— Sylvie, puisque je suis un homme perdu, laissez-moi vous dire que je vous aime ! Et pardonnez-moi !
Des larmes ont jailli brusquement hors de ses yeux, comme expulsées par une pression intérieure… Je les ai vu serpenter sur sa petite figure détruite par l’émotion.
— Je ne vous laisserai pas mourir, a-t-elle dit soudain, les mâchoires crispées…
Je ne lui en demandais pas davantage.
Elle est sortie, très droite, sans se retourner… Et sans essuyer ses larmes, je crois bien !
CHAPITRE XI
Deux autres jours se sont écoulés, sans elle. Le doute m’assaillait. Que signifiait ce silence ? Avait-elle peur de l’aventure impossible que je lui proposais ? Crise de conscience ? Une fois dans le vieil appartement à franfeluches fanées, près de la maman geignarde, elle avait dû se reprendre, mesurer les conséquences de mon comportement. Être aimée et aimer le meurtrier qu’on est chargé de défendre, voilà qui n’était pas très engageant ! Sans doute avait-elle demandé à être remplacée et j’allais voir arriver un de ses confrères… Un véritable avocat qui reprendrait tout de zéro et me conduirait tout droit à l’échafaud !
Je ressentais un grand désarroi et aussi une peine étrange, lancinante. M’étais-je tellement forcé lorsque je lui avais fait cette déclaration ? Non ! Sans être franchement amoureux d’elle, j’éprouvais pour Sylvie Foucot un sentiment assez complexe. Quelque chose qui devait être à mi-chemin entre la tendresse et l’amour. Elle était si frêle et si attachante !
La pensée que je ne la reverrais peut-être jamais me navrait presque aussi fort que l’idée de ma mort.
La porte de ma cellule grinçait un peu (le gond du bas) lorsqu’on l’ouvrait.
— Votre avocat !
J’avais une peur terrible. Je n’osais pas regarder la personne qui entrait. J’ai fermé les yeux, mais le parfum m’a renseigné. C’était bien elle. Toujours dans son tailleur qui commençait à avoir l’air moins neuf…
Elle a attendu que la porte fût refermée. Puis elle a littéralement couru jusqu’à mon lit où je me tenais acagnardé.
— Bonjour !
On eût dit une jouvencelle accourant à son premier rendez-vous. Elle était troublée et radieuse. Elle souriait.
— Pourquoi n’êtes-vous pas venue me voir, Sylvie ?
— Il y a eu du nouveau…
Je m’attendais à tout sauf à une annonce de ce genre. Hébété, je n’ai pu que répéter en ne la quittant pas du regard :
— Du nouveau !
— Oui… Il faut que je vous explique en détails…
Elle ne savait par où commencer. Son cœur battait. Je l’entendais cogner dans sa poitrine. J’ai avancé la main. Elle m’apportait l’espoir… Elle m’apportait la vie. Les battements désordonnés de son cœur fortifiaient le mien, le soutenaient. À cet instant, je crois bien que je l’ai aimée pour de bon…
J’ai encerclé sa nuque frêle de mon bras et l’ai attirée contre moi. Elle s’est un peu débattue, et puis elle s’est laissée glisser contre ma poitrine, oublieuse du judas que le gardien pouvait ouvrir à tout moment. Elle ne savait pas embrasser. Elle était pantelante, et pourtant je savais qu’au tréfonds de son être vibrait un désir informulé…
J’ai embrassé à plusieurs reprises sa bouche close, froide. Ça m’a dégrisé.
— Racontez !
— J’ai eu une visite avant-hier…
— Quelle visite ?
— Le domestique annamite de votre ami.
— Li N’Guyen ?
— C’est cela…
J’ai froncé les sourcils.
— Que voulait-il ?
— J’y arrive.
Elle s’est reculée un peu et a remis de l’ordre dans son tailleur. La couturière qui le lui avait coupé avait dû prendre le patron dans l’Écho de la Mode ou un truc comme ça… Il faisait gentiment démodé.
— Il semblait embarrassé, bref, il a tâté le terrain…
— Pourquoi tâter le terrain !
— C’est un garçon cupide. Il a quelque chose à nous vendre… Quelque chose qui peut nous sauver !
J’ai remarqué ce « nous » cher aux avocats. Sylvie le pensait, elle ! Il lui venait du cœur.
« Nous sauver » ! Elle partageait volontairement mon sort. Elle tremblait de la même peur que moi. C’était réconfortant !
— Qu’a-t-il à nous vendre ?
— Des lettres !
— Des lettres de qui…
Elle a hésité. Ses paupières ont battu, très vite, à plusieurs reprises, puis elle m’a regardé de nouveau.
— De votre femme !
Je ne comprenais pas.
— Des lettres de ma femme ?
— Oui !
— Expliquez-vous…
— Votre femme était vraiment la maîtresse de Stephan !
Il y a eu un instant d’arrêt total dans mon existence, un peu comme si j’étais entré dans un mur à cent à l’heure… Je n’ai plus pensé. En moi c’était le noir intégral. Mais mon cerveau s’est remis à fonctionner. Une foule de pensées contradictoires y affluaient. Andrée, la maîtresse de Stephan ! Risible ! Je savais que c’était faux !
Andrée n’avait été la maîtresse de personne ! Pourquoi ce Li essayait-il de le faire croire ? Peut-être avait-il découvert des lettres de femme chez son maître, signées Andrée… Et en avait-il déduit que… Oui, il s’agissait sûrement d’une méprise de ce genre.
Sûrement !
— Écoutez, Sylvie, il y a certainement maldonne !
— Mais non, je vous assure…
— Pourquoi ne produit-il pas ces lettres à la justice ?
— Il préfère les monnayer…
— Vous ne l’avez pas menacé de tout dire ?
— Si.
— Et qu’a-t-il répondu ?
— Il a souri. Ces gens-là, on ne peut pas savoir ce qu’ils pensent. Il m’a dit qu’il nierait et qu’il dirait que c’est moi au contraire qui lui ai demandé d’inventer ça pour vous sauver… Les lettres sont en lieu sûr… Il les donnera contre deux cent mille francs. Dans un sens, ça n’est pas cher !
— Mais il cherche à nous extorquer des fonds ! Ce n’est pas cher pour des lettres, mais ça l’est pour du vent ! Il n’a que du vent à vendre, Sylvie ! Rien que du vent !
J’étais affreusement déçu. Je lui en voulais de la fausse joie qu’elle m’avait donnée !
Elle a ouvert non pas sa serviette, mais son affreux petit sac à main de chaisière.
— Il m’a fourni un échantillon, c’est un morceau de lettre. Reconnaissez-vous l’écriture de votre femme ?
J’ai pris le petit rectangle de papier en tremblant. Il m’a semblé qu’un courant électrique se déchargeait dans mon bras. Oui, c’était bien l’écriture de ma femme. Son écriture souple, légèrement penchée en arrière, aux boucles démesurées… Il s’agissait d’une demi-page de lettre.
J’ai lu le texte.
« Lorsque je reste plusieurs jours sans te voir, je suis désemparée. Ma vie sans toi est si grise, mon chéri… Alors, je t’en supplie, reviens très vite. »
Un morceau de lettre d’Andrée !
Tout s’est mis à tourner. Je me suis appuyé au mur, le souffle court. J’avais mal.
— C’est bien l’écriture de votre femme ? a insisté Sylvie Foucot.
— Oui.
— Pas de doute ?
— Non, aucun !
J’ai détaillé le morceau de lettre. C’était indiscutablement l’écriture d’Andrée.