Je sais bien que les derniers événements ont jeté dans tous les esprits d’immenses doutes et d’immenses désenchantements et que bien des enfants de la génération actuelle ont révoqué en doute la sagesse révolutionnaire de leurs pères. On a touché au doigt l’inanité des résultats obtenus. Mais si des illusions, qu’on pourrait déjà qualifier de séculaires ont été emportées par la dernière tempête, nulle foi ne les a remplacées… Le doute s’est creusé, et voilà tout. Car la pensée moderne peut bien batailler contre la Révolution sur telle ou telle autre de ses conséquences, le socialisme, le communisme, voire même l’athéisme, mais pour en résoudre le Principe il faudrait qu’elle se reniât elle-même. Et voilà pourquoi aussi la société occidentale, qui est l’expression de cette pensée, en se voyant acculée à l’abîme par la catastrophe de Février, a bien pu se rejeter en arrière par un mouvement instinctif, mais il lui faudrait des ailes pour franchir le précipice ou un miracle, sans précédent dans l’histoire des Sociétés humaines, pour revenir sur ses pas.
Telle est la situation actuelle du monde. Elle est, certainement, claire pour la divine Providence, mais elle est insoluble pour la raison contemporaine.
C’est sous l’empire de pareilles circonstances que les Pouvoirs publics de l’Occident sont appelés à régir la Société, à la raffermir, à la rasseoir sur ses bases, et ils sont tenus à travailler à cette œuvre avec les instruments qu’ils ont reçus des mains de la Révolution et qui ont été fabriqués pour son usage.
Mais indépendamment de cette tâche de pacification générale, qui est commune à tous les gouvernements, il y a dans chacun des grands Etats de l’Occident des questions spéciales, qui sont le produit et comme le résumé de leur histoire particulière et qui, ayant été, pour ainsi dire, mises à l’ordre du jour par la Providence historique, réclament une solution imminente.
C’est à ces questions que s’est attaquée dans les différents pays la Révolution européenne, mais elle n’a su y trouver qu’un champ de bataille contre le Pouvoir et la Société. Maintenant qu’elle a honteusement échoué dans tous ses efforts et dans toutes ses tentatives et qu’au lieu de résoudre les questions elle n’a fait que les envenimer, c’est aux gouvernements à s’y essayer, à leur tour, en travaillant à leur solution en présence même et, p<our> ainsi dire, sous le contrôle de l’ennemie qu’ils ont vaincue.
Mais avant tout passons en revue les différentes questions.
Pour qui observe, en témoin intelligent, mais du dehors, le mouvement de l’Europe Occidentale, il n’y a assurément rien de plus remarquable et de plus instructif que, d’une part, le désaccord constant, la contradiction manifeste et continue entre les idées qui y ont prévalu, entre ce qu’il faut bien appeler l’opinion du siècle, l’opinion publique, l’opinion libérale et la réalité des faits, le cours des événements, et, d’autre part, le peu d’impression que ce désaccord, cette contradiction si flagrante, paraît faire sur les esprits.
Pour nous, qui regardons du dehors, rien n’est plus facile, assurément que de distinguer dans l’Europe Occidentale le monde des faits, des réalités historiques, d’avec ce mirage immense et persistant, dont l’opinion révolutionnaire, armée de la presse périodique, <нрзб.> comme recouvert la Réalité. Et c’est dans ce mirage que vit et se meut, comme dans son élément naturel, depuis 30 à 40 ans, cette puissance aussi fantastique que réelle que l’on appelle l’Opinion publique…
C’est une étrange chose, après tout, que cette fraction de la <société> — le Public. C’est là, à proprement parler, la vie <du> peuple, le peuple élu de la Révolution. C’est cette minorité de la société occidentale qui (sur le continent au moins), grâce à la direction nouvelle, a rompu avec la vie historique des masses et a secoué toutes les croyances positives… Ce peuple anonyme est le même dans tous les pays. C’est le peuple de l’individualisme, de la négation. Il y a cependant en lui un élément qui, tout négatif qu’il est, lui sert de lien et lui fait comme une sorte de religion. C’est la haine de l’autorité sous toutes les formes et à tous ses degrés, la haine de l’autorité comme principe. Cet élément parfaitement négatif, dès qu’il s’agit d’édifier et de conserver, devient terriblement positif, dès qu’il est question de renverser et de détruire. — Et c’est là, soit dit en passant, ce qui explique les destinées du gouvernement représentatif sur le continent. Car ce que les institutions nouvelles ont appelé jusqu’à présent la représentation, ce n’est pas, quoi qu’on en dise, la société elle-même, la société réelle avec ses intérêts et ses croyances, mais c’est ce quelque chose d’abstrait et de révolutionnaire qui s’appelle le public, représentant des opinions et rien de plus. Aussi ces institutions ont bien pu fomenter sachant l’opposition, mais nulle part jusqu’à présent elles n’ont <нрзб.> fondé un gouvernement…
Le monde réel, toutefois, le monde de la réalité historique, même sous le mirage n’en est pas moins resté ce qu’il est et n’en a pas moins poursuivi son chemin tout à côté de ce monde de l’opinion publique qui, grâce à l’acquiescement général, avait aussi acquis une sorte de réalité.
