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Ses besoins d’argent le harcelant, il avait coutume de répéter une phrase devenue célèbre dans son entourage :

— Pour dix mille francs de rente, je me ferais bourreau.

Or, il allait chaque année passer quinze jours à Trouville. Il appelait ça  « faire sa saison ».

Il s’installait chez des cousins qui lui prêtaient une chambre, et, du jour de son arrivée au jour du départ, il se promenait sur les planches qui longent la grande plage de sable.

Il allait d’un pas assuré, les mains dans ses poches ou derrière le dos, toujours vêtu d’amples habits, de gilets clairs et de cravates voyantes, le chapeau sur l’oreille et un cigare d’un sou dans le coin de la bouche.

Il allait, frôlant les femmes élégantes, toisant les hommes en gaillard prêt à se flanquer une tripotée, et cherchant... cherchant... car il cherchait.

Il cherchait une femme, comptant sur sa figure, sur son physique. Il s’était dit :

— Que diable, dans le tas de celles qui viennent là, je finirai bien par trouver mon affaire. Et il cherchait avec un flair de chien de chasse, un flair de Normand, sûr qu’il la reconnaîtrait, rien qu’en l’apercevant, celle qui le ferait riche.

Ce fut un lundi matin qu’il murmura :

— Tiens, tiens, tiens !

Il faisait un temps superbe, un de ces temps jaunes et bleus du mois de juillet où on dirait qu’il pleut de la chaleur. La vaste plage couverte de monde, de toilettes, de couleurs, avait l’air d’un jardin de femmes ; et les barques de pêche aux voiles brunes, presque immobiles sur l’eau bleue, qui les reflétait la tête en bas, semblaient dormir sous le grand soleil de dix heures. Elles restaient là, en, face de la jetée de bois, les unes tout près, d’autres plus loin, d’autres très loin, sans remuer, comme accablées par une paresse de jour d’été, trop nonchalantes pour gagner la haute mer ou même pour rentrer au port. Et, là-bas, on apercevait vaguement, dans une brume, la côte du Havre portant à son sommet deux points blancs, les phares de Sainte-Adresse.

Il s’était dit :

 « Tiens, tiens, tiens ! » en la rencontrant pour la troisième fois et en sentant sur lui son regard, son regard de femme mûre, expérimentée et hardie, qui s’offre.

Déjà il l’avait remarquée les jours précédents, car elle semblait aussi en quête de quelqu’un. C’était une Anglaise assez grande, un peu maigre, l’Anglaise audacieuse dont les voyages et les circonstances ont fait une espèce d’homme. Pas mal d’ailleurs, marchant sec, d’un pas court, vêtue simplement, sobrement, mais coiffée d’une façon drôle, comme elles se coiffent toutes. Elle avait les yeux assez beaux, les pommettes saillantes, un peu rouges, les dents trop longues, toujours au vent.

Quand il arriva près du port, il, revint sur ses pas pour voir s’il la rencontrerait encore une fois. Il la rencontra et il lui jeta un coup d’œil enflammé, un coup d’œil qui disait.

— Me voilà.

Mais comment lui parler ?

Il revint une cinquième fois, et comme il la voyait de nouveau arriver en face de lui, elle laissa tomber son ombrelle.

Il s’élança, la ramassa, et, la présentant :

— Permettez, Madame...

Elle répondit :

- Aôh, vos êtes fort gracious.

Et ils se regardèrent. Ils ne savaient plus que dire. Elle avait rougi.

Alors, s’enhardissant, il prononça :

— En voilà du beau temps.

Elle murmura :

— Aôh, délicious

Et ils restèrent encore en face l’un de l’autre, embarrassés, et ne songeant d’ailleurs à s’en aller ni l’un ni l’autre. Ce fut elle qui eut l’audace de demander :

— Vos été pour longtemps dans cette pays ?

Il répondit en souriant :

— Oh ! Oui, tant que je voudrai

Puis, brusquement, il proposa :

— Voulez-vous venir jusqu’à la jetée ? C’est si joli par ces jours-là

Elle dit simplement :

— Je volé bien.

Et ils s’en allèrent côte à côte, elle de son allure sèche et droite, lui de son allure balancée de dindon qui fait la roue.

Trois mois plus tard les notables commerçants de Caen recevaient, un matin, une grande lettre blanche qui disait :

 « Monsieur et Madame Prosper Bombard,

ont l’honneur de vous faire part du mariage de Monsieur Simon Bombard, leur fils, avec Madame veuve Kate Robertson. »

Et, sur l’autre page :

 « Madame veuve Kate Robertson a l’honneur de vous faire part de son mariage avec Monsieur Simon Bombard. »

Ils s’installèrent à Paris.

La fortune de la mariée s’élevait à quinze mille francs de rentes bien claires. Simon voulait quatre cents francs par mois pour sa cassette personnelle. Il dut prouver que sa tendresse méritait ce sacrifice ; il le prouva avec facilité et obtint ce qu’il demandait.

Dans les premiers temps tout alla bien. Mme Bombard jeune n’était plus jeune, assurément, et sa fraîcheur avait subi des atteintes ; mais elle avait une manière d’exiger les choses qui faisait qu’on ne pouvait les lui refuser.

Elle disait avec son accent anglais volontaire et grave :

— Oh Simon, nô allons nô coucher, qui faisait aller Simon vers le lit comme un chien à qui on ordonne  « à la niche ». Et elle savait vouloir en tout, de jour comme de nuit, d’une façon qui forçait les résistances.

Elle ne se fâchait pas ; elle ne faisait point de scènes ; elle ne criait jamais ; elle n’avait jamais l’air irrité ou blessé, ou même froissé. Elle savait parler, voilà tout ; et elle parlait à propos, d’un ton qui n’admettait point de réplique.

Plus d’une fois Simon faillit hésiter ; mais devant les désirs impérieux et brefs de cette singulière femme, il finissait toujours par céder.

Cependant comme il trouvait monotones et maigres les baisers conjugaux, et comme il avait en poche de quoi s’en offrir de plus gros, il s’en paya bientôt à satiété, mais avec mille précautions.

Mme Bombard s’en aperçut, sans qu’il devinât à quoi ; et elle lui annonça un soir qu’elle avait loué une maison à Mantes où ils habiteraient dans l’avenir.

L’existence devint plus dure. Il essaya des distractions diverses qui n’arrivaient point à compenser le besoin de conquêtes féminines qu’il avait au cœur.

Il pêcha à la ligne, sut distinguer les fonds qu’aime le goujon, ceux que préfère la carpe ou le gardon, les rives favorites de la brème et les diverses amorces qui tentent les divers poissons.

Mais en regardant son flotteur trembloter au fil de l’eau, d’autres visions hantaient son esprit.

Il devint l’ami du chef de bureau de la sous-préfecture et du capitaine de gendarmerie ; et ils jouèrent au whist, le soir, au café du Commerce, mais son œil triste déshabillait la reine de trèfle ou la dame de carreau, tandis que le problème des jambes absentes dans ces figures à, deux têtes embrouillait tout à fait les images écloses en sa pensée.