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Ça me file des lancées terribles dans la boîte. J’ai des papillons frivoles qui font du Paris by night devant mes châsses. Pourvu qu’elle ne m’ait pas fendu la calotte, cette dévergondée ! Vous voyez pas que votre petit San-Antonio mignon devienne mou de la tronche et se propulse dans une petite voiture ?

Un nouveau coup de gnole me rassure. Ça va passer. Bien entendu, la grenouille a mis les adjas. Je fais le tour de mes poches et je m’aperçois qu’elle a récupéré ses paquets de chnouf. En outre elle a piqué les clés de ma chignole. Je cavale à la sortie : effectivement, il n’existe pas plus de voiture dans le chemin que de munitions dans la cartouchière d’un soldat de 40. La garce m’a non seulement percuté la coiffe, mais en outre elle m’a dépouillé de mon moyen de locomotion habituel.

Je rentre dans le livinge et avise opportunément un appareil bigophonique à changement de vitesse, avec injection directe, double carburateur, guidon de course et fourche télescopique. Je tourne la manivelle et, comme je parle couramment plusieurs langues, je dis : « Allô ! » Une dame me répond familièrement « j’écoute ». Fort de cette affirmation, je lui demande le numéro de mon burlingue. Mes lancées cuisantes à l’Himalaya s’estompent. Ma fureur réchauffe mon corps meurtri.

— L’immonde Bérurier est-il encore là ? demandé-je au standardiste.

Le Bignou’s man me répond qu’il va s’en assurer. Quelques secondes s’écoulent, de quoi faire une demi-minute. Je me dis que le Gros est rentré chez le cétacé qu’il a épousé un jour en pensant que c’était une femme, et je mate l’heure. Mon cadran portable indique dix heures moins vingt, ce qui est son devoir !

— C’est toi, San-A. ? grommelle alors la voix suintante du Mastar.

— Tu roupillais, je parie ?

— Effectivement, dit l’autre truffe, je m’étais quelque peu assoupi.

— Alors, réveille-toi, prends ta calèche et viens me chercher à Montfort-l’Amaury. Je t’attendrai sur la place, devant l’église.

— T’es en panne ?

— Y a de ça.

— Et ta souris, toujours le coup de foudre ?

— Pire !

— Tu sais qu’elle est gironde !

— Je sais ! Arrive. Et manie-toi, sinon tu te feras jouer Manon en sanscrit.

Je raccroche. Il va falloir une petite heure au Gros pour radiner. Je me demande ce qu’a fait la môme Geneviève depuis tout à l’heure. Elle a reniflé un peu de levure, ça d’accord, mais après ?

M’est avis qu’elle s’est foutue dans un sacré merdier. Pour piger ses mobiles, faut avoir fait Normale sup ou l’École polytechnique.

Si vous aimez l’incohérence, venez en chercher un panier ! C’est gratuit. Elle vient me supplier de sauver son soi-disant amant. Elle était avec lui. Ensuite elle dit que non. Et cependant… Oh ! mince ! Voilà que ça vient. Je ne sais pas si c’est le massage au tisonnier qui me développe les cellules, mais je commence à subodorer le truc. D’un seul coup d’un seul, je pige l’endroit du circuit où ça s’est mis à bifurquer. C’est à Neauphle, les gars. La môme voulait sauver à la désespérée la bouille de Messonier, ça, d’accord. Mais elle croyait que ça pouvait se faire sur sa parole, sans enquête nouvelle. Quand elle a vu que nous allions au domicile du condamné, elle a brusquement renoncé à son noble projet et elle a fait semblant de ne pas savoir où il habitait pensant que je considérerais cette ignorance comme la preuve de ses mensonges. Ce en quoi elle n’a pas eu tort. Ensuite elle a tout fait pour me garder auprès d’elle, TOUT ! afin que je sursoie à l’enquête. Elle préfère qu’on décapite Messonier plutôt que de me voir poursuivre mes investigations. Mais oui, je brûle. Il y a un secret plus important, plus dangereux, que le double assassinat du boulevard de Beauséjour qu’elle ne veut absolument pas qu’on découvre. Or, à Neauphle, je risquais de le découvrir ! Conclusion, c’est à Neauphle-le-Château que je dois foncer.

