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Greg fila un violent coup de pied dans la porte, Tayri la reçut en pleine figure et tomba à la renverse. Elle recula à même le sol, dévisageant Greg avec effroi. Et lorsqu’elle vit le pistolet dans sa main droite, son cœur paniqua.
— Alors comme ça, ton chien de garde s’est barré ? Quel dommage…
Tayri se remit lentement debout avant de faire trois pas en arrière. Greg était effrayant. Une large plaie barrait son visage boursouflé, son œil droit était à moitié fermé.
— Je te fous les jetons ? Normal… Depuis que ta copine m’a défiguré, je fais flipper tout le monde.
— Je… Je…
— Je quoi ? railla Greg.
— Qui êtes-vous ? murmura Tayri.
Face à elle, Greg fronça les sourcils.
— Qu’est-ce que vous me voulez ?
Dépasser la peur. Jouer la comédie, feindre l’amnésie.
Protéger Gabriel, protéger Tama.
— Arrête de me prendre pour un con !
— Mon ami, il va revenir très vite !
— Je sais, ma chérie. Ceci dit, il n’est pas très malin, ton ami… Depuis hier, je poireaute dans ma caisse, en haut de cette putain de colline. J’attendais le moment où il te laisserait seule… Je me suis gelé les couilles, mais ça valait le coup ! Tout à l’heure, j’ai vu qu’il te conduisait ici, qu’il repartait. Alors, je me suis dit : c’est le moment d’aller rendre une visite à ma belle petite Tayri…
La jeune femme regardait fébrilement autour d’elle, cherchant quelque chose pour se défendre. Mais la pièce était vide et il n’y avait qu’une porte.
— Je vais m’occuper de toi et ensuite, je m’occuperai de l’autre bouseux.
— Écoutez, monsieur, je ne sais pas qui vous êtes, je vous le jure…
— Très drôle, ton numéro ! Pour ton avenir, tu devrais penser à une carrière de comique ! Mais le souci, tu vois, c’est que tu n’as plus d’avenir.
— J’ai perdu la mémoire ! s’écria Tayri. Je ne me souviens de rien !
— Vraiment ? C’est ce qu’on va voir… Assieds-toi ! ordonna-t-il en désignant une chaise avec le canon de son CZ.
Tayri recula encore, cherchant la solution, l’échappatoire. Alors Greg arma le chien et pressa la détente. Tayri hurla lorsque la balle de gros calibre lui explosa le genou gauche. Elle rebondit contre le mur, s’effondra telle une poupée de chiffon. Greg l’empoigna par un bras et la fit asseoir de force sur la chaise. Puis il sortit un rouleau de scotch de sa poche et la saucissonna rapidement.
— Voilà, comme ça tu vas rester bien tranquille !
Tayri gémissait de douleur tout en fixant le canon du 9mm. Greg tira une autre chaise paillée et s’installa en face de sa proie.
— Alors, mon amour, qu’est-ce que tu lui as raconté à ton beau paysan ?
— Pourquoi vous m’appelez mon amour ?
— Je vois… Tu veux jouer, c’est ça ?
— Non ! Je vous jure que je ne me souviens de rien ! Même pas de mon nom !
— C’est ça, continue à te foutre de ma gueule, Tayri !
Il sortit un cran d’arrêt de la poche intérieure de son cuir, déverrouilla la lame. Le clic fit sursauter Tayri.
— Tu veux que je te rafraîchisse la mémoire ?
— Je vous jure que…
Il lui arracha son écharpe, fit descendre la fermeture Éclair de son blouson. La lame glacée se plaça à la naissance de son cou.
— Ils sont où mes potes ? Ceux que j’avais envoyés te chercher ? demanda-t-il d’une voix douce.
— Ils… Il les a tués.
— Le péquenaud ? C’est lui qui les a butés ?
Elle hocha doucement le menton, tandis que Greg la fixait sans relâche.
