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Les Mathieu en ont conscience mais, en gens modestes, n’abusent pas de leurs prérogatives. Des profondeurs de la nuit, la vache lance un S.O.S. à la maison Prénatal. Le cousin Mathieu s’excuse et va aux nouvelles, escorté de son crétin personnel. Nous demeurons avec la cousine Amélie. Le Gros lui sourit et, pour me montrer qu’il a ses aises chez les nabus, il passe une main familière sur la croupe de la pin-up au chignon. La fermière se croit obligée d’émettre un rire à épisode, remboursable par tirage annuel, qui fortifie l’audace de mon coéquipier.

Comme nous ne sommes pas venus là pour batifoler dans le fumier, je romps le silence équivoque qui vient de s’établir :

— Vous souvenez-vous du jour du crime, madame Mathieu ?

L’enchignonnée fronce ses sourcils abondants.

— Quel crime ?

— Je veux parler des meurtres de MM. Coras père et fils ; vous avez dû lire l’affaire dans les journaux, le lendemain ?

— C’était à la première page ! rétorque-t-elle pour montrer qu’elle a une mémoire aussi éléphantesque que sa croupe.

— Bravo ! encouragé-je. Dès le surlendemain, Messonier était en état d’arrestation.

— Xactement !

— C’est pourquoi je fais appel à vos souvenirs, chère madame ! Les meurtres furent perpétrés un samedi. Messonier a donc été arrêté le lundi. Vous rappelez-vous s’il est venu à Neauphle le samedi ?

Elle entrouvre la bouche pour mieux réfléchir. Ça doit être une habitude dans la strass ! Son cervelet fait des bulles. Le garçon de ferme qui est revenu de l’étable assiste à ce numéro mnémonique pour lequel Bruno Coquatrix payerait le cachet des super-galas. Et c’est en somme normal que l’idiot y assiste puisqu’il est de l’Assistance. Ça lui écarquille en outre les yeux et les narines. M’est avis qu’avec ses orifices béants il risque de s’enrhumer.

La fermière, sollicitée par le massage crouptal de Béru, essaie de mettre le paquet. Quand on lui bassine le bassin, ça l’aide à penser.

— Vous dites que ces crimes y z’ont z’été empêtrés le samedi ?

— Si fait, madame !

Alors nous assistons à un miracle plus stupéfiant que celui de Fatima. On attendait Grouchy : c’est Blücher qui se pointe. Entendez par là qu’au lieu d’Amélie, la fermière au chignon à impériale, c’est le demeuré à la bouche végétative qui répond. Il a tout entendu, mes questions ont fait leur chemin jusqu’à son embryon de cervelle. Il y a eu un déclic, quelque chose, j’sais pas quoi, ce que le maréchal Joffre (ma tournée) appelait les impondérables, et voilà mon rouquin qui donne un solo de cordes vocales au moment où on ne s’y attend pas.

— Le m’sieur que vous causez à la patronne, l’est venu l’samedi que vous causez qu’à eu les crimes que vous causez !

Je tourne vers le ramasseur de paille souillée mon fin visage aux yeux expressifs. D’accord, le gars ne sera jamais secrétaire perpétuel à la Cadémie, pourtant son langage dépouillé comme une peau de lapin me va droit au cœur comme si je m’appelais Ney.

— T’es sûr, mon gars ? fait Béru qui sait parler aux hommes en général et aux crétins de village en particulier.

La môme au chignozof prend les patins de son gardien de ruminants.

— Si Célestin le dit c’est que c’est vrai. Il a une mémoire que vous pouvez pas savoir à quel point !

Fort de cette ratification, je biche familièrement le bras de Célestin.

— Comment que tu sais que c’était ce jour-là, mon garçon ?

Alors, le mec, sans avoir ligoté jamais les grands philosophes, me fait cette réponse plus imparable qu’un coup de fleuret de d’Oriola :

— C’était ce jour-là à cause que c’était ce jour-là !

