Выбрать главу

— Il existe bien des manières de quitter une prison, même quand le corps en demeure captif !

Marianne comprit alors la raison profonde de cette surveillance ; Damiani craignait que le désespoir et l’humiliation ne la poussent au suicide.

— Je ne me tuerai pas, affirma-t-elle. Je suis chrétienne et les chrétiens considèrent la mort volontaire comme une lâcheté doublée d’une faute grave !

— C’est possible ! Mais je te crois de celles qui ne craignent pas de braver même un dieu. Et puis nous ne voulons rien laisser au hasard : tu es trop précieuse maintenant !...

Marianne ignora volontairement le propos et ne le releva pas. A chaque instant son souci ! Pour le moment, elle sentait bien qu’il était inutile d’insister pour être débarrassée de sa gardienne, mais elle devait faire un effort pour ne pas montrer sa déception car cette présence compliquait singulièrement les choses. Comment se livrer à la moindre tentative d’évasion sous l’œil morne de ce cerbère noir ? A moins de l’assommer et de le réduire à l’impuissance auparavant ?

L’idée cheminait doucement en Marianne qui s’était, il y avait un instant, proclamée si bonne chrétienne et qui, maintenant, envisageait froidement de tuer sa gardienne pour pouvoir s’enfuir. A condition, bien sûr, d’en avoir la force et d’être assez habile pour prendre, par la surprise, une espèce de chat sauvage aux sens perpétuellement en éveil...

La journée passa ainsi, monotone mais point trop ennuyeuse, à échafauder toutes sortes de projets plus ou moins réalisables qui avaient tous pour but l’élimination de la geôlière. Mais, quand la nuit revint, Marianne comprit qu’elle aurait bien peu de chance d’en réaliser un seul, car, après le souper, Matteo reparut et, un bougeoir à la main, fit son entrée dans la chambre. Un Matteo tellement différent de celui que Marianne avait vu jusqu’à présent, que sa colère s’en trouva un instant prise de court.

Non seulement il n’avait plus rien du sorcier fou de l’autre nuit et ne montrait plus trace d’ivresse, mais encore il avait soigné son extérieur de façon insolite. Rasé, coiffé, pommadé, les ongles brillants comme des agates, portant une robe de chambre d’épaisse soie bleu sombre sur une chemise d’une éclatante blancheur, il répandait autour de lui de puissants effluves d’une eau de Cologne si largement appliquée qu’ils rappelèrent soudain Napoléon à Marianne. Lui aussi avait coutume de s’inonder ainsi d’eau de Cologne quand...

Sa pensée n’alla pas plus loin, reculant devant une odieuse hypothèse. Pourtant, Matteo avait tout du marié de village au soir de ses noces, l’embarras en moins, car il arborait un sourire vainqueur et paraissait enchanté de lui-même.

Tout de suite sur ses gardes, Marianne fronça les sourcils. Puis, le voyant poser son bougeoir au chevet du lit, elle protesta avec indignation :

— Enlevez cette chandelle et allez-vous-en ! Comment osez-vous seulement vous présenter devant moi ? Et que prétendez-vous faire, à présent ?

— Eh mais... passer la nuit auprès de vous ! N’êtes-vous pas... en quelque sorte mon épouse désormais, belle Marianne ?

— Votre...

Le mot se coinça dans la gorge de la jeune femme et refusa de sortir mais il ne retint guère qu’un instant la fureur sauvage qui s’empara d’elle. Un véritable torrent d’injures en plusieurs langues, empruntées aussi bien au vocabulaire du palefrenier Dobs, qu’à celui des marins de Surcouf, et dont elle s’étonna elle-même, se déversa sur l’intendant qui, de stupeur, recula sous la tempête :

— Dehors ! continua Marianne, sortez d’ici immédiatement, misérable assassin, bandit, ruffian ! Vous n’êtes qu’un plat valet, un porc né de l’accouplement d’une truie et d’un bouc, et vous n’employez d’ailleurs que des armes de valet : le piège et le coup de poignard dans le dos ! Car c’est ainsi, n’est-ce pas, que vous avez tué votre maître ? Lâchement, par-derrière ? Ou bien lui avez-vous tranché la gorge en le rasant ? Ou encore une drogue, semblable à celle que vous avez osé employer contre moi pour me réduire à votre merci ? Mais qu’est-ce que vous imaginez ? Que votre magie noire m’a faite, tout à coup, semblable à vous ? Que j’ai pris plaisir, peut-être, au traitement infâme que vous m’avez fait subir et que, séduite par vos grâces, je vais désormais partager bourgeoisement vos nuits ? Mais regardez-vous... et regardez-moi ! Je ne suis pas une bergère qu’on culbute dans un tas de foin, Matteo Damiani, je suis...

