d’envie.

La rive était parsemée de pierres acérées. Les évitant avec agilité, le robot entreprit l’escalade du versant rocailleux et abrupt. Il rampait, utilisant les moindres accidents de terrain.

L’ouragan hurlait, les éléments, dont les bruits étaient diffusés de manière atténuée par les haut-parleurs installés dans la salle, cherchaient à arracher Tobor et à le précipiter en bas, sur les roches tranchantes.

Dès que l’occasion se présentait, Tobor recourait à son procédé de prédilection : un bond immense. Un chercheur fit remarquer que sur ce secteur il aurait été préférable que Tobor se déplace au moyen de son train chenillé, et sa réplique eut pour effet de déclencher une vive discussion. Plus précisément, c’était un écho et le prolongement de débats précédents engagés de longue date. A l’époque la discussion avait porté sur la question de savoir de quel procédé de déplacement il fallait doter le jeune Tobor qui venait juste de quitter son giron maternel, à savoir la chambre de synthèse. Les uns proposaient de l’équiper de chenilles, les autres préconisaient un train à roues.

Après avoir préalablement écouté tous les avis, pesé tous les « pour » et « contre », l’académicien Akim Ksénofontovitch Pétrachevski, coordinateur inamovible du gigantesque projet « Tobor », avait déclaré avec conviction :

— Des pas, des pas, seulement des pas ! La course, autant que vous voulez ! Des sauts, parfait ! Au cours des millions d’années de son évolution la nature n’a pas inventé la roue, et cela non sans raison. L’avenir appartient aux mécanismes marchant et sautant.

…Sourovtsev se souvint comment, quatre ans auparavant, il avait franchi le seuil de l’Institut des systèmes auto-organisés.

— Pour quelle raison Tobor devrait-il ramper ? Dotons-le d’ailes et qu’il vole !… avait proposé le jeune spécialiste en bionique frais émoulu de la faculté de biochimie de l’Université de Moscou et qui avait été nommé — envié en cela par toute la promotion — à la Cité Verte.

— Voler, nous le lui apprendrons, collègue, avait dit Akim Ksénofontovitch en expliquant de façon circonstanciée : il ne doit pas se faire d’illusions là-dessus. En règle générale, un système protéique s’oriente et se déplace assez bien dans l’espace. Surtout s’il est de la classe de Tobor. Il est bien plus malaisé de lui apprendre à marcher, de manière à ce qu’aucun obstacle ne constitue une gêne pour lui. Sans cette aptitude notre Tobor sera d’une utilité insignifiante tant ici-bas que lors des lointaines expéditions cosmiques.

Le rouge de la gêne et de la honte était monté aux oreilles de Sourovtsev tandis que Pétrachevski, que cela n’avait pas semblé préoccuper, avait poursuivi sur un ton mesuré sa conférence improvisée. Tous ceux qui se trouvaient dans le laboratoire de biologie formaient un cercle autour d’eux et l’écoutaient.

— Voyez-vous, collègue, avait dit Akim Ksénofontovitch, pour accomplir un travail dont l’homme a besoin, Tobor doit au premier chef savoir marcher convenablement et non pas voltiger d’un endroit à un autre comme un papillon…

— Voler d’un endroit à un autre est plus simple que se déplacer sur le sol, avait répliqué Sourovtsev.

— Pas toujours, collègue, lui avait répondu Pétrachevski en souriant. Par ailleurs, il est notoire que certaines des planètes que nous allons devoir explorer ne possèdent pas d’atmosphère. Expliquez-moi alors comment Tobor fera pour voler ?

— On peut adjoindre au modèle un propulseur à réaction.

— C’est sensé, avait acquiescé Akim Ksénofontovitch. Figurez-vous, collègue, que nous y avons aussi pensé. Un petit pourcentage de Tobor aura probablement besoin de tels moteurs. Et d’ailes également. Mais cela concerne l’avenir… Pour commencer Tobor doit apprendre à marcher. Pour lui c’est le principal moyen de déplacement.

…Et au fil des jours, au fil des années ils avaient appris à Tobor. A marcher, bien sûr, mais aussi à faire bien d’autres choses.

Sourovtsev avait gardé en mémoire pour longtemps — probablement pour toute la vie — la première conférence que l’académicien Pétrachevski lui avait lue en présence des spécialistes de bionique de l’Institut. Le ton d’Akim Ksénofontovitch avait été d’une courtoisie exemplaire, pourtant le terme « collègue » avait eu pour effet de l’agacer.

Par la suite Sourovtsev avait beaucoup fréquenté Pétrachevski. Plus il le connaissait et plus grande devenait la sympathie qu’il nourrissait pour lui. Ils avaient des discussions, des brouilles intervenaient, mais si Pétrachevski avait tort — ce qui arrivait aussi — il le reconnaissait publiquement. Homme à la destinée difficile, Akim Ksénofontovitch avait vécu une grande vie en conservant, nonobstant, vivacité juvénile et spontanéité. Et le temps aidant, Pétrachevski avait recouru de moins en moins au terme « collègue » en s’adressant à Sourovtsev.

Ivan appréciait : il avait compris que Pétrachevski utilisait le fielleux terme « collègue » pour désigner tous les parvenus de la science qu’il remettait toujours à leur place, bien que conscient de se faire des ennemis.

Sourovtsev ne s’imaginait pas sans la Cité Verte. Il s’y était enraciné, avait trouvé une compagne et soutenu une thèse. A présent il songeait au doctorat. Il avait refusé plusieurs propositions séduisantes d’aller s’installer à Moscou, à Paris ou à Marsopolis. Pourtant, combien il lui était malaisé de travailler ici, en permanence sous l’œil exigeant et impitoyable de l’académicien Pétrachevski, le directeur de l’Institut des systèmes auto-organisés…

Tobor achevait déjà un nouveau tronçon du parcours d’examen. Les personnes présentes dans la salle manifestèrent de nouveau leur ravissement, l’alpiniste allant même jusqu’à applaudir. Mais Sourovtsev ne montra aucune émotion particulière : l’inquiétude d’Akim Ksénofontovitch s’était communiquée à lui.

* * *

La voie de Tobor était venue buter contre une paroi rocheuse presque verticale. Les ingénieurs du polygone n’avaient pas chipoté quant à la difficulté : l’obstacle était de taille.

Le géant traînassait en prenant une décision. Une nouvelle fois cette pause sembla trop longue à Sourovtsev.

…Le rayon laser d’une sonde informa Tobor que l’épaisseur de la paroi rocheuse barrant la voie était moins grande qu’il aurait pu sembler au terme d’une observation visuelle : elle était approximativement d’une dizaine de mètres à la base.

Tobor se mit à sélectionner hâtivement les variantes, sans prêter attention à cette étrange lourdeur qui envahissait chacune des particules de son corps : jamais telle chose ne lui était encore arrivée. Il aurait été bien d’entrer en communication radio avec Aksène ou Iv (Tobor appelait ainsi Akim Ksénofontovitch et Sourovtsev, habitué qu’il était à abréger les noms des gens auxquels il avait affaire) et de les informer de ce phénomène. Hélas, il savait que c’était impossible et qu’il ne devait compter que sur ses propres forces et possibilités.

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