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— Sais-tu qui a apporté ceci ? demanda-t-elle à sa camériste.

— Un valet de Mme la baronne Cenami qui est arrivé quelques instants tout juste après le départ de Madame la Princesse. Il a dit que c’était pressé et il a insisté.

Marianne approuva d’un hochement de tête et s’approcha de la fenêtre pour lire la lettre de sa nouvelle amie, la seule, en fait, qu’elle se fût acquise depuis son arrivée en Italie. Mais, à son départ de Paris, Fortunée Hamelin lui avait remis un mot de recommandation pour une jeune créole de ses compatriotes, la baronne Zoé Cenami.

Celle-ci, avant de rejoindre la maison de la princesse Elisa et d’y rencontrer le mariage, avait beaucoup fréquenté, à Saint-Germain, la maison d’éducation de Mme Campan où Fortunée faisait élever sa fille Léontine. L’identité d’origine avait créé l’amitié entre Mme Hamelin et Mlle Guilbaud et cette amitié s’était poursuivie, par écrit, lorsque Zoé était partie pour l’Italie où, peu après son arrivée, elle épousait l’aimable baron Cenami, frère du chambellan favori de la princesse, et l’un des hommes les mieux en cour par la vertu du grand pouvoir de séduction de son aîné. De son côté, Zoé, gracieuse et intelligente, avait su se fairè apprécier d’Elisa qui lui avait confié l’éducation de sa fille, la turbulente Napoléone-Elisa, un vrai garçon manqué qui mettait à rude épreuve la patience de la jeune créole.

Tout naturellement, Marianne, recommandée par son amie, avait lié amitié à son tour avec cette charmante femme qui l’avait guidée à travers Florence et introduite dans l’agréable cercle d’amis qui se réunissaient presque chaque jour dans son charmant salon du Lungarno-Accaiuoli.

La princesse Sant’Anna y avait été reçue avec une simplicité réconfortante et, peu à peu, elle y avait pris ses habitudes. Aussi était-il étonnant que Zoé, qui l’attendait ce soir-là comme de coutume, ait jugé bon de lui écrire.

Le billet était court mais inquiétant. Zoé semblait en proie à un grave souci :

Il faut que je vous voie en dehors de chez moi, ma chère princesse... écrivait-elle d’une plume hachée, trop nerveuse, ... il y va de mon repos et peut-être de la vie d’un être cher. Je vous attendrai, vers cinq heures, dans l’église d’Or San Michele, dans la nef de droite, celle où se trouve le tabernacle gothique. Venez voilée afin que nul ne vous reconnaisse. Vous seule pouvez sauver votre pauvre Z...

Perplexe, Marianne relut soigneusement le billet puis se dirigea vers la cheminée où malgré la saison déjà chaude on continuait à faire du feu à cause de l’humidité du palais et jeta dedans la lettre de Zoé. Elle fut consumée en un instant, mais Marianne ne la quitta pas de l’œil tant qu’il demeura une bribe de papier blanc. Et, en même temps, elle réfléchissait.

Il fallait que Zoé fût dans un bien grand embarras pour l’appeler ainsi à l’aide. La discrétion et la timidité de la jeune femme étaient bien connues ainsi que son extrême talent à se faire des amis dont beaucoup étaient plus anciens que Marianne. Pourquoi donc l’appeler, elle ? Peut-être parce qu’elle lui inspirait plus de confiance que d’autres ? Parce qu’elle était française, comme elle ? A cause de son intimité avec Fortunée, cet inlassable terre-neuve ?

Quoi qu’il en soit, Marianne jeta un rapide coup d’œil à la pendule de la cheminée, vit que l’heure du rendez-vous n’était plus tellement éloignée et appela Agathe pour l’habiller.

— Donne-moi ma robe de drap vert olive garnie de velours noir, une capote de paille noire et un voile de Chantilly assorti.

Agathe émergea lentement de la malle où elle disparaissait jusqu’à mi-corps et considéra sa maîtresse avec inquiétude.

— Où prétend aller Votre Altesse dans cet attirail funèbre ? Certainement pas chez Mme Cenami comme d’habitude.