— Je sais, cria Matteo dont la patience était courte ! Vous l’avez déjà dit : la princesse Sant’Anna ! Mais que vous le vouliez ou non je suis, moi aussi, un Sant’Anna et mon sang...

— Cela reste à prouver et je n’en suis pas convaincue ! Il est facile, en vérité, de s’attribuer pour père un grand seigneur quand il n’est plus là pour le confirmer. Et vos façons de faire, à elles seules, s’insurgent contre vos prétentions. Chez les Sant’Anna, j’ai appris qu’on tuait de face, qu’on exerçait une justice impitoyable et cruelle, mais qu’on n’aurait jamais, que je sache, recouru à l’aide d’une sorcière africaine pour mener à bien une ignoble machination contre une femme...

— Tous les moyens sont bons, avec une femme comme vous ! Après tout, votre mariage n’a été qu’une escroquerie. Où est l’enfant que vous vous étiez engagée à donner à votre mari, où est la raison, l’unique raison pour laquelle on vous a épousée, vous, une ca-tin impériale ?

— Misérable laquais ! Un jour viendra où, avant de vous faire pendre, je vous ferai fouetter jusqu’à ce que vous demandiez grâce, jusqu’à ce que vous sanglotiez votre repentir d’avoir osé porter la main sur moi... et sur votre maître !

La chambre résonnait de la fureur des deux ennemis. Ils s’affrontaient, presque visage contre visage, possédés par une fureur égale, sinon de même qualité.

Marianne, blême, ses yeux verts jetant des éclairs cherchant à écraser sous son mépris un Damiani apoplectique, l’œil injecté de sang et son lourd visage violacé tremblant de rage. L’envie de tuer s’y lisait clairement, mais Marianne était incapable de mettre le moindre frein à sa colère. Elle se vidait de sa fureur, de sa haine et de son dégoût sans même chercher à analyser le bizarre sentiment qui la poussait à vouloir venger l’étrange mari dont cependant elle avait si peur, naguère encore.

Ne se possédant plus, Matteo allait se jeter sur Marianne pour l’étrangler. Ses mains, déjà, se levaient vers son cou, mais Ishtar, à cet instant, s’élança entre les deux adversaires.

— Tu es fou ? gronda-t-elle. Tu es le maître et, quoi qu’elle dise, elle t’appartient ! Pourquoi la tuer ? As-tu oublié ce qu’elle représente pour toi ?

Ses paroles firent sur Damiani l’effet d’une douche froide. Il respira lourdement, plusieurs fois, afin de se calmer puis, d’un geste soudain très doux, il écarta la femme noire et se tourna de nouveau vers Marianne.

— Elle a... raison, exhala-t-il. Laquais ou pas, vous êtes probablement enceinte de ce laquais, Princesse, et quand l’enfant sera là...

— Il n’est pas encore là et vous ignorez totalement si vos basses œuvres ont porté leur fruit. Et, en admettant même que je doive mettre au monde un enfant de vous, il vous faudra me tuer si vous voulez que je me taise car rien ni personne ne m’empêchera de vous livrer à la justice impériale.

— Eh bien, je vous tuerai. Madame ! Qu’importe quand vous aurez rempli votre tâche ! Et, en attendant...

— En attendant quoi ?

Sans répondre, Matteo se mit en devoir d’ôter sa robe de chambre qu’il posa sur une chaise et revint vers le lit avec l’intention évidente de s’y installer. Il n’eut même pas le temps de toucher le drap du bout du doigt. Rapide comme l’éclair, Marianne en avait bondi et, sans même se soucier de sa tenue sommaire, cherchait refuge dans les rideaux auxquels elle se cramponna.