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Тютчевой Е. Ф., 11 апреля 1862*

5. Е. Ф. Тютчевой 11 апреля 1862 г. Петербург

Je passe à toi*, ma bonne et chère Kitty, et fais à l’occasion des fêtes, comme dans toute autre occasion, les vœux les plus sentis pour ton bonheur. Tous ces vœux pour le moment se résument dans un seul, et il me paraît aussi indigne qu’absurde, que ce vœu-là tarde tant à se réaliser. Je verrais un sac rempli d’or séjourner pendant des jours et des semaines en pleine perspective Nevsky, à la vue du monde entier, que ce fait-là ne me causerait pas plus de surprise.

Hier soir il y a eu un petit bal à la Cour, en l’honneur du G<rand>-D<uc> Владимир, je crois. Tes trois sœurs y ont été, mais je n’en ai pas encore eu de nouvelles par Marie, qui est rentrée du bal lorsque je dormais déjà.

Fais mes amitiés à la tante et aux deux oncles et charge-toi de dire à Н<иколай> В<асильевич> que je le fais remercier de son envoi littéraire. — Nous avons ici en ce moment le professeur Чичерин*, avec qui j’ai dîné hier chez le Prince Горчаков. C’est un homme de bien et de convictions et il serait à désirer que l’exemple qu’il donne devint contagieux. Cela ferait bien vite cesser le charme d’absurdité et d’extravagance, qui comme un cauchemar pèse plus ou moins sur tout le monde. Au revoir, à bientôt, ma fille chérie.

Перевод

Перехожу к тебе*, моя милая, славная Китти, и шлю тебе по случаю праздников, как и по всем другим случаям, самые сердечные пожелания счастья. Все они объединяются сейчас в одно, и мне представляется столь же нелепым, сколь и несправедливым то, что это пожелание все никак не осуществляется. Если б посреди Невского, на глазах у всех неделями лежал мешок с золотом, меня бы это меньше удивило.

Вчера вечером при дворе был дан небольшой бал, кажется, в честь великого князя Владимира. Три твои сестры там были, но Мари мне ничего еще о бале не рассказывала, так как вернулась с него, когда я уже спал.

Кланяйся от меня тетушке и обоим дядюшкам и возьми на себя труд сказать Николаю Васильевичу, что я благодарю его за литературное послание. У нас здесь сейчас профессор Чичерин*, вчера я с ним обедал у князя Горчакова. Он человек благородный и с убеждениями, и хорошо было бы, если бы пример, который он подает, оказался заразительным. Это быстро бы прекратило вакханалию глупости и сумасбродства, которая, словно злое наваждение, в той или иной мере захватила всех. До скорого свиданья, милая моя дочь.

Головнину А.В., 16 мая 1862*

6. А. В. ГОЛОВНИНУ 16 мая 1862 г. Петербург

Середа. 16 мая

Милостивый государь Александр Васильевич,

Позвольте мне обратиться к вашему превосходительству с моею покорнейшею просьбою.

В случае, если мое отправление за границу состоится еще в нынешнем месяце*, я крайне был бы обязан вашему превосходительству, если бы вы благоволили разрешить выдачу мне вперед моего месячного жалования за текущий май месяц — не смею прибавить и за будущий.

С истинным почтением честь имею быть вашего превосходительства покорнейший слуга Ф. Тютчев

Тютчевой Д. Ф., июль — август 1862*

7. Д. Ф. ТЮТЧЕВОЙ Конец июля — начало августа 1862 г. Женева

Martigny. Sion. Bains de Loèche. La Gemmi. Candersteg. Interlaken. Thun.

Cette série de dates résume les derniers quinze jours de mon existence de touriste. C’est tout un monde d’enchantement. Je me suis assuré, par mes yeux, que toutes ces belles choses existent en réalité. Dans quelques semaines j’en douterai.

J’ai eu quelques très bons quarts d’heure dans le courant de ces derniers quinze jours… Des quarts d’heure où je me suis senti vivre de la vie d’autrefois, de la vie d’il y a cent ans…

Savez-vous, ma fille chérie, ce que c’est que la Gemmi, p<ar> e<xemple>? C’est une montagne à pic, de 7 mille pieds de haut, qui sépare les bains de Loèche de la délicieuse vallée de Candersteg qui mène aux lacs de Thun et de Brienz… C’est un des passages les plus rudes et les plus scabreux des Alpes de l’Oberland. Une dame française y a péri l’année dernière. J’ai grimpé là-haut et me suis arrêté à l’endroit où le mulet de cette pauvre dame s’étant abattu, son pauvre corps a roulé, de rocher en rocher, dans un précipice de cent pieds de profondeur. Elle venait de se marier.

Ce qui est d’une beauté inexprimable, c’est le silence absolu qui règne sur les hautes cimes. C’est un monde à part qui n’appartient plus aux vivants.

