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— On n’a pas fini, la dernière fois, rappelle-t-il avec son immonde sourire.

Les petits doigts de Tama serrent le manche du couteau. Depuis qu’il lui a brûlé la paume de la main droite, elle a appris à se servir de la gauche.

— Approche, ordonne Charandon.

Elle recule d’un pas, il attrape son bras, l’attire contre lui.

— Si vous me touchez, je le dirai à votre femme ! murmure Tama. Et à vos enfants.

— Et alors ? s’amuse Charandon. Ils ne te croiront pas.

— Et puis je vous tuerai ! ajoute-t-elle avec une étonnante détermination.

Charandon se met à rire et passe sa main sous la blouse de Tama.

— Toi ? Tu vas me tuer ?

— Oui. Je prendrai un couteau et j’irai vous ouvrir la gorge pendant votre sommeil. Ou je vous le planterai dans le ventre. Plusieurs fois.

La main de Charandon s’éloigne des jambes de Tama.

— Si tu fais ça, tu finiras ta vie en prison ! prévient-il.

— En prison, j’y suis déjà.

Il fixe la lame du couteau avant de quitter la pièce. Tama se laisse tomber sur la chaise. Sa main tremble, ses lèvres aussi.

Elle sait qu’il la laissera tranquille un moment. Qu’elle vient de remporter une victoire, de gagner une bataille.

Une bataille, oui.

Mais pas la guerre.

15

Gabriel se présenta à l’unique guichet et montra une pièce d’identité. Le préposé lui remit une grande enveloppe en papier kraft.

Une simple enveloppe.

Gabriel remonta dans sa voiture et traversa le village. Une fois sur la route départementale, il s’arrêta de nouveau. L’enveloppe était posée sur le siège passager.

Une simple enveloppe.

À l’intérieur, Gabriel découvrit la photo d’une femme d’une cinquantaine d’années. Au dos du cliché, un nom, une adresse ainsi que quelques précieuses informations.

Lady Ekdikos avait glissé un petit mot, en plus de la photo. La plaque d’immatriculation est fausse, désolée.

Gabriel contempla longuement le visage de sa cible. Il sentit la plaie se rouvrir dans ses entrailles. Fugace, mais douloureux. Tellement douloureux…

Il remit la photo dans l’enveloppe, alluma une cigarette.

La cible habitait Toulouse, il lui faudrait partir au moins deux jours. Le temps de repérer l’endroit, d’étudier ses habitudes. Jusqu’au moment idéal.

Le moment fatidique.

Il démarra, un peu brusquement, et la voiture s’engagea dans les gorges.

L’après-midi commençait, Gabriel avait hâte de retrouver l’inconnue endormie dans sa chambre.

16

Tama met le sèche-linge en marche, puis retourne se réfugier sous sa couverture. Elle a beau frotter ses jambes et ses bras, elle continue à grelotter. La chaleur dégagée par la machine permet à la température de remonter légèrement.

Quand les Charandon recevront la facture d’électricité, ils auront une attaque, mais tant pis. Ou plutôt tant mieux !

Si elle ne se réchauffe pas, Tama va mourir de froid dans cette maudite buanderie.

Ils sont partis pour une semaine. Ce sont les vacances d’hiver et Tama les a entendus dire qu’ils allaient faire du ski. Elle n’a pas une idée précise de ce qu’est le ski, mais imagine que ce doit être amusant.

Elle est donc enfermée dans la buanderie pour une semaine, avec Batoul et Atek comme seule compagnie. Bien sûr, par souci d’économie, les Charandon ont éteint le chauffage avant de partir. Ils lui ont laissé quelques provisions pour ne pas qu’elle meure de faim, mais pas de quoi faire un festin. Et, surtout, rien de chaud à se mettre sous la dent. Uniquement quelques paquets de biscuits entamés, une dizaine de pommes et deux bananes. Ce qui restait dans la cuisine en somme… Sefana a mis les autres provisions à l’abri dans la cuisine, des fois que Tama ait l’envie saugrenue de les dévorer. Encore heureux, il y a des W.-C. dans la buanderie.

