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Si mes calculs sont exacts, comme disait un mathématicien qui souffrait du rein, il ne devrait pas tarder. Le Gros a un bon coup de volant. Il pilote sa chignole comme un marchand de marrons pilote son chaudron. À ces heures, les routes sont dégagées et on peut se payer des pointes à condition de ne pas rencontrer de clous. Effectivement, dix minutes plus tard il débouche sur la place dans un sauvage miaulement de freins qui fait ouvrir les volets d’alentour.

Je m’avance.

— Qu’est-ce que t’as ? demande-t-il en découvrant mon œuf de Pâques, t’as trinqué avec une bordure de trottoir ?

— Non, j’ai donné un coup de téléphone trop violent.

Je claque la portière.

— Comment ça se fait que tu soyes sans charrette ?

— J’ai prêté la mienne à une dame qui ne me l’a pas demandée.

— La gonzesse de ce soir ?

— Oui !

Il pouffe, bien que n’étant pas paf en se grattant le pif.

— Dis, elle a des drôles de manières, ta fille de la haute.

Comme je n’ai pas le cœur à écouter ses considérations, je tranche :

— Tu sais aller à Neauphle ?

— Et comment, j’ai un cousin à Berthe qui y habite. Quand je dis cousin, note bien, je force un peu. C’est le fils du beau-frère de la belle-sœur du père du frère du père de ma femme. Il cultive la légume. Si tu voyais ces champs d’épandage ! Il fait venir la m… de Paris, paraît que c’est la meilleure. Lui, sa spécialité c’est le poireau.

— Tout le monde ne peut pas cultiver la Légion d’honneur, renchéris-je.

— Qu’est-ce tu débloques ! grommelle le Gros en ratant sa troisième.

La boîte à vitesses gueule comme un monsieur affligé d’un cor au pied sur lequel il vient de laisser tomber un bahut normand en merisier taillé dans la masse.

— Martyrise pas ces pauvres bêtes, conseillé-je, sans quoi tu auras des ennuis avec la S.P.D.A.

— Quelles pauvres bêtes ?

— Les onze chevaux de ton attelage, Gros. Et conduis-moi chez ton faux cousin de Neauphle.

— À ces heures ! s’étonne le pestilentiel Béru.

— Oui, j’ai justement besoin d’interviewer un neauphlier.

Bérurier le preux n’insiste pas. C’est l’homme qui ne dit rien, qu’on sent !

CHAPITRE X

Il est onze heures et des fourmis quand on s’annonce à la ferme du cousin Mathieu. Contrairement aux pronostics que je faisais, les habitants ne sont pas dans les torchons vu qu’ils ont une normande en train de vêler. Les nabus vous le diront : c’est toujours à la nuictée que les apprentis bœufs viennent au monde.

La brave vache appelle sa mère dans sa langue et ce de façon déchirante.

Le Béru s’avance vers l’étable, du pas d’un homme qui a été taureau dans une vie antérieure ou qui est devenu bœuf dans celle-ci.

— Alors ! lance-t-il joyeusement, comment que ça va, le cheptel !

J’aperçois trois personnages assez surprenants. Le cousin Mathieu d’abord, gros, en bras de chemise avec un gilet noir et une moustache dessinée à l’encre de chine. Le gars bien : verrue à aigrette sur le nez aux poils à l’intérieur et calvitie blafarde se découpant au ras du visage hâlé comme un œuf dans son coquetier.

Il est assisté d’un garçon de ferme fourni par l’Assistance Publique, long, creux, roux et qui conserve la bouche ouverte en permanence, ce qui doit être bien commode lorsqu’il a envie de bâiller. La fermière complète le trio. C’est une aimable dame dont la principale caractéristique est le chignon. Elle doit y loger ses économies, c’est pas possible autrement ! Ou alors elle y fait couver des canards de Barbarie ! Elle tient à la main une lanterne qui ne nous a pas entendu venir vu qu’elle est sourde. Sourde mais pas aveugle, aussi répand-elle dans l’étable des reflets à la Rembrandt. Les autres vaches somnolent en rêvassant à un inséminateur qu’elles ont beaucoup aimé. Il y a également une chèvre, dans un coin, avec des cornes plus belles que celles de Béru !