— Elle a dû t’en dire des choses quand vous étiez dans la remise, reprit-il. Tama, elle a dû t’en confier des trucs, non ?
— Qui ?… Qui est Tama ?
Greg fit descendre le couteau, Tayri serra les dents. La lame ouvrit le gilet en laine qu’elle portait sous son blouson. Il la plaça ensuite sur l’encolure de son tee-shirt et le découpa en son milieu. Le froid la pénétra jusqu’aux os, elle fut prise de violents tremblements. Avec la douleur qui remontait de sa jambe, elle n’allait pas tarder à perdre connaissance.
— Donc, je repose ma question, reprit calmement Greg. À qui tu as parlé et qu’est-ce que tu as dit ?
— Je… me souviens pas… J’ai eu un acci… dent, ma voiture a percuté un arbre et je me suis pris un choc… à la tête…
— Ta voiture ? Tu parles sans doute de ma caisse !
— Cet homme m’a trouvée et m’a sauvé… la vie… mais… je n’ai rien pu lui dire parce que… je n’ai aucun souvenir…
Greg secoua la tête d’un air désolé.
— Tu me fais perdre mon temps, chérie…
Il récupéra un paquet de Camel dans sa poche, en alluma une, lui souffla la fumée dans les yeux. Puis il approcha le bout incandescent tout près de sa gorge.
— Tu veux que je te réchauffe ?
Lorsqu’il écrasa la cigarette sur sa peau, elle poussa un hurlement tragique, essaya de se dégager. Mais elle ne pouvait pas bouger d’un centimètre.
— Arrêtez ! l’implora-t-elle. Je ne sais rien !
Il tira une bouffée, jeta la clope sur le sol avant de reprendre son couteau.
— Comme tu voudras, mon amour…
Le 4 × 4 quitta Florac et s’engagea sur la nationale 106. Gabriel alluma la radio et se surprit à chanter sur un tube des années quatre-vingt. Une musique qu’il détestait, pourtant.
Je t’attends depuis toujours…
Tayri était peut-être amoureuse de lui. À moins qu’il ne soit devenu un père de substitution.
Lui-même ne savait plus vraiment ce qu’il ressentait.
L’aimait-il comme une femme ? Comme une fille ?
Il l’aimait, simplement, et préféra oublier les questions. Ne pas songer à la suite, aux lendemains, à l’avenir. Il avait juste envie de retrouver sa chère inconnue. Sa Belle au bois dormant. Désormais, elle avait un prénom, un passé et tout un tas d’emmerdes qu’il était prêt à partager avec elle.
Sans doute repartirait-elle dans un mois, dans un an. Mais elle ne le trahirait pas, ne le trahirait jamais. Peu lui importait combien de temps elle daignerait rester à ses côtés.
Quand on agonise, le moindre sursis est une précieuse offrande.
Le pick-up bifurqua à gauche, direction le col du Sapet. Encore quelques virages et il la retrouverait, frigorifiée dans cette vieille baraque. Il savait déjà comment il allait se faire pardonner… Il avait acheté un énorme bouquet de fleurs, espérant que contrairement à Lana, Tayri apprécierait cette attention. Il avait l’impression d’avoir rajeuni de trente ans, d’être à nouveau un jeune homme, presque un adolescent.
Il s’apprêtait à rejoindre la piste lorsqu’il vit une voiture noire garée sur le bord de la chaussée, deux lacets au-dessus de la maison. Alors, au lieu de tourner, il continua de monter sur la route. Lorsqu’il arriva à la hauteur de la voiture, il constata que c’était une grosse cylindrée immatriculée dans l’Hérault. Un coupé BMW. Il abandonna son 4 × 4 un virage plus haut, récupéra son Beretta dans la boîte à gants et redescendit à pied vers la maison, à travers les bois morts, les fougères, les genêts.
Il était désormais juste au-dessus de la bicoque et tout semblait normal.