Béru lui-même en a le cerveau qui craque d’admiration. Je n’insiste pas. Il vaudrait mieux essayer de briser Durandal sur un rocher qu’expliquer à Célestin que l’erreur est une chose humaine, possible, admise, avec laquelle il faut compter, surtout lorsqu’on pratique le métier discutable de poulet assermenté.

— Il est venu quand ?

L’autre tomate pas fraîche renifle une étonnante stalactite, imparfaitement d’ailleurs, et en étale le surplus sur la manche de sa veste.

— J’sais pas quand, mais j’allions faire ferrer not’jument, vu que le lendemain c’était la fête z’au village et qu’a devait tirer une écharretée de fleurs !

— C’est vrai ! exulte Amélie Mathieu en repiquant judicieusement une épingle vadrouilleuse dans son chignon. Les crimes ont été pénétrés la veille de la foire d’ici.

Du coup, je commence à faire confiance aux dons mnémoniques du rouquinos. Il rumine un rire lugubre de dément. Là-dessus, Mathieu se pointe, la moustache plus en guidon de course que jamais et se met à enguirlander l’idiot de première vu qu’il y aura de la tête de veau dans les chaumières avant longtemps et qu’il est seulâbre à se farcir la césarienne de Madame ! On sent qu’on l’importune. Ce qui compte, pour lui, ce ne sont pas les vaches de la maison Poule-man, même lorsqu’elles lui sont apparentées, mais celles qui mugissent dans son étable.

— Une seconde, fait sa femme. On cause !

— La Blanchette aussi, cause, riposte le nabus, et a dit même que ça presse vous causerez t’à l’heure.

J’interviens.

— Plus qu’un mot, monsieur Mathieu, si vous permettez.

Et, sans attendre son autorisation, je repars à l’assaut de Célestin.

— Comment sais-tu qu’il était chez lui, Messonier, tu l’as vu ?

— Non, mais j’ai vu son auto dans la cour. Avec deux autres, une rouge et une noire.

— Il avait quoi lui-même, comme voiture ?

Le crétinuche se plonge le doigt dans les fosses nasales, et grume le fruit de ses investigations.

— Une verte, dit-il après une période d’intense délectation.

Pour sa pomme, ce qui compte le plus dans une guindé, c’est sa couleur, preuve qu’il n’est pas daltonien.

Le fermier agacé complète l’information.

— Il avait une Frégate verte.

— Merci. Pardonnez le dérangement. On vous laisse.

— C’est rapport à ma vache, s’excuse civilement Mathieu.

— On sait ce que c’est, affirme Bérurier à qui rien de ce qui touche aux bovins n’est étranger.

Et pour bien montrer à sa famille qu’il a un esprit répertorié par Vermot il lance :

— Quand le veau est tiré, il faut le faire boire.

CHAPITRE XI

La séparation est cruelle mais nécessaire. Le trio des bouseu’s brothers cavale à l’étable tandis que je reprends la route aux côtés de mon valeureux compagnon d’insomnie.

— Où qu’on va, demande le Gros, à la drume ? J’ai une de ces envies de coucouche-panier qui tiendrait pas dans un n’hamac.

— On va à trente mètres d’ici, fais-je, péremptoirement.

Il grogne en arrachant d’un geste sec un poil de son nez.

— Je m’en gaffais que t’allais vouloir explorer cette maison.

— Ça prouve que tu connais à fond l’homme d’élite que je constitue.

Le Gravos s’emporte — ce qui constitue un exploit lorsqu’on pèse, comme lui, cent vingt mille grammes.

— L’homme d’élite me court sur…

Là il cite le nom d’un étrange parcours que je ne souhaite à personne, pas même au morbach le plus antipathique.

— À cause de c’t’homme d’élite, je mène une vie de galérien ! Jamais dans les toiles en même temps que ma femme ! C’est pas une vie.