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Il se dirigea vers le presbytère dès qu’il eut fini son travail. Le curé l’attendait dans le jardin en lisant son bréviaire le long d’une petite allée. Il semblait radieux et l’aborda avec un gros rire :

— Eh bien ! Nous y voilà. Entrez, entrez, Monsieur Sabot, on ne vous mangera pas.

Et Sabot passa le premier. Il balbutia :

— Si ça ne vous faisait rien je s’rais d’avis d’terminer incontinent not’ p’tite affaire.

Le curé répondit :

— A votre service. J’ai là mon surplis. Une minute et je vous écoute.

Le menuisier, ému à ne plus avoir deux idées, le regardait se couvrir du blanc vêtement à plis pressés. Le prêtre lui fit un signe :

— Mettez-vous à genoux sur ce coussin.

Sabot restait debout, honteux d’avoir à s’agenouiller. Il bredouilla :

— C’est-il bien utile ?

Mais l’abbé était devenu majestueux :

— On ne peut approcher qu’à genoux du tribunal de la pénitence.

Et Sabot s’agenouilla.

Le prêtre dit :

— Récitez le Confiteor.

Sabot demanda :

— Quoi ça ?

— Le Confiteor. Si vous ne le savez plus, répétez une à une les paroles que je vais prononcer.

Et le curé articula la prière sacrée, d’une voix lente, en scandant les mots que le menuisier répétait ; puis il dit :

— Maintenant confessez-vous.

Mais Sabot ne disait plus rien, ne sachant par où commencer.

Alors l’abbé Maritime vint à son aide.

- Mon enfant, je vais vous interroger puisque vous paraissez peu au courant. Nous allons prendre, un à un, les commandements de Dieu. Écoutez-moi et ne vous troublez pas. Parlez bien franchement et ne craignez jamais d’en dire trop.

Un seul Dieu tu adoreras Et aimeras parfaitement.

— Avez-vous aimé quelqu’un ou quelque chose autant que Dieu ? L’avez-vous aimé de toute votre âme, de tout votre cœur, de toute l’énergie de votre amour ?

Sabot suait de l’effort de sa pensée. Il répondit :

— Non. Oh non, m’sieu l’curé. J’aime l’bon Dieu autant que j’peux. Ça - oui - j’l’aime bien. Dire que j’aime point m’s’éfants, non : j’peux pas. Dire que s’il fallait choisir entre eux et l’bon Dieu, pour ça je n’dis pas. Dire que s’il fallait perdre cent francs pour l’amour du bon Dieu, pour ça je n’dis pas. Mais j’l’aime bien, pour sûr, j’l’aime bien tout de même.

Le prêtre, grave, prononça :

— Il faut l’aimer plus que tout.

Et Sabot, plein de bonne volonté, déclara :

— J’frai mon possible, m’sieu le curé.

L’abbé Maritime reprit :

Dieu en vain ne jureras Ni autre chose pareillement.

— Avez-vous quelquefois prononcé quelque juron ?

— Non. Oh ! Ça non ! - Je ne jure jamais, jamais. Quéquefois, dans un moment de colère, je dis bien sacré nom de Dieu ! Pour ça, je ne jure point.

Le prêtre s’écria :

— C’est jurer, cela !

Et gravement :

— Ne le faites plus. Je continue.

Les dimanches tu garderas En servant Dieu dévotement.

— Que faites-vous le dimanche ?

Cette fois, Sabot se grattait l’oreille :

— Mais, je sers l’bon Dieu de mon mieux, m’sieu le curé. Je l’sers... chez moi. Je travaille le dimanche...

Le curé, magnanime, l’interrompit :

— Je sais, vous serez plus convenable à l’avenir. Je passe les trois commandements suivants, sûr que vous n’avez point failli contre les deux premiers. Nous verrons le sixième avec le neuvième. Je reprends :

Le bien d’autrui tu ne prendras Ni retiendras à ton escient.

— Avez-vous détourné, par quelque moyen, le bien d’autrui ?

Mais Théodule Sabot s’indigna :

— Ah ! Mais non. Ah ! Mais non. Je sieus un honnête homme, m’sieu le curé. Ça, je le jure, pour sûr. Dire que j’ai point, quéquefois, compté quéque heure de plus de travail aux pratiques qu’ont des moyens, pour ça, je ne dis pas. Dire que j’mets point quéqu’ centimes de plus sur les notes, seulement quéqu’ centimes, pour ça je ne dis pas. Mais pour volé, non ; ah ! Mais ça, non.

Le curé reprit sévèrement :

— Détourner un seul centime constitue un vol. Ne le faites plus.

Faux témoignage ne diras Ni mentiras aucunement.

— Avez-vous menti ?

— Non, pour ça non. Je ne sieus point menteux. C’est ma qualité. Dire que j’ai point conté quéque blague, pour ça, je ne dis pas. Dire que j’ai point fait accroire ce qui n’était point, quand c’était d’mon intérêt, pour ça, je ne dis pas. Mais pour menteux, je ne sieus point menteux.

Le prêtre dit simplement :

— Observez-vous davantage.

Puis il prononça :

L’oeuvre de chair ne désireras Qu’en mariage seulement.

— Avez-vous désiré ou possédé quelque autre femme que la vôtre ?

Sabot s’écria avec sincérité :

— Pour ça non ; oh ! pour ça non, m’sieu le curé. Ma pauvre femme, la tromper ! Non ! Non ! Pas seulement du bout du doigt ; pas plus-t-en pensée qu’en action. Bien vrai.

Il se tut quelques secondes, puis, plus bas, comme si un doute lui fût venu :

— Quand j’vas-t-à la ville, dire que je n’vas jamais dans une maison, vous savez bien dans une maison de tolérance, histoire de rire et d’badiner un brin et d’changer d’peau pour voir, pour ça je n’dis pas... Mais j’paye, Monsieur le curé, j’paye toujours, du moment qu’on paye, ni vu ni connu je t’embrouille.

Le curé n’insista pas et donna l’absolution.

Théodule Sabot exécute les travaux du chœur et communie tous les mois.

9 octobre 1883

FIN