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Ce vide et ce silence mirent Marianne mal à l’aise. Elle était venue avec une bizarre répugnance, partagée entre le désir profond d’aider une amie charmante en difficulté et un vague pressentiment. De plus, elle était certaine d’être à l’heure et Zoé était la ponctualité même. C’était étrange et c’était inquiétant. Tellement même que Marianne songea à tourner les talons et à rentrer chez elle. Tout était si anormal dans ce rendez-vous à l’ombre d’une église...

Machinalement, elle fit quelques pas en direction de la sortie mais les termes de la lettre de Mme Cenami lui revinrent en mémoire :

« Il y va de mon repos et peut-être de la vie d’un être cher... »

Non, elle ne pouvait pas laisser sans réponse un tel appel au secours. Zoé qui lui donnait ainsi une extraordinaire preuve de confiance ne comprendrait pas et Marianne se le reprocherait toute sa vie si un drame se produisait sans qu’elle eût tout fait pour l’empêcher.

Fortunée Hamelin, toujours prête à se jeter dans le feu pour un ami ou à l’eau pour sauver un chat, n’aurait pas eu, elle, ce mouvement de défiance, cette tentation de fuir. Et, si l’église était vide, c’est que, pour une raison ou pour une autre, Zoé s’était mise en retard, voilà tout.

Pensant qu’elle pouvait, au moins, attendre quelques minutes, Marianne s’avança lentement vers le lieu du rendez-vous. Elle contempla un instant le tabernacle puis, pliant les genoux, s’abîma dans une prière fervente. Elle avait trop de gratitude à offrir au Ciel pour négliger si belle occasion... C’était encore la meilleure manière de passer le temps.

Profondément absorbée dans son action de grâces, elle ne remarqua pas l’approche d’un homme drapé, de la nuque aux mollets, dans une cape noire à triple collet. Elle tressaillit seulement quand une main pesa soudain sur son épaule, tandis qu’une voix chuchotait, pressante et angoissée :

— Venez, Madame, venez vite ! Votre amie m’envoie vous chercher ! Elle vous supplie de venir jusqu’à elle...

Vivement, Marianne s’était relevée et considérait l’homme qui lui faisait face. Elle ne connaissait pas son visage. C’était d’ailleurs l’un de ceux dont on ne dit rien, que l’on ne remarque pas, un visage large, paisible mais, pour l’heure présente, empreint d’une grande inquiétude.

— Pourquoi ne vient-elle pas ? Qu’est-il arrivé ?

— Un grand malheur ! Mais je vous en supplie. Madame, venez ! Chaque minute compte et je...

Marianne n’avait pas encore bougé. Elle comprenait mal. Ce rendez-vous étrange et maintenant cet inconnu... tout cela ressemblait si peu à la calme Zoé.

— Qui êtes-vous ? demanda-t-elle.

L’homme s’inclina avec toutes les marques du respect.

— Rien qu’un serviteur, Excellenza !... mais les miens ont toujours servi la famille du baron et Madame m’honore de sa confiance. Dois-je aller lui dire que Madame la Princesse refuse ?

Vivement, Marianne tendit la main et retint le messager qui faisait mine de se retirer.

— Non, je vous en prie, n’en faites rien ! Je vous suis.

A nouveau il s’inclina mais en silence et l’escorta jusqu’au portail à travers les ombres de l’église.

— J’ai là une voiture, dit-il quand on atteignit l’air et la lumière. Nous serons plus tôt rendus !

— Allons-nous donc si loin ? Le palais est tout proche.

— A la villa de Settignano ! Maintenant, que Madame veuille bien me pardonner mais je ne peux lui en dire davantage. Madame comprendra : je ne suis qu’un serviteur...

— Dévoué, je sais ! Eh bien, allons !

La voiture, un élégant coupé de ville sans armoiries, attendait un peu plus loin, sous l’arche reliant l’église à l’antique palais des Lainiers, alors à demi ruiné. Le marchepied en était baissé et un homme en noir se tenait à la portière. Le cocher, tassé sur son siège, avait l’air de somnoler. Mais dès que Marianne fut installée, il fit claquer son fouet et les chevaux partirent au grand trot.