Je piaffe d’impatience. Pour la tromper, je réquisitionne la postière de Montfort. J’aime sa voix vibrante aux inflexions rétribuées par le ministère des Postes, Télégraphes et Téléphone.

Pour changer, je lui redemande le même numéro que naguère.

— Si vous voulez Béru, c’est trop tard, il est parti en coup de vent, m’avertit le préposé du standard.

Un coup de vent bérurien, c’est un typhon à la Jamaïque ! Il a dû renverser trois chaises, deux plantons et la vieille dame d’à côté dans sa précipitation, le Gros.

— C’est pas à l’horrible homme des neiges que j’en ai, le rassuré-je. Tu vas donner des instructions à Magnin pour qu’on retrouve la voiture immatriculée 3248 FA 78. Ordre également d’arrêter une dame Geneviève Coras, vingt-cinq ans, toutes ses dents et blonde comme une aurore sur la Beauce au mois de juillet (poésie pas morte). Elle crèche 46, boulevard de Beauséjour. Voilà, c’est tout. Qu’on se remue.

— C’est noté, monsieur le commissaire.

Je raccroche. La bouteille de Scotch est toujours là, tentante, parmi ses sœurs françaises, mais ces machins c’est comme les médicaments à étiquette rouge : il ne faut jamais dépasser la dose prescrite. À regret je leur tourne le dos. Dans un peu de temps, un monsieur de ma connaissance va se payer un gorgeon de gnole sérieux, manière de se changer les idées. Et ensuite, si je puis me permettre ce sémaphore, c’est lui qui va trinquer. Or il se pourrait de plus en plus qu’il soit innocent. Pour un philosophe voilà matière à réflexions, les potes. La peine capitale appliquée à un innocent constitue-t-elle une plaie plus douloureuse que lorsqu’elle affecte un coupable ?

Le sentiment d’avoir perpétré un forfait permet-il à un homme d’accepter l’échafaud ? Ou celui de ne pas l’avoir mérité ne fortifie-t-il pas son courage ? Ah ! si je m’écoutais, et si je ne vous sentais pas frémissants d’impatience comme des mecs assistant au tirage d’une tombola dont le gros lot serait une nuit d’amour avec Sophia Loren, je m’en donnerais à cœur joie dans les idées à vertige. Après la tartine, d’ailleurs, nous ne serions pas plus avancés qu’auparavant ; mais les hommes ont besoin de jouer sur les maux de leur existence. Besoin d’en parler, de les mesurer et de leur chercher des remèdes. C’est après le fromage des banquets qu’on a le mieux refait la France.

Je quitte la maison pour aller attendre le Gros sur la place ainsi qu’il fut convaincu. Il fait une nuit merveilleuse, veloutée comme un pantalon de cantonnier avec un ciel qu’on dit clouté d’or dans les bouquins de mes confrères primés aux concours agricoles. Une nuit à faire bâiller de nostalgie tous les chats coupés de la région. Un vent léger fait frissonner les frondaisons. Je me dis que ça renifle bon la vie et que si Messonier respirait un centimètre cube seulement de cet air-là, il dirait au bourreau de repasser un autre jour et de repasser son couperet ou son manuel du parfait petit décapiteur en attendant.

La coquette agglomération (Guide Bleu dixit) sommeille. On ne voit que peu de lumière. Le rural en écrase déjà, le résidencier secondaire mate la télé. Un chien préoccupé longe l’étroit trottoir en s’arrêtant fréquemment pour identifier des odeurs et pour les mépriser.

La bosse que m’a offerte ce chameau de Geneviève me picote. Avouez que c’est tout de même pas un turbin de toujours prendre des gnons ! Si je facturais mes cicatrices à l’administration, je ferais fortune. Enfin, la viande de perdreau est faite pour recevoir du plomb, non ? Je m’assieds sur les marches de l’église en attendant mon éminent et volumineux collaborateur.