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— Avouer quoi ? Je n’ai rien à avouer ! Rien, tout au moins, qui justifie un tel mot ! Cette nuit, en effet, j’ai tout à fait par hasard sauvé la vie d’un réfugié turc. Il faisait si chaud que je suffoquais dans ma chambre ! Je suis descendue jusqu’à la plage pour trouver un peu d’air frais. A cette heure tardive, je pensais y être seule...

— Tellement que tu as cru pouvoir te baigner. Tu as ôté tes vêtements... tous tes vêtements ?

— Ah ! Parce que tu sais cela aussi ?

— Naturellement ! Cet olibrius n’en a pas dormi de la nuit apparemment. Il t’a vue sortir de la mer, dans un rayon de lune, aussi nue qu’Aphrodite mais, paraît-il, infiniment plus belle ! Qu’as-tu à dire à cela ?

— Rien ! s’écria Marianne que le ton accusateur de Jason commençait à agacer, d’autant plus que le brûlant souvenir de la nuit passée lui inspirait davantage de remords et moins de regrets. C’est vrai que j’ai ôté mes vêtements ! Mais, sapristi, où est le mal ? Tu es marin, toi ! Alors ne viens pas me dire que tu n’as jamais pris un bain de mer ? J’imagine qu’alors tu n’es pas allé endosser une robe de chambre, des pantoufles et un bonnet de coton pour plonger dans l’eau ?

— Je suis un homme ! gronda Jason. Ce n’est pas la même chose !

— Je sais ! fit Marianne avec amertume. Vous êtes des êtres à part, des demi-dieux auxquels tout est permis, tandis que nous autres, pauvres créatures, n’avons le droit de profiter d’une eau fraîche que dûment empaquetées, avec un manteau à triple collet et quelques épaisseurs de châles ! Quelle hypocrisie ! Quand je pense qu’au temps du roi Henri IV, les femmes se baignaient nues, en plein Paris et en plein midi, devant les piles du Pont-Neuf et que tout le monde trouvait ça très bien ! Et moi, j’ai commis un crime parce que, par une nuit noire, sur la plage déserte d’une petite île à demi sauvage, j’ai cru pouvoir oublier un peu la température ! Eh bien, j’ai eu tort et j’en demande pardon ! Es-tu content ?

Sensible, sans doute, à l’âpreté du ton, Jason cessa d’arpenter la terrasse, les mains au dos, comme il avait coutume de le faire sur le pont de son bateau, mais avec beaucoup moins de nervosité. Il se planta en face de Marianne, la regarda avec attention puis constata, non sans surprise :

— Mais... tu te fâches ?

Elle releva vers lui des yeux traversés d’éclairs.

— J’ai tort peut-être encore ? Tu arrives ici tout fumant de colère, tu me tombes dessus bien décidé à me trouver coupable et quand je me rebiffe, tu t’étonnes ! Avec toi j’ai toujours l’impression d’être à mi-chemin entre l’idiote de village et la bacchante hystérique !

Un bref sourire détendit un instant les traits sévères du corsaire. Tendant les mains, il pécha la jeune femme au fond de ses coussins et, l’obligeant à se lever, la tint contre lui :

— Pardonne-moi ! Je sais que je viens encore de me conduire comme une brute, mais c’est plus fort que moi : dès qu’il est question de toi, je vois rouge ! Quand cet imbécile est venu, tout à l’heure, avec une mine illuminée, me décrire ton exploit et, accessoirement, ton apparition hors de l’eau, ruisselante et baignée de lune, j’ai failli l’étrangler !

— Failli seulement ? fit Marianne avec rancune.

Cette fois, Jason se mit à rire et la serra un peu plus fort contre lui.

— On dirait que tu le regrettes ? Sans Kaleb... tu sais, l’esclave échappé que j’ai recueilli, qui me l’a ôté des mains, j’achevais le travail du bourreau d’Ali Pacha.

— Oh, cet Ethiopien ? fit Marianne songeuse. Il a osé s’interposer entre toi et ton... visiteur ?

— Il travaillait au bordage tout près de nous. Et d’ailleurs, il a bien fait, fit Jason en haussant les épaules avec insouciance, ton Chahin Bey criait comme un cochon qu’on égorge et les gens commençaient à s’attrouper...

