— Tu attends quoi pour ouvrir ?
— Vous allez pas me fumer, hein ?
— Ouvre.
Nico déverrouilla la porte et entra en premier. Il appuya sur l’interrupteur, une ampoule diffusa une pâle lumière dans la dépendance.
Quand Gabriel vit Tama, une colère noire s’empara de lui.
Nico reçut un violent coup de crosse à l’arrière du crâne. Il s’écrasa sur le sol en ciment, tête la première. Gabriel s’agenouilla près de Tama, ôta le gant de sa main droite et posa un doigt sur la gorge de la jeune femme. Elle était inconsciente mais toujours vivante.
En regardant autour de lui, il aperçut une caisse à outils. Il y dénicha un cutter et coupa les liens qui enserraient les poignets et les chevilles de Tama. Les cordelettes avaient profondément entamé sa peau violacée.
— Tama ?
Il toucha son visage tuméfié, glacé. Elle n’eut aucune réaction.
Peut-être arrivait-il trop tard, une fois encore.
Nico poussa un gémissement de douleur en reprenant connaissance. Gabriel l’attrapa par les cheveux et lui enfonça le canon du CZ dans la joue.
— Comment tu as pu la laisser agoniser ici, sale enfoiré ?
— C’est pas moi qui l’ai frappée ! se défendit le jeune homme.
Gabriel avait le doigt sur la détente.
— J’ai rien fait moi, putain ! gémit à nouveau Nico.
Tout juste s’il ne clamait pas son innocence.
Des lâches, des assassins et des Belles au bois dormant.
— Vous êtes tous de la même race ! cracha Gabriel.
Il rangea le pistolet à sa ceinture, remit Nico sur ses pieds et lui fila un coup de tête retentissant. Quand il fut à terre, Gabriel s’acharna sur lui. Lorsqu’il cessa enfin, Nico ne bougeait plus. Alors, Gabriel récupéra le cutter et l’approcha de la jugulaire du type.
— Tous de la même engeance…
Il hésitait. Le visage de Tayri, le visage de Lana, celui de Tama.
Finalement, Gabriel renonça et prit Tama dans ses bras pour quitter ce sinistre endroit. Il déposa la jeune femme sur le sol, enleva sa parka et la couvrit avec. Il referma le garage à double tour, jeta la clef au milieu des détritus et courut chercher la voiture.
Il l’allongea sur la banquette arrière puis poussa le chauffage à fond.
— Tiens bon, murmura-t-il. Tiens bon, s’il te plaît…
120
Gabriel avait repris sa place dans le fauteuil.
Dans le lit, une autre inconnue avait pris la place de Tayri.
Dès qu’ils étaient arrivés, il l’avait portée jusque dans la chambre et l’avait déshabillée. En voyant son corps, il avait senti son cœur se serrer. Elle n’était plus qu’une plaie, un hématome. Une blessure à vif. En sortant de l’hôpital, Greg s’était visiblement acharné sur elle.
Gabriel avait soigné ce qui était soignable, posé une attelle sur son poignet brisé. Après l’avoir rhabillée avec les vêtements de Lana, il avait tenté de la faire boire. Dénutrie, déshydratée, en hypothermie, elle avait peu de chances de survivre.
Ses paupières se soulevèrent enfin et Gabriel vint s’asseoir sur le lit. Il lui prit la main, lui parla doucement.
— Tama ? Est-ce que tu m’entends ?
Les yeux de la jeune femme se dirigèrent vers lui, sa bouche se crispa.
— N’aie pas peur, murmura Gabriel. Je suis un ami de Tayri.
— Tay… ri ?
— Oui. Je suis venu te chercher, tu n’as plus rien à craindre.
— Iz… ri…
— Il sera bientôt là, prétendit Gabriel.