Tama a l’impression d’être un chien qu’on a laissé à la niche.

Un chien à qui on aurait arraché les crocs.

Elle passe ses journées à lire et à écrire, même si le froid rend ses gestes imprécis. Chaque jour, elle réalise qu’elle progresse. Avant que les Charandon ne partent en vacances, elle a eu la bonne idée de dérober un autre livre dans la chambre d’Émilien. Un petit livre, rempli de magnifiques illustrations qu’elle ne se lasse pas d’admirer. Une histoire complète, qu’elle tente de déchiffrer à voix haute. Elle s’est même essayée au dessin, avec un succès mitigé.

Elle se relève, fait quelques pas pour chauffer ses muscles engourdis et s’approche de la cage d’Atek. Il est sur son petit perchoir, silencieux et immobile.

— J’ai envie d’ouvrir ta cage, tu sais… Mais si je fais ça, je vais encore morfler. Tu comprends ?… Tu as froid, toi aussi ?

Elle rapproche la cage du sèche-linge qui, par bonheur, est plutôt silencieux.

— Tu vas voir, ça va te faire du bien. Tu te souviens, quand tu étais libre ? Moi, je m’en souviens un peu…

Tama lui offre un morceau de biscuit et quelques graines. Puis elle lui parle longuement, lui décrivant le soleil qui brillait dans un ciel d’une incroyable pureté. Lui fredonnant les chansons que sa mère aimait lui chanter, le soir. Récitant les paroles tendres qu’elle avait pour elle, seulement pour elle. Racontant les rires d’enfant à l’école, les jeux dans la cour de récréation.

Toutes ces choses enfouies.

Toutes ces choses qu’elle croyait éternelles.

Quand la nuit tombe, elle allume sa petite lampe et se réchauffe d’odeurs et de souvenirs. D’espoirs un peu fous.

Tama s’endort de froid. En se souvenant du temps béni où elle s’appelait…

17

Il y a trois semaines, j’ai eu dix ans. Le jour de mon anniversaire, comme le jour de mes huit ans et celui de mes neuf ans, Sefana m’a demandé d’enfiler une belle robe qui appartient à Adina. Elle m’a prise en photo avec un paquet-cadeau dans les mains, à côté d’un gros gâteau que j’avais préparé le matin même. Elle m’a ordonné de sourire et j’ai obéi.

Je sais qu’elle va envoyer cette photo à mon père. Je l’imagine en train d’ouvrir l’enveloppe et de se réjouir de me voir si heureuse.

Le soir même, il a téléphoné et, avant de me passer le combiné, Sefana a prétendu que je m’étais mal comportée à l’école, que j’avais eu un blâme. Lorsqu’elle m’a tendu le téléphone, j’ai compris à son regard que je n’avais pas intérêt à la contredire. Alors, j’ai écouté mon père me sermonner. J’ai écouté sa peine en retenant la mienne et lui ai promis de ne pas recommencer.

Le soir, j’ai eu les restes, comme d’habitude.

Mais ils ne m’avaient pas laissé la moindre miette du gâteau.

Ça fait maintenant deux ans et trois semaines que je suis ici. J’ai lu tous les livres qui se trouvaient dans la chambre d’Émilien. Je me consacre désormais à ceux d’Adina. Je les emprunte, les cache derrière la machine à laver et, une fois terminés, je les remets à leur place.

Pour l’instant, personne ne s’en est aperçu.

Quand j’entends Adina lire à voix haute pour ses exercices de classe, je comprends que j’y arrive mieux qu’elle qui va pourtant à l’école tous les jours. Finalement, je ne suis pas si idiote que ça.

J’arrive à écrire, aussi. Des phrases entières.

J’ai découvert un nouveau livre, plus gros que les autres. Ça s’appelle un dictionnaire. J’ai encore du mal à m’y retrouver, je tâtonne, mais ça me permet parfois de comprendre un mot dont j’ignorais le sens.