— Maman ? Maman, c’est toi ?
Gabriel rentra Gaïa dans l’écurie et lui donna à boire. Puis il quitta le hameau à pied et redescendit sur la route.
Un quart d’heure plus tard, il arriva à la hauteur de la BMW et s’installa derrière le volant.
— Ça te dirait de faire un petit tour ? lança-t-il.
Le locataire du coffre ne lui répondit pas. Pourtant, Gabriel en était certain, Greg avait eu tout le temps de reprendre connaissance.
— J’ai envie de voir ce que ta bagnole a dans le ventre, dit-il en mettant le contact.
Pied au plancher, Gabriel monta en direction du col. Un pilote de rallye n’aurait guère fait mieux.
— Dis donc, elle arrache, ta caisse !
Il redescendit ensuite vers le village du Pont-de-Montvert, si vite qu’il manqua d’envoyer la voiture dans le ravin.
Il entendait parfois les cris ou les gémissements de son prisonnier, le bruit sourd de son corps qui roulait dans le coffre avant de heurter violemment les parois.
Arrivé au village, Gabriel exécuta un demi-tour acrobatique avant de remonter vers le col, battant un nouveau record de vitesse.
Gabriel recommença, encore et encore. Pendant plus d’une heure.
Le temps que sa peine laisse la place à la haine.
119
Gabriel gara la berline devant l’entrée de la vieille maison qui jouxtait la sienne. Il prit la masse au milieu des gravats puis ouvrit le coffre. Greg, le visage en sang, avait vomi ses tripes sur la moquette noire. Il essaya de se redresser, agrippa le rebord du coffre.
— Tu as aimé la petite balade ? ricana Gabriel.
— Putain, je vais te tuer ! vociféra Greg.
La masse s’abattit violemment sur ses jambes, les brisant net. Greg poussa un hurlement et perdit à nouveau connaissance. Gabriel l’attrapa par un bras et l’extirpa du réduit avant de le traîner à l’intérieur de la ruine.
Lorsqu’il recouvra ses esprits, Greg était sur le sol. Il ne lui restait plus que son caleçon. Il tenta de bouger ses jambes, émit une plainte animale. Son regard paniqué croisa celui de Gabriel qui fumait sa cigarette, adossé contre le mur.
— Salut, ordure… Bien dormi ?
— Merde… Mais vous êtes qui ? gémit Greg.
Gabriel jeta son mégot et attrapa la masse. Lorsqu’elle fracassa l’épaule de Greg, celui-ci vomit un flot de sang. Gabriel se pencha vers lui avec un sourire effrayant.
— J’avais oublié de te prévenir, désolé… Les questions, c’est moi qui les pose, d’accord ?
Greg n’arrivait déjà plus à respirer, il se mit à pleurer de douleur.
— Merde… Merde !
— Oui, tu es dans la merde, je confirme. Et crois-moi, c’est que le début… Tu vois, j’ai fait une promesse à Tayri et je tiens toujours mes promesses. Alors, je vais te poser deux questions et je te conseille de me donner les bonnes réponses. Tu es prêt ?
Greg soufflait comme un bœuf, s’étouffant dans ses larmes.
— Est-ce que Tama est vivante ?
— Oui !
— Elle est chez toi ?
— Non…
— Où est-elle ?
— Chez… un… pote !
— Nom et adresse, connard. Et vite.
— Nico !
— Son nom, j’ai dit !
— Legrand… Nicolas Legrand. Il habite au bout d’un chemin…
— Sois plus précis, soupira Gabriel.
— Faut prendre la rue des… Mûriers. Et le chemin à droite…
— Et il l’a mise où, ton pote ?
— J’en sais… rien ! Je sais pas, je te jure…
— Bon, on progresse. C’est bien.
Greg tenta vaguement de se redresser et la masse lui broya la main gauche. Nouveau cri, si puissant qu’il fit trembler les murs.
— Je t’ai tout dit ! implora-t-il. Arrête, je t’en prie !
