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— Comment donc !

Et il fut convenu qu’ils se retrouveraient à l’heure ordinaire le mercredi. Elle dit tout bas :

— Si tu arrives le premier, mon chéri, tu te coucheras pour m’attendre.

Ils s’embrassèrent, puis se séparèrent.

Or, le lendemain, vers dix heures comme mettre Trouveau lisait les Tablettes de Perthuis, organe républicain de la ville, il cria, de loin, à sa femme, qui plumait une volaille dans la cour :

— Voilà le choléra dans le pays. Il est mort un homme hier à Vauvigny.

Puis il n’y pensa plus, son auberge étant pleine de monde, et les affaires allant fort bien.

Vers midi, un voyageur se présenta, à pied, une espèce de touriste, qui se fit servir un bon déjeuner, après avoir bu deux absinthes. Et comme il faisait fort chaud, il absorba un litre de vin, et deux litres d’eau, au moins.

Il prit ensuite son café, son petit verre, ou plutôt, trois petits verres. Puis, se sentant un peu lourd, il demanda une chambre pour dormir une heure ou deux. Il n’y en avait plus une seule de libre, et le patron, ayant consulté sa femme, lui donna celle de Mademoiselle Clarisse.

L’homme y entra, puis, vers cinq heures, comme on ne l’avait pas vu ressortir, le patron alla le réveiller.

Quel étonnement, il était mort !

L’aubergiste redescendit trouver sa femme :

— Dis donc, l’artiste que j’avais mis dans la chambre onze, je crois bien qu’il est mort.

Elle leva les bras

— Pas possible ! Seigneur Dieu. C’est-il le choléra ?

Maître Trouveau secoua la tête :

— Je croirais plutôt à une contagion cérébrale vu qu’il est noir comme la lie de vin.

Mais la bourgeoise, effarée, répétait :

— Faut pas le dire, faut pas le dire, on croirait au choléra. Va faire tes déclarations et ne parle pas. On l’emportera-t-a la nuit pour n’être point vus. Et ni vu ni connu, je t’embrouille.

L’homme murmura :

— Mamzelle Clarisse est v’nue hier, la chambre est libre ce soir.

Et il alla chercher le médecin qui constata le décès, par congestion après un repas copieux. Puis il fut convenu avec le commissaire de police qu’on enlèverait le cadavre vers minuit, afin qu’on ne soupçonnât rien dans l’hôtel.

Il était neuf heures à peine, quand Mme Amandon pénétra furtivement dans l’escalier du Cheval dOr, sans être vue par personne, ce jour-là. Elle gagna sa chambre, ouvrit la porte, entra. Une bougie brûlait sur la cheminée. Elle se tourna vers le lit. Le commandant était couché, mais il avait fermé les rideaux.

Elle prononça :

— Une minute, mon chéri, j’arrive.

Et elle se dévêtit avec une brusquerie fiévreuse, jetant ses bottines par terre et son corset sur le fauteuil. Puis sa robe noire et ses jupes dénouées étant tombées en cercle autour d’elle, elle se dressa, en chemise de soie rouge, ainsi qu’une fleur qui vient d’éclore.

Comme le commandant n’avait point dit un mot, elle demanda :

— Dors-tu, mon gros ?

Il ne répondit pas, et elle se mit à rire en murmurant :

— Tiens, il dort, c’est trop drôle !

Elle avait gardé ses bas, des bas de soie noire à jour, et, courant au lit, elle se glissa dedans avec rapidité, en saisissant à pleins bras et en baisant à pleines lèvres, pour le réveiller brusquement, le cadavre glacé du voyageur !

Pendant une seconde, elle demeura immobile, trop effarée pour rien comprendre. Mais le froid de cette chair inerte fit pénétrer dans la sienne une épouvante atroce et irraisonnée avant que son esprit eût pu commencer à réfléchir.

Elle avait fait un bond hors du lit, frémissant de la tête aux pieds ; puis, courant à la cheminée, elle saisit la bougie, revint et regarda ! Et elle aperçut un visage affreux qu’elle ne connaissait point, noir, enflé, les yeux clos, avec une grimace horrible de la mâchoire.

Elle poussa un cri, un de ces cris aigus et interminables que jettent les femmes dans leurs affolements, et, laissant tomber sa bougie, elle ouvrit la porte, s’enfuit, nue, par le couloir en continuant à hurler d’une façon épouvantable.

Un commis voyageur en chaussettes, qui occupait la chambre no 4, sortit aussitôt et la reçut dans ses bras.

Il demanda, effaré :

— Qu’est-ce qu’il y a, belle enfant ?

Elle balbutia, éperdue :

— On.. on... on... a tué quelqu’un... dans... dans ma chambre... D’autres voyageurs apparaissaient. Le patron lui-même accourut. Et tout à coup le commandant montra sa haute taille au bout du corridor.

Dès qu’elle l’aperçut, elle se jeta vers lui en criant :

— Sauvez-moi, sauvez-moi, Gontran... On a tué quelqu’un dans notre chambre.

Les explications furent difficiles. M. Trouveau, cependant, raconta la vérité et demanda qu’on relâchât immédiatement mamzelle Clarisse, dont il répondait sur sa tête. Mais le commis voyageur en chaussettes, ayant examiné le cadavre, affirma qu’il y avait crime, et il décida les autres voyageurs à empêcher qu’on ne laissât partir mamzelle Clarisse et son amant.

Ils durent attendre l’arrivée du commissaire de police, qui leur rendit la liberté, mais qui ne fut pas discret.

Le mois suivant, M. le Premier Amandon recevait un avancement avec une nouvelle résidence.

9 décembre 1884

Les prisonniers

Aucun bruit dans la forêt que le frémissement léger de la neige tombant sur les arbres. Elle tombait depuis midi : une petite neige fine qui poudrait les branches d’une mousse glacée, qui jetait sur les feuilles mortes des fourrés un léger toit d’argent, étendait par les chemins un immense tapis moelleux et blanc, et qui épaississait le silence illimité de cet océan d’arbres.

Devant la porte de la maison forestière, une jeune femme, les bras nus, cassait du bois à coups de hache sur une pierre. Elle était grande, mince et forte, une fille de forêts, fille et femme de forestiers.

Une voix cria de l’intérieur de la maison :

 « Nous sommes seules, ce soir, Berthine, faut rentrer, v’là la nuit, y a p’t-être bien des Prussiens et des loups qui rôdent.  »

La bûcheronne répondit en fendant une souche à grands coups qui redressaient sa poitrine à chaque mouvement pour lever les bras.

 « J’ai fini, m’man. Me v’là, me v’là, y a pas de crainte ; il fait encore jour. »

Puis elle rapporta ses fagots et ses bûches et les entassa le long de la cheminée, ressortit pour fermer les auvents, d’énormes auvents en cœur de chêne, et rentrée enfin, elle poussa les lourds verrous de la porte.

Sa mère filait auprès du feu, une vieille ridée que l’âge avait rendue craintive :

 « J’aime pas, dit-elle, quand le père est dehors. Deux femmes ça n’est pas fort. »

La jeune répondit :

 « Oh ! Je tuerais ben un loup ou un Prussien tout de même. »

Et elle montrait de l’œil un gros revolver suspendu au-dessus de l’âtre.

Son homme avait été incorporé dans l’armée au commencement de l’invasion prussienne, et les deux femmes étaient demeurées seules avec le père, le vieux garde Nicolas Pichon, dit l’Échasse, qui avait refusé obstinément de quitter sa demeure pour rentrer à la ville.