Il attrapa la bouteille d’eau sur la table de chevet, passa une main sous la nuque de Tama et parvint à lui faire avaler quelques gorgées. Dans son état, c’était primordial. Il reposa son crâne sur l’oreiller, elle ferma à nouveau les yeux.
— Tayri, elle… elle…
— Ne parle pas, conseilla Gabriel. Repose-toi.
— Tayri, elle…
Gabriel soupira. Ce n’était pas le moment de lui annoncer la vérité.
— Elle revient dans quelques jours. Ne t’en fais pas… Elle a hâte de te revoir.
Tama rejoignit à nouveau son refuge invisible et Gabriel retourna dans le salon. Il alluma une cigarette avant de sortir sur la terrasse. La nuit résistait encore, mais l’aube ne tarderait plus. Un nouveau jour qui s’annonçait décisif.
Lana éclaira le ciel et vint se poser à côté de lui, tel un ange à la grâce infinie.
— Tu as réussi, papa.
— Je ne sais pas, elle est si faible !
Lana était tout contre lui, il pouvait la sentir. Comme si l’air qui l’entourait s’était radouci.
— Je suis sûre qu’elle va s’en tirer.
Rassuré, Gabriel retourna à l’intérieur et s’allongea sur le canapé.
La sonnerie du portable le tira de sa somnolence deux heures plus tard.
— Maître Tarmoni à l’appareil.
— Bonjour, maître.
— Pourrais-je parler à Tayri ? Elle m’a laissé un message hier matin.
— Je sais… Je ne vais pas pouvoir vous la passer, mais j’ai à vous parler.
— Je vous écoute, monsieur, répondit l’avocat. Monsieur… ?
— Appelez-moi Gabriel.
— Je vous écoute, Gabriel.
— Je sais où est Tama.
Un court silence accueillit cette nouvelle.
— Tama ? Et comment va-t-elle ?
— Elle va mal. Très mal, même…
— Je vous rappelle dans un instant.
Gabriel raccrocha, sûr que l’avocat allait poursuivre la conversation avec un autre téléphone.
Izri sortit de la douche et manqua de glisser sur le carrelage. Il récupéra le portable sur le rebord du lavabo, décrocha aussitôt.
— Salut, Iz, c’est Michel.
Sur ce téléphone, ça ne pouvait qu’être Tarmoni ou Greg.
— Salut. Qu’est-ce qui se passe ?
— Tu es assis ?
— Non, je suis à poil, je sors de la douche !
— Ah désolé…
— Alors, qu’est-ce qui se passe ? redemanda Izri en attrapant une serviette.
— Je viens d’avoir un type au téléphone qui se fait appeler Gabriel. Il dit savoir où se trouve Tama.
Le visage d’Izri se contracta, une lueur de colère brilla au fond de ses yeux.
— Il prétend aussi savoir des choses sur Greg, poursuivit l’avocat.
— Quelles choses ?
— Il dit que Greg s’est foutu de ta gueule.
— Hein ?
— Que Greg t’a trahi…
— Mais c’est qui, ce type ?
— Aucune idée, marmonna Tarmoni. J’ai eu un message hier, laissé à mon assistante. Une certaine Tayri demandait à me parler au plus vite. Elle avait des informations à me révéler au sujet de Tama et d’Izri. Et quand j’ai rappelé le numéro, je suis tombé sur ce mec… Tayri, ça te parle ?
— Absolument pas, répondit Izri en enfilant un jean. Et il veut quoi, ce Gabriel ?
— Te rencontrer.
— Me rencontrer ? répéta Izri.
— Oui. J’ai essayé de le cuisiner pour en savoir davantage mais il refuse de se confier à moi. C’est à toi qu’il veut parler et à personne d’autre. Il veut te voir.
— Ça sent pas bon…
— Complètement d’accord, acquiesça Tarmoni. Il m’a aussi dit que…
Comme Tarmoni hésitait, Izri l’encouragea.
— Vas-y, parle !
— Il dit que Tama va très mal et qu’elle t’attend.