— Ce n’est pas mon Chahin Bey ! coupa Marianne vexée. Et, d’ailleurs, tout cela ne m’explique pas pour quelle raison il est venu te raconter tout cela, justement à toi ?

— Je ne te l’ai pas dit ? Mais, mon ange, simplement parce que ayant décidé de partir avec nous pour Constantinople, il est venu me demander de le prendre à bord avec ses gens.

— Quoi ? Il veut...

— Te suivre ! Oui, mon cœur ! Ce garçon a l’air de savoir ce qu’il veut et ses projets d’avenir sont extrêmement précis : gagner Constantinople, aller se plaindre amèrement au Grand Seigneur du traitement indigne qu’Ali Pacha a infligé aux siens, revenir chez lui avec une armée... et toi, reconquérir sa province et t’offrir ensuite le rang de première épouse du nouveau pacha de Delvino.

— Et... tu as accepté ? s’écria Marianne épouvantée à l’idée de traîner ce jeune Turc après elle pendant des semaines.

— Accepté ? Je t’ai dit que j’avais failli l’étrangler. Quand Kaleb me l’a eu ôté des mains, je lui ai ordonné de le jeter à terre et j’ai intimé à ton amoureux la défense formelle de remettre les pieds sur mon navire. Je n’ai que faire d’un aspirant-pacha ! Outre qu’il me déplaît, je commence à trouver qu’il y a sur la « Sorcière » beaucoup trop de monde ! Tu ne sais pas à quel point j’ai envie d’être un peu seul avec toi, mon amour... Toi et moi, rien que nous deux, le jour... la nuit ! J’ai été fou, je crois bien, d’imaginer que je pourrais t’arracher de moi ! Depuis que nous avons quitté Venise, j’ai vécu l’enfer à force de te désirer ! Mais c’est fini maintenant. Demain nous repartons...

— Demain ?

— Oui. Nous avons presque terminé. En travaillant encore toute la nuit, nous pourrons partir avec le vent du matin. Je ne veux pas te laisser ici plus longtemps, avec ce singe amoureux à ta porte. Demain, je t’emmène. Demain notre vraie vie commence ! Je ferai tout ce que tu voudras... mais, par pitié, ne nous attardons pas en Turquie ! J’ai tellement hâte de te ramener chez moi !... chez nous !... Là seulement je pourrai vraiment t’aimer comme j’en ai envie... tellement envie !

A mesure qu’il parlait, la voix de Jason avait baissé jusqu’à n’être plus qu’un murmure passionné, entrecoupé de baisers.

Le soir, peu à peu, les enveloppait tandis que s’allumaient les lucioles du jardin. Mais, chose étrange, Marianne, dans les bras de l’homme qu’elle aimait, n’éprouvait pas autant de joie qu’elle l’eût imaginé, quelques minutes plus tôt seulement, devant une telle victoire. Jason s’avouait vaincu, il rendait les armes ! Elle aurait dû exulter de joie. Mais, si son cœur fondait d’amour et de bonheur, son corps, lui, ne suivait pas. En réalité, Marianne ne se sentait pas bien du tout. Elle avait l’impression qu’elle allait s’évanouir, comme l’autre jour en descendant du bateau... Etait-ce la légère odeur de tabac qui imprégnait les vêtements de Jason ?... mais elle avait affreusement mal au cœur !

Il la sentit soudain s’alourdir, lui échapper et la retint au moment où elle allait glisser. Les dernières lueurs du jour la lui montrèrent pâle jusqu’aux lèvres.

— Marianne ! Qu’est-ce que tu as ?... Tu es malade ?

Déjà, il l’enlevait de terre pour la reposer doucement dans son nid de coussins. Mais le malaise de la jeune femme cette fois n’alla pas jusqu’à la perte de conscience. Peu à peu, la vague nauséeuse se retirait... Elle parvint à sourire :

— Ce n’est rien... la chaleur je pense !

— Non, tu es malade ! C’est la seconde fois que tu perds ainsi connaissance ! Il te faut un médecin...

Il se redressait, prêt à s’élancer à la recherche de Maddalena. Marianne le retint, le ramena près d’elle :

— Je t’assure que je n’ai rien... et que je n’ai pas besoin de médecin ! Je sais ce que j’ai.