Le fermier dit ce qu’il a à dire en pareilles circonstances, à savoir : « bonjour cousin, quel hasard » et la fermière se tâte le chignon d’un geste peureux pour s’assurer qu’il est présentable et en équilibre. Quant au garçon de ferme idiot, puisqu’il a la bouche en entrée libre, il en profite pour rigoler.

Le chien de la ferme, un délicieux bâtard issu du croisement d’un berger allemand avec une voiture à bras, vient nous renifler les targettes, l’air mécontent qu’on entre sans mugir gare dans la clinique. Il s’appelle Black, étant donné qu’il est jaune et blanc et il porte coquettement un collier en fil de fer barbelé.

Béru me présente en appuyant au maxi sur mon grade. Ça impressionne les accoucheurs qui s’essuient les paluches à leurs futaux avant de m’en serrer cinq.

— Vous prendrez bien quéque chose ? s’inquiète le fermier.

— Un calva, décide le Gros. Mais t’as pas peur que ton bestiau accouche pendant qu’on trinquera ?

— C’est pas pour tout de suite, informe le cousin Mathieu qui s’y connaît.

On rabat à la ferme. Je laisse Béru raconter les varices de sa Berthe, le phlegmon de son ami le coiffeur et sa nouvelle bagnole (une Hardy-Petit 1904 de style gothique à jantes ovales et pneus pleins) avec laquelle il compte réaliser des moyennes époustouflantes.

Pendant qu’il précise, la fermière est allée chercher la boutanche de calva (elle ne l’avait pas dans le chignon) et nous a servi de copieuses rasades. On trinque solennellement, façon Serment du jus de pomme. L’idiot du village avale son verre plus vite que les autres, toujours à cause de cette avance que lui donne l’ouverture constante de sa panoplie à molaires. Là-dessus, ayant déclaré le breuvage excellent, j’attaque les fermiers sur le sujet qui me préoccupe.

— On enquête sur l’affaire Coras, vous vous rappelez ?

Le cousin du Gros hennit (hennit soit qui mal y pense).

— Encore ! C’t’un truc classé, non ?

Sa conjointe qui lit volontiers Détective lorsqu’elle va se faire rectifier la pyramide chez le coiffeur du coin intervient.

— C’est-y que le gars Messonier a eu son pourboire en grâce qu’on l’a pas z’encore guillotiné ?

Elle s’indigne, la vertueuse piétineuse de fumier. Elle est pour la décollation. D’après elle, quand on tue le pauv’monde on ne mérite pas de pitié.

— Vous l’avez connu, ce Messonier, non ? tranché-je, il avait une maison dans la localité, m’a-t-on dit ?

Elle pousse son bonhomme du coude.

— C’est drôle, Pétrus, tu trouves pas ?

Pétrus, qui n’a pas plus d’humour qu’un corbillard en panne, branle le chef. Sans se laisser décourager par cette mimique inexpressive sa bourgeoise explique :

— Il habitait la maison qui touche la nôtre !

Y a des cas où on se sent partant pour acheter des biftons de la Loterie. Notez qu’au tirage on dégode un chouïa vu qu’on passe devant la montre. Vous trouvez pas formide, vous autres, que le hasard, sous les auspices de Béru et de Beaune réunis m’ait guidé tout droit chez les voisins de Messonier ? Eh bien, moi si !

— Elle lui appartenait ?

— Non. C’est un logement qu’est à M. Vermi Fugelune, l’acteur. L’année des crimes, il est allé tourner une pièce de cinéma à Hollivode. Alors, comme Messonier était un de ses amis, y lui avait laissé sa maison pour la saison.

— Et depuis le procès, quelqu’un habite ici ?

— Oui : M. Vermi Fugelune y vient l’été et les véquendes avec d’autres z’acteurs. Si je vous disais que dimanche passé on a eu Mine Derrien, l’actrice. Même qu’elle est entrée ici chercher des œufs frais !

Nous nous exclamons devant une telle manifestation de la Providence. C’est vraiment un cadeau du Ciel, non ? Biner des betteraves, tirer des veaux, et cuire la soupe à longueur d’année et avoir à domicile, en guise de prime, une gloire de l’écran, ça veut bien dire qu’on est un privilégié, non ?