— Est-ce que Tayri t’a supplié, comme tu me supplies en ce moment ? murmura-t-il. Je pense que oui. Est-ce que tu as eu pitié d’elle ? Je suis sûr que non… Alors, je vais prendre tout mon temps avec toi. Vraiment tout mon temps…
Gabriel s’était assoupi sur le canapé, juste en face de la cheminée éteinte. Lorsqu’il ouvrit les yeux, il chercha Tayri du regard.
Mais il n’y avait que le vide, le silence, sa chère solitude.
Il serra les poings, abîmés par les coups qu’il avait assénés, et fixa le plafond un long moment.
Il se redressa en grimaçant de douleur. Sa plaie à l’épaule s’était rouverte, le sang imbibait le pansement. Il marcha jusqu’à la salle de bains, arracha la compresse et désinfecta la blessure. Puis il prit une douche et enfila des vêtements propres.
Il retourna dans le salon, alluma une cigarette qu’il fuma devant la porte-fenêtre. Le ciel pleurait toujours ses larmes neigeuses. La nuit serait triste. Triste et froide.
Lorsqu’il se retourna, Lana était là. Assise devant la cheminée, elle le dévisageait avec un sourire tendre.
— Tu es revenue ? murmura-t-il.
— Je ne suis jamais partie, papa. C’est juste que tu ne me voyais plus.
Gabriel baissa les yeux.
— Je crois que… que je l’aimais.
— Tu avais raison de l’aimer. C’était une fille bien. Une fille courageuse. Et puis, elle était si jolie… Elle aussi, t’aimait.
— Je ne sais pas…
— J’en suis sûre, papa. Mais il me semble que tu lui as fait une promesse, non ?
Gabriel releva la tête.
— Une promesse, oui…
— Alors, tu attends quoi ? Essaie de ne pas arriver trop tard, cette fois.
À deux heures du matin, la BMW s’arrêta le long du trottoir, au milieu de la rue des Mûriers. Gabriel plaça le CZ de Greg à sa ceinture avant de descendre de la voiture.
Il continua à pied sur une cinquantaine de mètres. Sur sa droite, un petit chemin, mal goudronné et bordé de terrains vagues, s’enfonçait dans la pénombre. Heureusement, une grosse lune drapée de nuages lui permettait de se repérer.
Au bout du chemin, un portail ouvert, des épaves de voitures, une vieille caravane. Gabriel s’en approcha et jeta un œil par la vitre cassée. Elle était vide.
Il traversa le dépotoir pour s’arrêter devant la porte d’une maison biscornue. Il frappa deux coups et attendit. L’homme qui lui ouvrit était jeune et défoncé. Tout juste s’il tenait debout.
— Ouais ?
— C’est vous, Nico ?
— Ouais, pourquoi ?
— Je viens de la part de Greg, dit Gabriel. Je dois récupérer la fille.
Nico fronça les sourcils.
— M’a pas prévenu.
— Il devait vous appeler, ajouta Gabriel. Et je suis pressé…
— Ben ouais, mais…
Gabriel décida d’accélérer le mouvement. Il dégaina le CZ, Nico se figea sur le seuil. Bouche ouverte, il fixait le pistolet.
— Dis-moi où est la fille. Vite.
— Doucement, mec…
Gabriel lui asséna une droite dans la mâchoire et le jeune homme s’écroula à ses pieds. Il lui colla le canon du pistolet sur le front.
— T’as dix secondes pour me conduire jusqu’à elle.
— C’est bon ! C’est bon, on se calme…
Nico se remit debout, porta une main à sa mâchoire.
— Elle est dans le garage.
— Après toi.
Nico sortit, Gabriel sur ses talons. Ils passèrent derrière la bicoque, traversèrent l’autre partie du jardin, où s’amoncelaient un tas de pièces automobiles, pour arriver devant un garage fermé par une double porte en bois. Nico récupéra une clef planquée sous une grosse pierre.