A Interlaken j’ai rencontré une foule de Russes, mais personne de très connu, sauf le G<énér>al Poutiatine* et l’inévitable Mlle de Gervais que son oncle, le Comte Bloudoff, avait essayé d’enfermer comme folle dans une maison de santé, tentative qui pourtant n’a pas abouti, si ce n’est à une espèce d’apologie assez malencontreuse que le pauvre Comte a été obligé de faire insérer dans les journaux, pour justifier cette mesure non-réussie… Elle allait me raconter toute cette histoire au long, lorsque la cloche d’un bateau à vapeur qui l’emmenait est venue lui couper le sifflet…

Sur le lac de Brienz je suis allé voir le Giessbach, éclairé aux feux de Bengale. Ce jour-là j’ai rencontré, à quelques heures d’intervalle, le fameux Kossuth* et la Reine douairière de Naples*.

A Thun j’ai donné lieu à une singulière méprise. Quelques stupides Anglais, ayant lu dans le livre des étrangers mon nom accompagné de ma qualité de Chambellan, et n’ayant, à ce qu’il paraît, pu déchiffrer de mon griffonnage que les mots: Empereur de Russie, se sont persuadés que c’est bien l’Emp<ereur> de Russie en personne qui se trouvait incognito à l’hôtel de Bellevue, à Thun, et ont si bien accrédité ce bruit, que le soir la musique de l’hôtel n’a pas manqué, par déférence pour l’Auguste visiteur, de tonner le Боже, царя храни. Ils ont pourtant fini par se détromper…

A Berne j’ai vu l’ours qui a croqué l’Anglais et qui ne paraît pas s’en souvenir — et à Fribourg l’orgue, que j’avais entendu il y a 22 ans, m’a inondé d’une tristesse qu’aucune parole humaine ne saurait exprimer.

Ah, ma fille, pourquoi vit-on jusqu’à un certain âge…

Eh bien, de tous ces endroits que je vous ai énumérés, je me proposai de vous écrire, mais la conviction m’a manqué. Et, certes, elle aurait manqué à moins. En effet, je ne sais ce qui vous arrive et comment je dois m’expliquer ce silence de néant où vous vous renfermez à mon égard… Heureusement, j’ai usé l’inquiétude, car autrement j’en serais fou à l’heure qu’il est… Les dernières nouvelles que j’aie reçues de vous, c’est ta lettre en date du 2 juillet qui est allée me chercher à Bade. Tu avais, peut-être, quelque raison de me l’adresser là. Car il y a 3 semaines que j’aurais dû y être. Mais au moment d’y aller je me suis si vivement rappelé certaines impressions de la localité, la cohue des salons de jeu, le désœuvrement affairé de tout ce monde plus qu’à moitié canaille se coudoyant toute le journée comme dans une impasse, — voire même le cercle prétentieusement exclusif de nos dames de Pétersb<ourg>, que je suis si sûr de revoir longuement dans le courant de cet hiver. — Je me suis si vivement représenté tout cela, que j’ai eu honte de mon empressement à aller ressaisir toutes ces belles choses si connues et toujours les mêmes, tandis qu’à deux pas de moi je pouvais me donner le spectacle des plus grandes magnificences de la nature… Et c’est ce scrupule de conscience qui a décidé la tournée que je viens d’accomplir… Maintenant me voilà revenu encore une fois sur les bords du Lac de Genève que j’ai revus avec un plaisir infini, tant il y a un charme tout particulier attaché à cette localité. Ce qui m’a aussi ramené ici, c’est une vague velléité de faire une course à Chamonix, que je devais faire il y a trois semaines, mais qu’au moment donné des apparences de mauvais temps m’avaient fait ajourner. Maintenant c’est le moment de la saison le plus favorable pour la réaliser, mais cette réalisation dépend de certaines conditions: et d’abord, il faut que je trouve à m’associer à quelqu’un de plus convaincu que moi, comme j’avais réussi à le faire pour ma course précédente grâce à un bon jeune homme, un compatriote, un certain Mr Korsakoff, officier d’artillerie, et sorti depuis quelques mois seulement de la maison des fous, dont il a emporté quelques impressions assez originales… Et puis — ou plutôt avant tout — il faut qu’à tout prix j’aie de vos nouvelles. Je viens de télégraphier à Bade-Bade pour réclamer les lettres qui pourraient s’y trouver à mon adresse… et je puis dire avec toute vérité, que j’en ai la fièvre d’incertitude et d’impatience… Voilà deux grands mois que je suis sans nouvelles directes de ma femme et de Marie. J’aurais commis des crimes à être traduit en cour d’assises, que je n’aurais pas mérité un pareil supplice. Ceci, positivement, m’empoisonne tout… Enfin, à la grâce de Dieu… Mais cette expérience ne sera pas perdue pour moi. Pour le 15 août st<yle> russe je serai bien certainement rentré à Pétersb<ourg>. C’est vers cette époque, je suppose, que tes frères doivent y rentrer… Voilà beaucoup de griffonnage, et que vous ai-je dit? — Ma santé est fort bonne, mais je puis bien dire qu’en ce moment c’est le cadet de mes soucis… C’est de vos nouvelles que j’ai besoin…