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Je n’écoutais pas, mais ce nom, Méline, m’a frappée. Il m’a rappelé, je ne sais trop pourquoi, les scènes de la vie de Bohème. J’ai cru qu’il s’agissait d’une grisette. Voilà comment quelques bribes de ce morceau me sont entrées dans la tête. Donc M. Méline faisait aux habitants d’Amiens, je crois, cette déclaration dont je cherchais jusqu’ici le sens :  « Il n’y a pas de patriotisme sans agriculture ! » Eh bien, ce sens, je l’ai trouvé tout à l’heure ; et je te déclare à mon tour qu’il n’y a pas d’amour sans moustaches. Quand on le dit comme ça, ça semble drôle, n’est-ce pas ?

Il n’y a point d’amour sans moustaches !

 « Il n’y a point de patriotisme sans agriculture », affirmait M. Méline ; et il avait raison, ce ministre, je le pénètre à présent !

A un tout autre point de vue, la moustache est essentielle. Elle détermine la physionomie. Elle vous donne l’air doux, tendre, violent, croquemitaine, bambocheur, entreprenant ! L’homme barbu, vraiment barbu, celui qui porte tout son poil (oh ! le vilain mot) sur les joues n’a jamais de finesse dans le visage, les traits étant cachés. Et la forme de la mâchoire et du menton dit bien des choses, à qui sait voir.

L’homme à moustaches garde son allure propre et sa finesse en même temps.

Et que d’aspects variés elles ont, ces moustaches ! Tantôt elles sont retournées, frisées, coquettes. Celles-là semblent aimer les femmes avant tout !

Tantôt elles sont pointues, aiguës comme des aiguilles, menaçantes. Celles-là préfèrent le vin, les chevaux et les batailles.

Tantôt elles sont énormes, tombantes, effroyables. Ces grosses-là dissimulent généralement un caractère excellent, une bonté qui touche à la faiblesse et une douceur qui confine à la timidité.

Et puis, ce que j’adore d’abord dans la moustache, c’est qu’elle est française, bien française. Elle nous vient de nos pères les Gaulois, et elle est demeurée le signe de notre caractère national enfin.

Elle est hâbleuse, galante et brave. Elle se mouille gentiment au vin et sait rire avec élégance, tandis que les larges mâchoires barbues sont lourdes en tout ce qu’elles font.

Tiens, je me rappelle une chose qui m’a fait pleurer toutes mes larmes, et qui m’a fait aussi, je m’en aperçois à présent, aimer les moustaches sur les lèvres des hommes.

C’était pendant la guerre, chez papa. J’étais jeune fille, alors. Un jour on se battit près du château. J’avais entendu depuis le matin le canon et la fusillade, et le soir un colonel allemand entra chez nous et s’y installa. Puis il partit le lendemain. On vint prévenir père qu’il y avait beaucoup de morts dans les champs. Il les fit ramasser et apporter chez nous pour les enterrer ensemble. On les couchait, tout le long de la grande avenue de sapins, des deux côtés, à mesure qu’on les apportait ; et comme ils commençaient à sentir mauvais, on leur jetait de la terre sur le corps en attendant qu’on eût creusé la grande fosse. De la sorte on n’apercevait plus que leurs têtes qui semblaient sortir du sol, jaunes comme lui, avec leurs yeux fermés.

Je voulus les voir ; mais quand j’aperçus ces deux grandes lignes de 6gures affreuses, je crus que j’allais me trouver mal ; puis je me mis à les examiner, une à une, cherchant à deviner ce qu’avaient été ces hommes.

Les uniformes étaient ensevelis, cachés sous la terre, et pourtant tout à coup, oui ma chérie, tout à coup je reconnus les Français, à leur moustache !

Quelques-uns s’étaient rasés le jour même du combat, comme s’ils eussent voulu être coquets jusqu’au dernier moment ! Leur barbe cependant avait un peu repoussé, car tu sais qu’elle pousse encore après la mort. D’autres semblaient l’avoir de huit jours ; mais tous enfin portaient la moustache française, bien distincte, la fière moustache, qui semblait dire :  « Ne me confonds pas avec mon voisin barbu, petite, je suis un frère. »

Et j’ai pleuré, oh ! J’ai pleuré bien plus que si je ne les avais pas reconnus ainsi, ces pauvres morts.

J’ai eu tort de te conter cela. Me voici triste maintenant et incapable de bavarder plus longtemps.

Allons, adieu, ma chère Lucie, je t’embrasse de tout mon cœur. Vive la moustache !

JEANNE.

Pour copie conforme :

Guy de Maupassant.

31 juillet 1883

La dot

Personne ne s’étonna du mariage de maître Simon Lebrument avec Mlle Jeanne Cordier. Maître Lebrument venait d’acheter l’étude de notaire de maître Papillon ; il fallait, bien entendu, de l’argent pour la payer ; et Mlle Jeanne Cordier avait trois cent mille francs liquides, en billets de banque et en titres au porteur. Maître Lebrument était un beau garçon, qui avait du chic, un chic notaire, un chic province, mais enfin du chic, ce qui était rare à Boutigny-le-Rebours.

Mlle Cordier avait de la grâce et de la fraîcheur, de la grâce un peu gauche et de la fraîcheur un peu fagotée ; mais c’était, en somme, une belle fille désirable et fêtable.

La cérémonie d’épousailles mit tout Boutigny sens dessus dessous.

On admira fort les mariés, qui rentrèrent cacher leur bonheur au domicile conjugal, ayant résolu de faire tout simplement un petit voyage à Paris après quelques jours de tête-à-tête.

Il fut charmant, ce tête-à-tête, maître Lebrument ayant su apporter dans ses premiers rapports avec sa femme une adresse, une délicatesse et un à-propos remarquables. Il avait pris pour devise :  « Tout vient à point à qui sait attendre. » Il sut être en même temps patient et énergique. Le succès fut rapide et complet.

Au bout de quatre jours, Mme Lebrument adorait son mari.

Elle ne pouvait plus se passer de lui, il fallait qu’elle l’eût tout le jour près d’elle pour le caresser, l’embrasser lui tripoter les mains, la barbe, le nez, etc. Elle s’asseyait sur ses genoux, et, le prenant par les oreilles, elle disait :  « Ouvre la bouche et ferme les yeux. » Il ouvrait la bouche avec confiance, fermait les yeux à moitié, et il recevait un bon baiser bien tendre, bien long, qui lui faisait passer de grands frissons dans le dos. Et à son tour il n’avait pas assez de caresses, pas assez de lèvres, pas assez de mains, pas assez de toute sa personne pour fêter sa femme du matin au soir et du soir au matin.

Une fois la première semaine écoulée, il dit à sa jeune compagne :

 « Si tu veux, nous partirons pour Paris mardi prochain. Nous ferons comme les amoureux qui ne sont pas mariés, nous irons dans les restaurants, au théâtre, dans les cafés-concerts, partout, partout. » Elle sautait de joie.

 « Oh ! Oui, oh ! Oui, allons-y le plus tôt possible. » Il reprit :

 « Et puis, comme il ne faut rien oublier, préviens ton père de tenir ta dot toute prête ; je l’emporterai avec nous et je paierai par la même occasion maître Papillon. » Elle prononça :

 « Je le lui dirai demain matin. » Et il la saisit dans ses bras pour recommencer le petit jeu de tendresse qu’elle aimait tant, depuis huit jours.

Le mardi suivant, le beau-père et la belle-mère accompagnèrent à la gare leur fille et leur gendre qui partaient pour la capitale.