Agathe, en servante dévouée, avait son franc-parler et d’ordinaire Marianne lui tolérait ses réflexions ; mais aujourd’hui, elle tombait mal. Inquiète pour Zoé, Marianne avait oublié sa belle humeur.

— Depuis quand poses-tu des questions ? coupa-t-elle sèchement. Je vais où il me plaît. Fais ce que je te demande et tout sera bien !

— Mais, si Monsieur le vicomte rentre et demande...

— Tu lui diras ce que tu sais : que je suis sortie et tu ajouteras qu’il m’attende. Je ne sais quand je rentrerai.

Agathe n’insista pas et s’en alla chercher les vêtements demandés tandis que Marianne se hâtait de quitter ses atours de batiste rose qui lui avaient paru un peu voyants pour un rendez-vous discret dans une église, d’autant plus que Zoé lui avait recommandé de venir voilée.

Tout en lui passant sa robe sombre, Agathe, vexée d’avoir été rabrouée, demanda d’un petit ton pincé :

— Dois-je faire demander la voiture et Gracchus ?

— Non. J’irai à pied. La marche est excellente pour la santé et Florence est une ville où il faut aller à pied si l’on veut bien voir les choses.

— Madame sait qu’elle sera crottée jusqu’à la taille ?

— Tant pis ! Ceci vaut bien cela !

Quelques instants plus tard, habillée de pied en cap elle sortait du palais. La grande voilette de Chantilly mettait entre elle et la lumière joyeuse du dehors un écran fragile et noir de feuillage et de fleurs, mais d’un pas vif, relevant un pan de sa robe pour lui éviter un contact trop pénible avec la poussière malodorante des rues où quelques trous conservaient, à l’ombre, l’eau boueuse de la dernière pluie, Marianne se dirigea vers le Ponte-Vecchio qu’elle franchit sans un regard aux séduisantes boutiques d’orfèvres qui s’y agglutinaient en grappes pittoresques.

Dans sa main gantée, elle tenait un gros missel de maroquin à coins dorés qu’elle avait pris sous l’œil interrogatif d’une Agathe dévorée de curiosité mais rendue muette par la prudence. Et, ainsi équipée, elle ressemblait tout à fait à une dame de bonne maison s’en allant au salut du soir. Cela eut l’avantage de lui éviter les propos toujours un peu trop galants que tout Italien normalement constitué se croit tenu d’adresser à toute femme pourvue d’une tournure acceptable. Et Dieu seul savait combien les Italiens aimaient errer dans leurs rues vers la fin du jour !

Quelques minutes de marche rapide amenèrent Marianne en vue de la vieille église d’Or San Michele, jadis propriété des riches corporations florentines et ornée par elles de statues inestimables érigées dans des niches gothiques. Sous son drap foncé et sa dentelle noire, Marianne avait très chaud. La sueur coulait de son front et le long de son dos. En vérité c’était péché que de s’affubler de la sorte quand le temps était si doux et que le ciel changeant offrait des teintes si ravissantes ! Florence avait l’air de flotter dans une énorme bulle d’air irisé avec laquelle le soleil au déclin jouait encore un peu.

La ville, si secrète et si close à l’heure chaude, ouvrait ses portes pour déverser dans ses rues et sur ses places une humanité bavarde et communicative, tandis que les cloches grêles des couvents appelaient à la prière ceux et celles qui ont choisi de ne plus parler qu’à Dieu.

La fraîcheur de l’église surprit la visiteuse mais lui fit du bien. L’intérieur, où la clarté pénétrait à peine par les vitraux, était si sombre que Marianne dut s’arrêter un instant près du bénitier afin d’accoutumer ses yeux à l’obscurité.

Bientôt, cependant, elle distingua mieux la double nef et, dans celle de droite, la douce splendeur d’un tabernacle médiéval, chef-d’œuvre d’Orcagna, dont les flammes tremblantes de trois cierges faisaient à peine briller les ors assourdis. Mais aucune silhouette, féminine ou masculine, ne priait auprès. L’église semblait vide et son grand vaisseau répercutait seulement l’écho traînant des savates du bedeau qui regagnait la sacristie.