Le serviteur dévoué avait pris place à côté de la jeune femme à qui cette familiarité avait arraché un froncement de sourcils, mais elle n’avait rien dit, mettant cet impair sur le compte du grand trouble dans lequel semblait se trouver le bonhomme.

On sortit de Florence par la porte San Francesco. Depuis que l’on avait quitté Or San Michele, Marianne n’avait pas dit un mot. Inquiète, elle se torturait l’esprit à essayer d’imaginer le genre de catastrophe qui avait pu s’abattre si soudainement sur Zoé Cenami et n’en voyait qu’une seule possible. Zoé était charmante et de nombreux hommes, séduisants parfois, lui faisaient une cour empressée. Se pouvait-il que l’un d’eux eût obtenu ses faveurs et qu’une indiscrétion, volontaire peut-être, eût averti Cenami de son infortune ? En ce cas, Marianne voyait mal quel secours elle pourrait offrir à son amie, hormis peut-être tenter de calmer l’époux outragé. Cenami faisait grand cas, en effet, de la princesse Sant’Anna... Bien sûr, cette hypothèse était peu flatteuse pour la vertu de Zoé... mais quelle autre pouvait justifier un appel au secours si pressant et des précautions si extraordinaires ?

Il faisait, dans cette voiture fermée, une chaleur de four et Marianne, incommodée, releva sa voilette et se pencha pour baisser une glace. Mais son compagnon la retint :

— Mieux vaut ne pas ouvrir. Madame. D’ailleurs, nous arrivons !

La voiture, en effet, quittait le grand chemin et s’engageait dans un sentier en pente cahotant entre les ruines habillées de lierre de ce qui semblait être un ancien couvent. Au bout de ce chemin l’Arno brillait d’un éclat cuivré sous le soleil couchant.

— Mais... ce n’est pas Settignano ! s’écria Marianne. Qu’est-ce que cela ? Où sommes-nous ?

Elle tournait vers son compagnon un regard où la colère le disputait à une brusque angoisse. Mais l’homme garda tout son calme et se contenta de répondre, doucement :

— Là où j’avais ordre de conduire Madame la Princesse. Une confortable berline de voyage nous y attend. Madame y sera parfaitement. Il le fallait ainsi car nous roulerons toute la nuit.

— Une berline ?... Un voyage ? Mais, pour aller où ?

— En un lieu où Madame la Princesse est attendue avec impatience. Madame verra.

La voiture s’arrêtait dans les ruines. Instinctivement, Marianne se cramponna des deux mains au rebord de la portière comme pour s’accrocher à un ultime asile. Elle avait peur maintenant, une peur horrible, de cet homme trop poli, trop aimable, dans les yeux duquel il lui semblait déceler maintenant la fausseté et la cruauté.

— Attendue par qui ? Et, d’abord, à quels ordres obéissez-vous ? Vous n’êtes pas au service des Cenami.

— En effet ! Mes ordres sont ceux que je reçois de mon maître... Son Altesse Sérénissime le Prince Corrado Sant’Anna !

2

LE RAVISSEUR

Avec un cri, Marianne s’était rejetée dans le fond de la voiture, regardant avec horreur la portière qui s’ouvrait sur un décor à la fois romantique et paisible et tout baigné d’un somptueux coucher de soleil, mais qui, à ses yeux, préfigurait assez bien une prison.

Son compagnon descendit, rejoignit auprès du marchepied celui qui venait de le baisser et offrit sa main en s’inclinant avec respect.

— Si Madame la Princesse veut se donner la peine...

Hypnotisée par ces deux hommes noirs qui lui paraissaient tout à coup les envoyés du destin, Marianne descendit avec la passivité d’un automate. Elle comprenait que toute lutte serait inutile. Elle était seule, dans un lieu désert, avec trois hommes dont le pouvoir était d’autant plus grand qu’ils représentaient une autorité qu’elle n’avait pas le droit de rejeter : celle de son mari, d’un homme qui avait sur elle toute puissance et dont, désormais, elle avait tout à craindre. S’il en était autrement, Sant’Anna n’aurait jamais osé la faire enlever ainsi, dans Florence même et presque sous le nez de la grande-duchesse, par ses valets !...