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— Chez Stephan ?

— Oui.

— Tu lui as encore emprunté de l’argent ?

— Oh ! non… Au contraire, je voulais envisager avec lui le… le remboursement de sa créance…

— Mais, mais…

— Pourquoi bêles-tu ?

— Comment envisagerais-tu ce remboursement alors que notre situation est assez précaire…

J’ai ricané.

— Parler n’engage à rien… Il faut bien lui faire prendre patience !

— Stephan n’est pas un créancier très impatient !

— C’est ce qui te trompe, il m’a débité des choses assez cinglantes que je n’ai pas digérées…

— Vraiment !

— Oui, mais n’en parlons pas. Je hais ce type-là !

— Bernard ! Comment oses-tu dire une chose pareille ! Un garçon qui t’a…

— Tais-toi, Andrée…

Elle n’a pas insisté. Une vraie épouse l’aurait fait ! Elle se serait manifestée ! Elle aurait élevé le débat… Elle m’aurait aidé à y voir clair… Tandis qu’Andrée rentrait dans sa coquille tout de suite ! Elle tenait à sa neutralité de petite bourgeoise indifférente. C’était un de ces chats d’appartement qui passent leur existence à ronronner sur des coussins. Je n’en pouvais plus. « Tout détruire »… Et après revivre sur ces cendres fertilisantes ! Revivre autrement ! Revivre pour de bon ! Avec une extraordinaire expérience comme capital, et une notion exacte de ce qu’est la vraie sagesse.

Dans ma future vie, les choses n’auraient pas le même aspect.

Par exemple, l’argent ne compterait plus ; en tout cas, il n’aurait pas la même valeur…

J’irais vivre en montagne, dans un chalet que je m’achèterais avec ce que je pourrais tirer de mes biens… Je mènerais la sainte existence des paysans… Je regarderais pendant des heures brûler des feux de bûches dans un âtre. C’était un spectacle dont je raffolais et qui ne me lassait jamais.

Là-haut, je trouverais des filles… Et la réalité serait une réalité seulement quotidienne…

— À quoi penses-tu, Bernard ?

— À toi !

C’était en partie vrai. Comment serais-je lorsque ma femme n’existerait plus ? Les souvenirs ne viendraient-ils pas m’assaillir, me tourmenter ? Ils étaient la seule ombre possible à ce tableau. Je devais me méfier d’eux, les tuer avant qu’ils ne se développent…

— Mon Dieu, comme tu parais malheureux aujourd’hui !

— Malheureux, moi ?

L’idiote ! Alors que je savourais déjà l’avenir…

Non, il n’y aurait pas de souvenirs. Eux aussi, j’allais les détruire… TOUT détruire ! Je ne prendrais de mon existence actuelle que son essence même, c’est-à-dire moi. Comme on recueille le bulbe d’une plante afin de le replanter à la saison suivante.

— Je suis très heureux, Andrée…

— Je ne crois pas !

— Parce que tu ne peux pas comprendre…

— J’aimerais que tu m’expliques… À chaque instant, te voilà parti dans tes rêves…

— Ce ne sont pas des rêves, Andrée.

— Qu’est-ce que c’est alors ?

— Des projets ; tu vois, il y a une différence fondamentale…

— Tu veux me les dire ?

— Pas maintenant !

— Mais tu me les diras ?

— Oui.

— Quand ?

— Bientôt !

J’étais sincère. Parfaitement, je lui dirais… Tout, absolument tout ! Mais lorsqu’il serait trop tard et qu’il n’y aurait plus moyen de revenir en arrière !

CHAPITRE IV

Je suis retourné deux fois encore chez Stephan, afin de lui faire écrire d’autres missives à ma maîtresse imaginaire.

Il y prenait goût, me donnait des conseils et s’enhardissait à me poser des questions sur elle. Je lui ai inventé un personnage de femme qui correspondait plus à ses goûts qu’aux miens et à qui il était presque content d’écrire. Il lui est arrivé même d’insister pour mettre une phrase de son cru.

« — Je l’ai expérimenté naguère sur une ravissante brunette, m’affirmait-il, l’effet a été quasi immédiat… »

Il ne m’avait pas reparlé de nos histoires d’argent ; mais lorsque j’ai eu la troisième lettre en poche, c’est moi qui ai abordé la question.

— Stephan, j’ai une bonne nouvelle pour vous !

— C’est-à-dire ?

— D’ici quelques jours, je vais être en mesure de vous rembourser la totalité de ce que je vous dois…

Il était en train de transformer un buvard en confetti. Il a levé sur moi son regard bleu indéfinissable.

— Vous parlez sérieusement, Berny ?

— Vous n’imaginez pas que j’aie envie de plaisanter avec huit millions !

— Comment diantre allez-vous faire ?

— Oh ! je sortirai un chéquier de mon portefeuille et je ferai un chèque, simplement !

— Vous avez gagné à la loterie ?

— Oh non, ma chance au jeu ne va pas au-delà du remboursement !

— Alors ?

— Ne soyez pas indiscret, Stephan…

— Ce n’est tout de même pas le Groupe scolaire de Maisons-Laffitte qui…

— Que vous importe… L’essentiel est que vous soyez remboursé. Êtes-vous disponible après-demain ?

— Oui.

— Alors je vais prendre mes dispositions afin de vous régler ce jour-là ; je vous téléphonerai le matin pour confirmer…

J’étais heureux en partant. L’imminence de l’action ne m’effrayait pas, au contraire, elle me calmait les nerfs.

J’allais accomplir enfin ce plan qui, pour moi, équivalait à une sorte de mission.

Comme si tout dans mes projets s’emboîtait harmonieusement, en arrivant à mon bureau, j’ai trouvé une lettre de la préfecture d’Angers me convoquant au sujet d’un projet de réfection que je lui avais soumis.

Dans mon dernier courrier, je demandais audience pour le 24 mai, et le chef de bureau du préfet me donnait son accord. Or le 24 mai était le surlendemain précisément.

En rentrant chez moi, j’ai dit à Andrée de me préparer une petite valise, car je prévoyais le cas où je devrais rester plusieurs jours à Angers pour conclure.

— Tu ne veux pas que je t’accompagne ? a-t-elle proposé.

— Non. C’est une affaire délicate, j’ai besoin de me concentrer…

Comme toujours, elle s’est bien gardée d’insister.

*

Je devais partir de bon matin. Andrée était encore au lit. Je suis allé l’embrasser sans émotion. J’essayais de me confronter, si je puis dire, avec ce que j’allais faire. Je voulais me rendre compte si j’en étais capable. En me penchant sur le lit pour dire au revoir à Andrée, je me suis posé la question tragique : « Toujours d’accord, Berny ? »

Une voix intérieure a riposté :

« Toujours d’accord. »

Et au même instant ma voix réelle disait, avec une maîtrise absolue :

— Sois gentille, Andrée, ne sors pas aujourd’hui, car j’attends une communication importante de Maisons-Laffitte. On doit me fixer au sujet du commencement des travaux…

— Pourquoi ne t’appelle-t-on pas à ton bureau ? a-t-elle demandé en bâillant.

— Parce que ma secrétaire a congé tantôt et que j’ai dit de téléphoner ici !

— Bon !

— Tu avais projeté de sortir ?

— J’avais des courses à faire au Printemps, mais ça n’a aucune importance : j’irai demain…