Après que le parti révolutionnaire nous a donné le spectacle de son impuissance, vient maintenant le tour des gouvernements qui ne tarderont pas à prouver que s’ils sont encore assez forts pour s’opposer à une destruction complète, ils ne le sont plus assez pour rien réédifier. Ils sont comme ces malades qui réussissent à triompher de la maladie, mais après que la maladie a profondément altéré leur constitution, et dont la vie désormais n’est plus qu’une lente agonie. L’année 1848 a été un tremblement de terre qui n’a pas renversé de fond en comble tous les édifices qu’elle a ébranlés, mais ceux même qui sont restés debout ont tellement été lézardés par la secousse, que leur chute définitive est toujours imminente.
En Allemagne la guerre civile est le fond même de sa situation politique. C’est plus que jamais l’Allemagne de la guerre de Trente ans, le Nord contre le Midi, les souverainetés locales contre le Pouvoir unitaire, mais tout cela démesurément accru et renforcé par l’action du principe révolutionnaire. En Italie ce n’est pas seulement comme autrefois la rivalité de l’Allemagne et de la France ou la haine de l’Italie contre le Barbare ultramontain. Il y a de plus encore la guerre à mort déclarée par la Révolution armée du sentiment de la nationalité italienne contre le catholicisme compromis à la suite de la papauté romaine. Quant à la France qui ne peut plus vivre sans renier à chaque pas ce qui, depuis 60 ans, est devenu son principe de vie, la Révolution, — c’est un pays, logiquement et fatalement condamné à l’impuissance. C’est une société condamnée par l’instinct de sa conservation à ne se servir d’un de ses bras que pour enchaîner l’autre.
Telle est selon nous la situation actuelle de l’Occident. La Révolution, conséquence logique et résumé définitif de la civilisation moderne, de la civilisation que le rationalisme anti-chrétien a conquise sur l’Eglise romaine, — la Révolution, convaincue par le fait d’une impuissance absolue comme organisation, mais d’une puissance presque aussi grande comme dissolvant, — d’autre part, ce qui restait à l’Europe des éléments de l’ancienne société, assez vivants encore, pour refouler, au besoin, sur un point donné l’action matérielle de la Révolution, mais tellement eux aussi, pénétrés, saturés et altérés par le principe révolutionnaire, qu’ils en sont devenus comme impuissants à produire quelque chose, qui fût généralement accepté par la société européenne, comme une autorité légitime, — tel est le dilemme, qui se pose en ce moment dans toute son immense gravité. La part d’incertitude que l’avenir se réserve ne porte que sur un seul point: c’est de savoir combien de temps il faudra à une situation semblable, pour produire toutes ces conséquences. Quant à la nature de ces conséquences, on ne saurait les pressentir qu’en sortant complètement du point de vue occidental et en se résignant à comprendre cette vérité vulgaire: c’est que l’Occident européen n’est que la moitié d’un grand tout organique et que les difficultés en apparence insolubles qui la travaillent ne trouveront leur solution que dans l’autre moitié…
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LA RUSSIE ET L’OCCIDENT
I. Situation générale
I. La Situation en 1849
II. Question Romaine
II. La Question Romaine
III. L’Italie
III. L’Italie
IV. L’Unité Allemande
IV. L’Unité Allemande
V. L’Autriche
V. L’Autriche
VI. La Russie
VI. La Russie
VII. La Russie et Napoléon
VII. La Russie et Napoléon
VIII. L’Avenir
VIII. La Russie et la Révolution
IX. L’Avenir
Que veut l’Italie? Le vrai, le factice.
