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Horreur ! Horreur !

2 février. - Aussitôt levé, je demande au patron si ces barbares qui ont envahi son hôtel recommencent chaque jour leur épouvantable distraction.

Il me répondit en souriant :

— Oh ! Non, Monsieur, c’était hier dimanche, et vous savez que le dimanche, chez eux, c’est sacré.

Je réponds :

“Rien n’est sacré pour un pasteur, Ni le sommeil du voyageur, Ni son dîner, ni son oreille ; Mais veillez que chose pareille Ne recommence pas, ou bien, Sans hésiter, je prends le train.”

Un peu surpris, l’hôtelier me promet qu’il fera des observations.

Je fais, dans le jour, une fort jolie promenade dans la montagne.

Le soir venu, j’assiste au même benedicite. Puis je passe au salon. Que vont-ils faire ? Pendant une heure, ils ne font rien.

Tout à coup, la même dame qui, la veille, accompagnait les cantiques, se dirige vers le piano, l’ouvre. - Je frémis de terreur. - Et elle se met à jouer... une valse.

Et les jeunes filles commencent à danser.

Le pasteur-chef bat la mesure sur son genou par suite de l’habitude prise. Les Anglais à leur tour invitent les femmes, et les œufs à la neige tournent, tournent, tournent, les œufs à la neige tournent comme des sauces.

J’aime mieux ça ! Après la valse, un quadrille, une polka.

N’ayant pas été présenté, je reste coi dans un coin.

3 février. - Autre jolie promenade au vieux castelar, admirable ruine dans la montagne, qui porte sur chaque pic quelques restes de châteaux forts.

Rien de beau comme ces débris de citadelles dans ces chaos de pierres qui dominent les neiges des Alpes (voir les guides). Ce pays est admirable.

Pendant le dîner, je me présente, tout seul, à la manière française, à ma voisine de table. Elle ne me répond pas. - Politesse anglaise.

Dans la soirée, bal anglais.

4 février. - Excursion à Monaco (voir les guides).

Le soir, bal anglais. J’y assiste en pestiféré.

5 février. - Excursion à San Remo (voir les guides).

Le soir, bal anglais. Ma quarantaine persiste.

6 février. - Excursion à Nice (voir les guides).

Le soir, bal anglais. Je me couche.

7 février. - Excursion à Cannes (voir les guides).

Le soir, bal anglais. Je prends du thé dans mon coin.

8 février. - Dimanche, grande revanche. Je les attendais, les gueux.

Ils avaient repris leurs mines confites de jour sacré, et ils préparaient leurs voix à cantiques.

Or, avant le dîner, je me glisse dans le salon, puis je mets dans ma poche la clef du piano, et je dis au garçon de service dans le bureau :

— Si messieurs les pasteurs demandent la clef, vous leur direz que je l’ai prise et vous les prierez de venir me trouver.

Pendant le dîner on discute sur plusieurs points douteux des Écritures, on élucide des textes, on éclaircit les généalogies de personnages bibliques.

Puis on passe au salon. On se dirige vers le piano. - Stupeur. - On se consulte. La tribu semble atterrée. Les œufs à la neige paraissent prêts à s’envoler. Enfin le pasteur-chef se détache, sort, puis rentre. On discute, on me regarde avec des yeux indignés, et voilà que les trois pasteurs se dirigent vers moi, en ordre, en ligne, en ambassadeurs. Ils ont vraiment quelque chose d’imposant.

Ils me saluent. Je me lève. Le plus vieux prend la parole :

— Mosieu, on me avé dit que vô avé pris la clef de la piano. Les dames vôdraient le avoir, pour chanté le cantique.

Je réponds :

— Monsieur l’abbé, je comprends parfaitement la demande de ces dames ; mais je ne puis y faire droit. Vous êtes un homme religieux, moi aussi, Monsieur, et mes principes, plus sévères que les vôtres sans doute, me décident à empêcher la profanation à laquelle vous vous livrez.

Je ne puis admettre, messieurs, que vous vous serviez, pour chanter la gloire de Dieu, d’un instrument qui a servi toute la semaine à faire danser des jeunes filles. Nous ne donnons pas des bals publics dans nos églises, nous, Monsieur, et nous ne jouons pas des quadrilles avec nos orgues. L’usage que vous faites de ce piano m’indigne et me révolte. Vous pouvez porter ma réponse à ces dames.

Les trois pasteurs, abasourdis, se retirèrent. Les dames parurent stupéfaites. Et on se mit à chanter le cantique sans piano.

9 février, midi. - Le patron vient de me donner congé. On m’expulse, à la demande générale des Anglais.

Je rencontre les trois pasteurs, qui semblent surveiller mon départ. Je vais droit à eux. Je les salue.

— Messieurs, dis-je, vous paraissez fort instruits sur les Écritures. J’ai, moi-même, étudié pas mal ces questions. Je sais même un peu l’hébreu. Or, je serais désireux de vous soumettre un cas qui trouble beaucoup ma conscience de catholique.

L’inceste est considéré par vous comme une chose abominable, n’est-ce pas ? Or, la Bible nous en indique un exemple très inquiétant pour la Foi.

Loth, fuyant Sodome, fut séduit, vous ne l’ignorez pas, par ses deux filles, et, étant privé de sa femme changée en statue de sel, il succomba. De ce double et horrible inceste naquirent Ammon et Moab, d’où sortirent deux grands peuples, les Ammonites et les Moabites. Or, Ruth, la moissonneuse qui réveilla Booz endormi pour le rendre père, était une Moabite.

Victor Hugo n’a-t-il pas dit :

“[…] Ruth, une Moabite, Vint se coucher aux pieds de Booz, le sein nu, Espérant on ne sait quel rayon inconnu Quand viendrait du réveil la lumière subite.”

Le rayon inconnu donna naissance à Obed, qui fut l’aïeul de David.

Or notre Seigneur Jésus-Christ n’était-il pas un descendant de David ?

Les trois pasteurs ne répondirent pas et se regardèrent avec consternation.

Je repris :

— Vous me direz que je vous parle là de la généalogie de Joseph, époux légitime, mais inutile de Marie, mère du Christ. Or Joseph, comme chacun sait, ne fut pour rien dans la naissance de son fils. Donc c’est Joseph qui descendait d’un inceste et non l’homme-Dieu. Je vous l’accorde. J’ajouterai cependant deux considérations. La première, c’est que Joseph et Marie, étant cousins, devaient avoir la même origine ; la seconde, c’est qu’il est scandaleux de nous faire lire dix pages de généalogie pour des prunes.

Nous nous abîmons les yeux afin de savoir que A. engendra B., qui engendra C., qui engendra D., qui engendra E., qui engendra F., et quand nous allons devenir fous par cette scie interminable, nous arrivons au dernier qui n’engendre rien. On peut appeler cela, messieurs, le comble de la mystification !

Alors, brusquement, les trois pasteurs me tournèrent le dos comme un seul homme et s’enfuirent.