Le vrai: l’indépendance, la souveraineté municipale avec un lien fédéral — l’expulsion de l’étranger, de l’Allemand.
Le faux: l’utopie classique: l’Italie unitaire. Rome à la tête. Restauration romaine.
D’où vient cette utopie? — Son origine — son rôle dans le passé — et jusqu’à nos jours.
Deux Italies. Celle du peuple, des masses, de la réalité. — L’Italie des lettrés, savants, révolutionnaires, depuis Petrarca jusqu’à Mazzini.
Rôle tout particulier de cette tendance des lettrés en Italie. Sa signification: c’est une tradition de l’ancienne Rome, de la Rome payenne. — Pourquoi ce simulacre a plus de réalité en Italie qu’ailleurs.
L’Italie romaine était une Italie conquise. Voilà pourquoi l’unité de l’Italie, telle que ces m<e>ss<ieu>rs l’entendent, est un fait romain et nullement italien.
L’Italie, alors, était la chose de Rome, parce que Rome avait l’Empire.
Ce que c’est que l’Empire. C’est une délégation, les droits qu’elle confère.
On les perd, ces droits, quand la délégation est révoquée — on les perd avec l’Empire. — C’est ce qui est arrivé avec Rome. Mais le siège de l’Empire n’étant plus en Italie, il n’y a plus lieu à cette unité factice. — Elle recouvre de plein droit son indépendance et ses autonomies locales.
Retrait de l’Empire à Rome et son transfert à l’Orient. C’est la donnée chrétienne que la donnée payenne cherche à nier.
Et voilà pourquoi elle méconnaît la véritable situation de l’Italie.
Une Italie rendue à la liberté de ses mouvements, mais dépouillée de l’Empire, — une Italie, dépouillée de l’Empire, mais ne pouvant se passer de l’autorité impériale.
L’autorité impériale: c’est le lien du faisceau.
Pourquoi cette autorité n’a jamais tenu toute la place qui lui revient — la Papauté l’a paralysée.
Lutte de la Papauté et de l’Empire — ses conséquences pour l’Italie.
Papauté romaine et Empire germanique. Tous deux — usurpateurs vis-à-vis <de> l’Orient — d’abord complices, puis ennemis. L’Italie — la proie qu’ils se disputent. — De là tous ses malheurs.
Coup d’œil rapide sur cette lamentable histoire.
Tous les deux appellent en Italie l’étranger qui s’y établit à demeure. La Papauté, bien que diminuée, garde touj <ours> Rome, centre du monde. L’Empire, en croulant, lègue à l’Italie la domination autrichienne. La dernière lutte: l’Autriche plus étrangère que jamais. L’Italie plus déchirée que jamais. La Papauté se rapprochant de l’Autriche. La cause de l’Indépendance s’identifiant de plus en plus à la cause révolutionnaire. — Immense gravité de la situation.
Une intervention française, au profit de la Révolution, ne pouvant que l’aggraver. Déchirement. Lutte intérieure de tous les éléments entr’eux. Situation sans issue.
Seule issue possible.
L’Empire rétabli. La Papauté sécularisée…
II y a deux choses également et généralement détestées en Italie: les tedeschi et les preti.
Maintenant, quelle est la puissance qui serait en mesure de délivrer l’Italie des uns et des autres, sans donner gain de cause à la Révolution et sans ruiner l’Eglise. Cette puissance, si elle existe, est la protectrice — née de l’Italie.
Le Pape vis-à-vis de la Réforme.
La question romaine dans les temps actuels est insoluble. — Elle ne pourrait être résolue que par un retour de l’Eglise romaine vers l’Orthodoxie.
Il n’y a qu’un pouvoir temporel, appuyé sur l’Eglise universelle qui serait en mesure de réformer la Papauté, sans ruiner l’Eglise.
Ce pouvoir n’a jamais existé, ni put exister dans l’Occident. — Voilà pourquoi tous les pouvoirs temporels de l’Occident, depuis les Hohenstauffen jusqu’à Napoléon, dans leurs démêlés avec les Papes ont fini par accepter, pour auxiliaire, le principe anti-chrétien — tout comme les soi-disant réformateurs, et p<ar> le même motif.